Après les invectives lancées contre eux par le Président de la Cour Suprême, Ousmane Batoko, Vice-président du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) reçoit le soutien d’Ismaél Tidjani Serpos.
Dans une lettre ouverte envoyée à Batoko, l’ancien Garde des Sceaux, et magistrat de son état, désavoue le Président de la Cour Suprême et prend la défense de ses jeunes confrères. Un gage de confiance pour eux, alors qu’ils entament une grève de 72 heures pour paralyser la maison-Justice.
Voici la lettre de Tidjani-Serpos à Batoko
LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA COUR SUPRÊME
PORTO-NOVO.
Objet : a/s de la déclaration du Président de la Cour Suprême sur l’UNAMAB.
Monsieur le Président,
Votre déclaration sur l’organe corporatiste des magistrats de notre pays a le mérite d’exprimer en toute transparence ce que vous pensez de cette structure et ce que vous auriez souhaité que soient le contenu de sa mission et les modalités et procédures de sa mise en œuvre. C’est une bonne chose que vous ayez exprimé ouvertement et publiquement votre point de vue.
Cependant, on est en droit de se demander si votre déclaration ne souffre pas d’un certain manque d’objectivité.
En effet, ça fait la deuxième fois que, à des affectations de magistrats reconnues bancales, la première fois par le Président de la République lui-même avec la promesse non tenue de procéder promptement à la rectification, et la deuxième fois par vous-même, rien n’a été fait apparemment ; bien au contraire, s’agissant du premier cas, le décret de nomination a été plutôt publié en l’état, suivi d’un grand silence radio près de deux ans durant! Monsieur le Président de la Cour Suprême, la première fois, n’étiez-vous pas là ? Le Conseil Supérieur de la Magistrature n’était-il pas là ? Comment voulez-vous que dans ces conditions l’on accorde désormais du crédit à des engagements apparemment conciliateurs pris à de hauts niveaux de l’Etat et de la justice?
La seconde fois, a-t-il été suggéré, après votre échange avec les responsables de l’UNAMAB, au Président de la République de surseoir à la publication du décret de nomination afin que les corrections nécessaires interviennent d’abord ? Si vous l’avez fait et que malgré cela nous sommes restés dans l’impasse, puisque le décret de nomination a été publié en l’état avec consignes de passation prompte de service, vous conviendrez avec nous que le ver est dans le fruit dans le système en place et que la non-conformité des nominations avec la législation en vigueur n’est pas innocente.
L’une des grandes interrogations consécutives à votre déclaration est relative au mode de fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature dont vous êtes le premier vice-président. Les membres de cette institution y font-ils seulement de la figuration ou veillent-ils vraiment au respect des règles de droit? Pourquoi les erreurs dans les nominations se répètent-elles ? Et pourquoi se refuse-t-on à les rectifier ? Que cache cette approche? Est-ce une façon de régler des comptes au sein de cette corporation ou de procéder à des manipulations incompatibles avec les exigences de l’indépendance de la magistrature?
Enfin, votre conception de la mission de l’UNAMAB est-elle conforme à la réalité pratique? En effet, c’est une structure qui est supposée veiller aux intérêts de la magistrature tant du point de vue statutaire, que du point de vue des exigences de leurs obligations professionnelles. De vous à moi, si le Chef de l’Etat a demandé que l’on procède à l’arrestation d’un responsable syndicaliste pour n’avoir pas dénoncé les dysfonctionnements d’une entreprise dont l’Etat s’est emparé, à savoir la SONACOP, croyez-vous que s’agissant de la structure corporatiste des magistrats du Bénin, elle est là pour faire de la complaisance? Détrompons-nous ! La magistrature n’est pas comme la grande muette ou autres corps assimilés dans lesquels on peut faire des parachutages ou des promotions fantaisistes ou opportunistes ; la magistrature veille légalement au grain même si cela ne plait pas toujours aux dirigeants étatiques ! Par conséquent, si cette corporation et la justice béninoises sont gérées en toute transparence et en toute rigueur, le dialogue et l’équilibre recherchés seront au rendez-vous. Par ailleurs, la jeunesse de la direction de l’UNAMAB n’a rien à voir dans le débat en cours ; si la nation estime que ces animateurs de la justice sont qualifiés pour veiller au respect du droit dans le pays, on a du mal à comprendre que l’on considère la jeunesse comme un handicap pour la gestion de la structure de cette corporation. Pour moi, la jeunesse est en effet moins enlisée dans les petits calculs machiavéliques qui sont handicapants pour une justice crédible. Monsieur le Président, je suis franchement gêné par cette indexation de la jeunesse de la direction de l’UNAMAB, car vous avez été vous aussi jeune dans ce pays, et vous avez au cours de cette jeunesse, comme moi aussi d’ailleurs, occupé de grandes responsabilités étatiques en les assumant magnifiquement. Alors vive la jeunesse ! En outre ce n’est pas parce que les magistrats sont des agents permanents de l’Etat qu’ils doivent se croiser les bras face à des dérives officiellement reconnues par qui de droit dans la gestion de leur corporation. Nous devons plutôt les féliciter et les remercier d’aider nos institutions étatiques à mieux assumer leurs responsabilités dans cette branche spécifique et délicate d’un Etat qui se veut démocratique.
Je suis donc au regret de ne point partager vos approches.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma sincère considération.q
Porto-Novo, le 21 juin 2013
Ismael TIDJANI-SERPOS
Magistrat retraité
01 BP 21 Porto-Novo