Constitution : pourquoi une réforme cosmétique fait beaucoup de bruits

Chaque fois qu’il est annoncé, le projet de révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 est contesté par une bonne partie de l’opinion publique du pays. Pourtant, à première vue, c’est une réforme qui ne touche pas aux fondamentaux de la République. 

La résistance systématique à laquelle l’on assiste, trouve son fondement et sa légitimité dans plusieurs facteurs. Il faut pourtant avancer sur la question.

C’est reparti.  Le sujet de la révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 est plus que jamais de retour. Il a refait surface avec le renouvellement des membres de la Cour Constitutionnelle, mais surtout avec la transmission d’un nouveau projet de loi par le gouvernement à l’Assemblée Nationale, le 06 juin dernier.

Sur ce sujet, c’est le «come back» de Boni Yayi, après le repli stratégique effectué en avril 2012, lors qu’en ce moment le projet de révision s’est heurté à la résistance d’une bonne partie de la classe politique (opposition et mouvance) et de la société civile.

Mais, aussitôt l’information de l’envoi de ce nouveau document au Parlement a été ébruitée par une partie de la presse béninoise, que les « Touche pas à ma Constitution » ont refait surface.  Les réactions se multiplient. Personnalités politiques de la mouvance ou de l’opposition, acteurs de la société civile, journalistes, juristes… Cela rappelle l’épisode de 2012, où la résistance des faiseurs d’opinion à ce projet de révision, a contraint le Chef de l’Etat à rebrousser chemin en prenant, en avril de la même année, un décret de retrait du projet du circuit parlementaire.

Bonne nouvelle. Quand on s’en tient  aux documents transmis le 06 juin dernier aux députés, on se rend compte que la révision de la Constitution ne concerne pas les acquis de la Conférence Nationale des forces vives de 1990, qui constituent les fondements même de la démocratie béninoise. On est face à un projet de réforme cosmétique qui vise la création et la constitutionnalisation de nouvelles institutions et l’apport de précisions au niveau des prérogatives de celles qui existent déjà. Ce nouvelles institutions sont, notamment, la Commission Electorale Nationale Autonome (Cena), chargée d’organiser les élections nationales, la Cour des Comptes, le Médiateur de la République.

Autre point important, l’inscription dans la Constitution de l’imprescriptibilité des crimes économiques. Ce sont globalement des nouveautés visant à améliorer la démocratie, la gouvernance politique et économique au Bénin.

Ainsi, l’Etat de droit, la démocratie libérale,  la forme républicaine de l’Etat, le multipartisme intégral, la nature présidentielle du régime, la limitation du mandat du Président de la République, l’âge des candidats à l’élection du Président de la République, n’ont pas été touchés ; en attendant bien évidemment les amendements que les élus du peuple ont la latitude d’apporter au texte introduit par l’Exécutif. Et ce, conforment au droit que leur confère la Constitution.

Mais, sur la question de la révision, cette Constitution limite un tant soit peu la marge de manœuvre des parlementaires, en stipulant à l’alinéa 2 de son article 156 (169 dans le nouveau projet) que «la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision.»

 Mieux, par sa jurisprudence (décision N° 11-067 prise le 20 octobre 2011) la Cour Constitutionnelle a indiqué que les articles 42, 44 et 54 de la Constitution de 1990, ne sauraient faire l’objet d’un référendum pour être révisé, cassant ainsi la loi référendaire votée, quelques temps plus tôt, par les députés. Les articles sus-cités sont relatifs au nombre et la durée du mandat présidentiel, la limitation d’âge des présidentiables et  les prérogatives du Chef de l’Etat. Les sept sages de la Cour de Robert Dossou ont estimé que ces éléments ont  fait objet de consensus à la Conférence nationale.

Dans l’opinion béninoise, on est tous conscient de la nécessité de «réviser» la Constitution du 11 décembre 1990. Mais, la manière et le moment de cette révision sont à la base de tout le débat et du tôlé général auquel on assiste dès que le sujet est évoqué.  La suspicion est toujours de mise. Et il est craint que cette révision donne à l’actuel Président, Boni Yayi, la possibilité de briguer un troisième mandat. 

Une assurance qui ne rassure pas

Le Président Boni Yayi a martelé, à maintes reprises, et chaque fois qu’il en a l’occasion depuis sa réélection en mars 2011, qu’il est à son second et dernier mandat. Il l’a rappelé à des occasions solennelles (prestations de serment en avril 2011, discours traditionnel d’Indépendance, chaque 31 juillet, devant le Pape Benoit XVI) et lors de certaines visites à l’extérieur.

Mais, dans l’opinion béninoise, l’on redoute le syndrome Wade ou Tandja. Et il y a bien des raisons de prendre la profession de foi  du Président de la République avec des réserves.

Primo. L’enfant de Tchaorou, Boni Yayi bien évidemment,  a placé son deuxième mandat sous le sceau de la Refondation. Laquelle Refondation consiste à entreprendre plusieurs réformes au plan politique, économique, administratif, en vue de la restauration des valeurs, éthiques, morales et républicaines, pour le développement du Bénin. Mais, dans son discours de candidature du 29 janvier 2011, Boni Yayi a expliqué que la Refondation faisait appel à l’instauration d’une «nouvelle République». Il avait crié haut et fort que : sa «vision appelle la refondation de la République, sur laquelle j’engagerai de grandes réflexions avec toutes les composantes de la Nation, une Nouvelle République dans laquelle les pouvoirs s’équilibrent et les institutions convergent, dans leurs efforts vers la satisfaction des besoins essentiels du peuple. Cette Nouvelle République qui opte de façon déterminée pour la prospérité, l’émergence économique et le perfectionnement intellectuel et moral de ses fils. Ma conviction est que la Nouvelle République fera germer la Nation émergente qui constitue notre rêve. Car, il s’agit de l’approfondissement du processus du changement que nous avons déclenché en 2006.»

