Lamatou Nassirou comme juge constitutionnel : pour une tradition d’excellence des juges constitutionnels

La constitution de 1990 prévoit la nomination de sept juges constitutionnels dont deux personnalités de « grande réputation professionnelle », l’une par le Bureau de l’Assemblée, l’autre par le Président de la République.

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Le président YAYI exerçant ses prérogatives a nommé  Mme Lamatou Nassirou, Directrice des Ressources Humaines au Ministère de la Famille, comme personnalité de « grande réputation professionnelle » devant siéger a la CC. La cour, par décision DCC 13-061, examinant un recours d’un citoyen a confirmé Mme Nassirou comme juge constitutionnel.

N’ayant pas accès aux débats de la constituante de 90 (CNS et autres commissions), on ne peut décrypter avec certitude les raisons pour lesquelles deux sièges de juge constitutionnels ont été réservés à des personnalités, ni les contours exacts de ce que le constituant met dans « grande réputation professionnelle «.

On peut toutefois s’essayer à comprendre les motivations justifiant leur présence et les profils des «personnalités de grande réputation professionnelle ».

Le rôle clef que joue la CC dans les institutions de la république, en tant qu’arbitre ultime des conflits entre institutions et la portée de ses décisions (sans appel) impose de s’appesantir sur la qualité de ses membres et les conditions ou critères de leur nomination.

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1. De la nécessité et de la qualitéde juges constitutionnels extérieurs à  la profession de juriste

Nous avions récemment estimé que le débat sur la constitution et sa révision ne devrait pas êtreréservé aux juristes et constitutionnalistes, mais ouvert à tout citoyen car il s’agit de l’organisation de notre vie en commun. Dans ce contexte, on peut comprendre que des non-juristes siègentà la Cour Constitutionnelle de façonà apporter un éclairage plus large –et non strictement techniquement juridique – aux décisions d’interprétation et d’application de la constitution.

L’objectif, nous semble-t-il serait d’apporter à la CC, les perspectives et le vécu des citoyens.

Cette perspective et ce vécu ne devraient toutefois pas être la porte ouverte pour le premier venu de décider des questions de constitutionnalité des lois, de protection des libertés et de sincérité des élections. La fonction de juge, plus particulièrement de juge constitutionnel requiert précisément des capacités de jugement, dont il est courant de penser qu’il s’acquiert et se développe avec le temps et les expériences de vie et de travail. Il est généralement admis que la capacité à émettre des jugements de qualité est liée aux capacités d’analyse et de leadership.

Dans la pratique, on observe que dans les pays comme la France ou il n’est pas stipulé de critères minima pour être nommé juge constitutionnel, on observe que la plupart des juges constitutionnels, quand ils n’ont pas une formation ou un métier de juriste, ont une longue pratique (15 a 30 ans) administrative et ou élective (maires, ministres, députes etc…).

La plupart des juges constitutionnels français sont issus de ce que l’on peut considérer comme l’ « Elite », issue des grandes écoles (ENA, Science Po Paris, Normale Sup…), ou au sommet de la  profession (ténors du barreau…)

Aux USA où il est requis que tout membre de la Cour Constitutionnelle ait au moins 12 ans d’expérience comme juriste, la barre est encore plus haute car l’équivalent de l’ordre des avocats (Bar association) émet un avis sur la qualification des nominés et ceux-ci sont soumis à la confirmation du Sénat.

Si on analyse la composition de l’actuelle Cour Constitutionnelle des USA, on constate que là aussi, les membres sont issus de l’ »Elite » intellectuelle du pays, diplômes de Yale ou Harvard Law School (les 2 meilleures Law School du pays par leur sélectivité notamment…), la plupart docteurs en droit (Juris Doctor) ayant exercé de longues années dans les Cour d’Appel Fédérales… Tous ses membres, a l’exception du Juge Clarence Thomas –dont la nomination fut controversée pour diverses raisons- furent nommés a 50 ans  révolus, après de brillantes carrières juridiques…

2. Compétence Professionnelle vs. « Grande Réputation Professionnelle »

Dans sa décision DCC 13-061 confirmant Mme Lamatou comme juge constitutionnel, la CC semble faire l’équivalence « compétence professionnelle » et « grande réputation professionnelle « créant une jurisprudence malheureuse quant à l’interprétation et l’appréciation du critère de « grande réputation professionnelle «  inscrit dans la constitution. En effet elle écrit « qu’il ressort de cette disposition (art 115 ) que le membre de la Cour Constitutionnelle nommé doit, outre la condition de compétence professionnelle,(souligné par nous) être de bonne moralité et d’une grande probité et que, contrairement aux magistrats et juristes pour lesquels il est exigé une expérience de quinze années au moins dans l’exercice de leurs fonctions, le Constituant de 1990 n’a imposé aucun autre critère(souligné par nous) pour le choix de la personnalité de grande réputation professionnelle à nommer «

Et plus loin

« la compétence professionnelle ne peut s’analyser qu’à (souligné par nous) l’aune des appréciations faites par les supérieurs hiérarchiques ou par les Autorités compétentes ou habilitées à le faire ; que cette appréciation peut également se faire sur la base du curriculum vitae qui indique les formations et les activités du membre pressenti  «

Et pour finir, elle conclut :

« qu’elle a servi dans plusieurs structures avec compétence et dévouement avant d’être nommée, par décret pris en Conseil des Ministres, Directrice des Ressources Humaines du Ministère de la Famille et de l’Enfant ; qu’il est donc établi qu’elle remplit les conditions requises(souligné par nous) pour être nommé en qualité de personnalité de grande réputation professionnelle «

Par cette décision la CC semble abdiquer son droit et devoir d’interpréter la constitution. En effet les citoyens sont en droit d’attendre de la CC qu’elle interprète la constitution (à la lumière de la constitution elle-même, de l’intention du constituant, du législateur, de la jurisprudence –nationale et internationale-, des principes constitutionnels etc…) et qu’elle émette des jugements–au sens large-, au-delà de l’application mécanique des textes.

Le constituant a énoncé un critère de nomination des personnalités, celui de « grande réputation professionnelle » de façon à éviter le fait du prince, les nominations arbitraires, fantaisistes ou népotistes… Il aurait pour se contenter de dire « deux personnalités extérieures au monde juridique », mais a pris soin de préciser de « grande réputation professionnelle ».

La CC met la barre plus bas que le constituant en remplaçant l’exigence de « grande réputation professionnelle » par celle de « compétence professionnelle ». La compétence professionnelle renvoie à la qualification minima (ou légale) pour exercer une profession ou un métier. La réputation –surtout la grande réputation- renvoie à l’excellence dans l’exercice de la profession ou du métier, excellence reconnue par les pairs ou le grand nombre.

Si les supérieurs peuvent attester de la compétence minima (ou de l’absence de celle-ci par des sanctions), les pairs –et les usagers ou clients- témoignent de l’excellence par les invitations (y compris les réélections…), les citations, les publications et communications, les critiques de publications… D’autres marqueurs classiques de l’excellence académique (rang de sortie ou d’admission aux établissements les plus sélectifs…), admission dans les conseils d’administration, etc…

On ne peut accepter que la compétence minima soit un critère suffisant pour être élevé à la plus haute institution de notre pays. C’est une injure à l’excellence, une incitation négative à la jeunesse pour qu’elle se dépasse et cherche à atteindre les cimes du savoir et du dévouement à la société.

3. De la notion de personnalité

Dans son mémoire adresse à la CC en réponse au recours contre sa nomination, Mme Lamatou Nassirou écrit « Selon le dictionnaire Larousse, une personnalité est une personne ayant une haute fonction (souligné par nous).

A la suite du Conseil des Ministres en date du 15 novembre 2007, j’ai été nommée par décret présidentiel en qualité de Directrice des Ressources Humaines au Ministère en charge de la Famille. Cette nomination en Conseil des Ministres m’attribue, aux termes de l’article 56 ci-dessus cité, la qualité de « Haut Fonctionnaire » et par conséquent de Personnalité »

Il ne nous a pas été possible de retrouver la définition de personnalité citée par Mme Nassirou, ni dans le Larousse, ni dans le Robert, dictionnaires communs de la langue française. En effet Larousse dit  « personne connue (souligné par nous) en raison de ses fonctions, de son influence »…le petit Robert dit « personne en vue, remarquable (souligné par nous) par sa situation sociale, son activité »

Le tour de passe-passe –sans compter la citation tronquée ou mensongère- qu’opère Mme NASSIROU est révélateur de son mépris anti-démocratique de l’opinion publique (cf. sa référence à « une certaine opinion publique vacillante changeant au gré des individus qui l’animent « -dire que celle la va défendre la démocratie et les libertés !)  Et se résumeà ceci «  On est personnalité parce que nomméeen conseil des ministres et non parce que reconnue par ses pairs ou le plus grand nombre ». Dans la conception qu’implique le mémoire, le statut de personnalité ne s’acquiert pas par sa propre activité et talent, son mérite et la reconnaissance publique de cette activité, de ces talents et ces mérites, mais ce statut est confèré en conseil des ministres.