Secundo. Des sources concordantes font état de ce que, dans l’entourage de Boni Yayi, deux tendances s’affrontent quant à son maintient au pouvoir au-delà de 2016. L’une prône son départ,  l’autre veut œuvrer pour lui trouver un troisième mandat. Des personnalités membres de la mouvance présidentielle ont d’ailleurs évoqué, de manière subtile, l’éventualité que Yayi reste à la tête du Bénin au-delà de 2016. Dimanche 16 juin dernier, sur l’émission Zone Franche de Canal 3 Bénin, Frédéric Béhanzin, président des Jeunes Patriotes, un groupe de jeunes défendant les causes de Boni Yayi, avait avancé que la volonté du chef de partir en 2016, n’était pas partagée par tout son entourage. Sur la même émission, le dimanche 07 avril 2013, Aké Natondé, député à l’Assemblée Nationale, figure de proue de la mouvance présidentielle, affirmait : « Est-ce que Yayi vous a dit qu’il est fatigué et qu’il ne veut plus… ? ». Son compère de la même majorité, Emmanuel Koï, baron des Fcbe dans la contrée de Godomey, se fera on ne peut plus clair. « Avec tout ce que Boni Yayi fait pour notre pays, est-ce qu’il n’est pas bon de lui accorder un bonus ? » A-t-il lancé, lors d’une manifestation publique dans la même période.

Tertio. Le Président Boni Yayi s’adonne à une communication à outrance autour des actions de son gouvernement. La propagande se fait comme si le pouvoir veut avoir l’adhésion totale de toute la population aux actions entreprises. Pour un Président qui est à son dernier mandat, on se demande bien ce à quoi tout cela rime. Il n’y a qu’à voir les «affiches Yayi», qui font et défont le décor de la ville de Cotonou, les nombreuses minutes que passent la télévision nationale à ne parler que des activités du Chef de l’Etat, et l’embargo médiatique mis sur ceux qui sont critiques vis-à-vis du gouvernement, pour se rendre compte du matraquage médiatique que fait subir aux Béninois le régime de la Refondation.

Autre contraste, pendant qu’on s’achemine vers la fin du dernier mandat de Yayi, les ralliements à la majorité présidentielle se multiplient. Des gens qui ont combattu avec toute leur énergie Boni Yayi, jusqu’à récemment, lui font allégeance et deviennent des chantres de son régime. Les marches de soutien et les prières politiques à son intention foisonnent.  Et l’on redoute qu’en son temps, la demande de bonus pour Boni Yayi, soit l’objet des mêmes genres de manifestations de propagande : marches montées, prières dans les églises, les mosquées et autres chapelles. Surtout que Boni Yayi est qualifié par certaines personnalités de la classe politique, comme ne respectant pas la parole donnée.  Venu à la tête du Bénin en 2006 comme un novice en politique, l’homme a eu le temps de faire ses armes. Il est devenu un vrai «politicien»,  à telle enseigne qu’il n’hésite pas souvent à s’illustrer en boulanger. Et l’on redoute qu’il roule tout le monde dans la farine, pour profiter de la révision et briguer, avec le soutien de certains de nos juristes de haut niveau, un troisième mandat.

Aller jusqu’à l’exclusion

La Conférence de 1990 est perçu comme un fait sacré par le Béninois. Il en est de même pour la Constitution issue de cette conférence. Mieux, la Constitution du 11 décembre 1990 est le fruit d’un large consensus national. Sa révision devrait aussi se faire dans le cadre d’un large consensus national. Par conséquent, cela ne devrait pas être la seule affaire du gouvernement et de l’Assemblée Nationale. Cela devrait être l’affaire de toutes les « Forces vives » de la Nation. D’où la nécessité d’une large concertation dans le cadre du projet de révision qui fait actuellement débat.

A entendre les uns et les autres, l’on se rend compte que la conscience collective béninoise n’est pas foncièrement opposée à l’idée de révision de la Constitution de 1990. Le problème, c’est la peur d’une révision opportuniste, pour que Boni Yayi se maintienne au pouvoir et mette à mal la démocratie béninoise.

Il faudra donc trouver l’astuce pour amener les esprits à se libérer, et les langues à se délier. Il faudrait donc trouver le moyen de marquer, noir sur blanc dans la nouvelle Constitution, qu’en aucun cas l’actuel Président ne peut se prétendre d’une quelconque gymnastique juridique ou pas pour rester au pouvoir au-delà de 2016.

Il faudrait en faire de même pour tous ceux qui ont un mandat dont la reconduction ou non pourrait prêter à confusion avec la révision de la Constitution. Ce n’est pas de l’exclusion. Mais, plutôt une mesure conservatoire pour que l’on puisse avancer sans tôlé, suspicion et craintes dans ce débat sur la révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.

Laisser un commentaire