Là où le constituant a voulu donner la légitimité du nominé par la référence à une forme de reconnaissance sociale ou populaire, (personne connue, personne en vue –gbeto noukoun dedji comme on dit en Fon), les caciques veulent définir la personnalité comme n’importe quel courtisan nommé en conseil des ministres indépendamment de ses qualités et de la reconnaissance de celles-ci par une plus ou moins large section de la population ou à tout le moins de sa profession. Si le constituant avait voulu faire nommer des « hauts fonctionnaires », l’article 115 de la constitution aurait stipule « 2 hauts fonctionnaires ou 2 hauts cadres du secteur privé ».

Que Mme NASSIROU donne aux juges constitutionnels et au public béninois les éléments qui fondent sa reconnaissance dans le public ou la profession des gestionnaires de projets ? A –t-elle des certifications de gestionnaire de projet comme celles du PMI, de l’IPMA, de l’ICEC , ou PRINCE2 traduisant une reconnaissance minima dans la profession de gestionnaire de projet ? A –t-elle produit des ouvrages de référence en la matière ? A-t-elle été active (membre de conseil d’administration ou autres) dans des associations professionnelles de gestionnaire de projet ou spécialiste de développementlocal ? Est-elle une militante associative active et reconnue des droits des enfants et de la femme ? On n’est pas personnalité en secret dans le jardin du président….

La notion de personnalitéutilisée par le constituant renvoie à l’idée de reconnaissance sociale ou par les pairs. Il implique des compétences exceptionnelles mises au service du bien commun à l’échelle de la société ou à tout le moins de la profession.

4. De l’expérience professionnelle et de l’âge des juges constitutionnels

Dans le mémoire de réponse de Mme NASSIROU (cf. DCC 13-061), Mme Lamatou pour justifier sa nomination comme sage a l’âge de 41 ans évoque les élections des bébés dictateurs au Togo (Faure) et en RDC (Kabila), ouvrant une fenêtre inquiétante sur ce que sont ses références en matière de démocratie, de sincérité des élections et de protection des libertés publiques.  Qu’un juge constitutionnel au BENIN donne de tels exemple suffirait à la disqualifier comme protecteur des libertés et de la constitution. Poussant plus loin son manque de modestie, Mme Lamatou compare sa nomination à l’âge de 41 ans à l’élection de Barack Obama comme « sénateur » a l’âge de 36 ans. Petite correction factuelle pour Me Lamatou qui prend des libertés avec les définitions : Obama a été élu state Senator–sénateur local – (pas US Senator, pas juge constitutionnel, bien loin de l’institution suprême qu’est le conseil constitutionnel)dans un organe législatif  dont le pouvoir et le rôle ne peuvent être comparés à celui d’une CC.

Rappelons à Mme Lamatou que Barack Obama outre qu’il est diplômé de Columbia et Harvard Law comme Juris Doctor, fut rédacteuren chef de Harvard Law  Review (preuve de leadership et excellence académique, 1er noir a être élu rédacteur en chef de HLR) comme nombre de juges constitutionnels, a enseigné le droit constitutionnel à Chicago Law School (une des 5 meilleures Law School du pays) pendant 13 ans et exercé comme juriste . Rappelons surtout à Mme NASSIROU que Barack Obama n’a pas attendu d’être nommé en conseil des ministres, mais s’est investi comme activiste dans la défense des plus pauvres à travers notamment des campagnes d’inscriptions sur les listes électorales, avant d’êtreélu sénateur sur la base de la reconnaissance acquise –pas attribuée en conseil des ministres.

Mme NASSIROU nous renseigne assez peu sur son expérience professionnelle, que ce soit à travers son curriculum vitae, ou son mémoire en réponse au recours devant la CC. Mme NASSIROU affirme de façon péremptoire :

« Personnalité de grande réputation professionnelle » ? je le suis sans aucun doute, comme l’a su très bien apprécier souverainement le Président de la République. En effet, cadre de l’Administration béninoise, j’ai occupé les fonctions de Directrice des Ressources Humaines (DRH) au Ministère en charge de la famille où j’ai géré la carrière de tout le personnel dudit Ministère représenté dans toutes les communes du Bénin y compris celle des quatre Ministres qui se sont succédé à la tête de ce Département Ministériel. «

A la lecture de cette autoglorification on est tenté de croire que l’expérience professionnelle de Mme NASSIROU se limite à la gestion des personnels du Ministère de la Famille… On eût aimé avoir des éléments quantitatifs et qualitatifs permettant de mesurer la complexité de cette tâche (nombre d’agents, budget géré etc…). MmeNASSIROU dit avoir collaboré au Projet Clef (Children Learning and Equity Foundation) /USAID sans que l’on sache son rôle, responsabilité, attribution, encore moins le caractère exceptionnel de sa contribution.

On ne trouve nulle part le nom de Mme Lamatou dans la liste des personnels  clef du projet, ni dans  celle des consultants béninois du projet (Agniola Badarou, Rebecca Dossou Gbete,  Dr. Lydie Pognon, Dr. Christophe Oku…) –page 16-17 du rapport du projet CLEF (http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PDABU268.pdf )

On apprend au détour de publications qu’elle fut chef d’équipe pour une enquête démographique et de santé pour l’USAID en 2006… Comme preuve de compétences avérées pour siéger à la CC, il y a mieux…

Des informations plus consistantes qu’un certificat de services rendus aideront les citoyens dans l’appréciation des qualitésprétendument exceptionnelles de la nominée.

Dans l’extrait de la réponse du président YAYI au recours qu’on peut lire dans la décision DCC 13-061 il est écrit  « que la nomination de Madame Lamatou Nassirou a été faite en vertu des dispositions de l’article 115 de notre Constitution et que les critères qui ont prévalu à ce choix procèdent de sa « foi en la République, une et indivisible et dont les institutions doivent être animées par des femmes et des hommes mus par les valeurs éthiques et morales d’intégrité, de transparence, de bonne gouvernance, d’obligation de résultat, de reddition de compte et de lutte contre la corruption et l’impunité. » ; qu’il précise que la nomination de Madame Lamatou Nassirou obéit à ces exigences qu’il considère comme cardinales et qui transparaissent à travers son parcours marqué par ses multiples expériences professionnelles et ses compétences avérées »

Le président YAYI dans sa réponse, nous offre des considérations générales sur la probité morale de Mme Nassirou, considérations qui ne sont étayées par aucun élément factuel ;  de la mêmefaçon il fait référence à ses multiples expériences professionnelles et compétencesavérées, sans d’une part nous dire ce qu’elles sont, ni en quoi elles sont exceptionnelles (ou simplement au-dessus de la moyenne) pour justifier l’élévation au poste de juge constitutionnel à l’âge de 41 ans avec un DESS en Gestion de projet local, sans expérience civique, élective ou autres

L’appréciation  « souveraine » du président de la république doit êtrebasée sur des faits et non son bon vouloir. Les juges constitutionnels ont le devoir d’apprécier si la caractérisation de grande réputation professionnelle est basée sur des faits : citations d’ouvrages ou de publications, enquêtes d’opinions,  positions électives, présences répétées dans les organes dirigeants d’organisations professionnelles et civiques (etc…). Le juge constitutionnel nomme au titre de « personnalité de grande réputation professionnelle « doit pouvoir apporter à la cour une perspective unique que n’apportent pas les juristes en se basant sur des qualités exceptionnelles (excellence académique et/ou ou professionnelle), un vécu riche de par des contributions exceptionnelles à la société ( comme élu, gouvernant, activiste de la société civile etc…) lui permettant de communiquer au CC les attentes, perspectives et contraintes vécues par le peuple…

Il n’est certes pas nécessaire d’être du troisième ou quatrième âge pour être juge constitutionnel, mais le rôle central de la CC comme « garant des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques », statuant obligatoirement sur les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat (art 117 de la constitution), impose que les gens qui y sont nommés –inamovibles pour 5 ou 10 ans – soient d’un calibre supérieur par leurs  facultés intellectuelles, leur contribution prouvée à la cause de la protection des libertés individuelles et publiques, à l’avancement de la démocratie. La cour constitutionnelle n’est pas une brigade des mœurs ou un escadron anti-corruption. Sa mission essentielle –voire unique- est de veiller au respect de la constitution et à la protection des libertés individuelles et publiques. Le choix des juges doit se faire en fonction de cette mission et de la capacité à l’assurer. Tout autre considération d’équilibre de genre ou d’origine ethnique doit lui êtresubordonnée.

Charles C Lokonon
Politologue

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