«Le remplacement affirmé du préambule autorise … une nouvelle République» Moïse Lalèyè (Suite et fin)

Dans notre parution d’hier, nous vous avons proposé la lecture d’une première partie du point de vue du constitutionnaliste Moïse Lalèyè, sur le projet de révision de la Constitution qui défraie actuellement la chronique au Bénin.

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Dans cette première partie, le professeur de Droit public et de Sciences Politiques, à travers une analyse logique et hautement juridique du nouveau projet de loi portant révision de la Constitution du Bénin, a relevé quelques incohérences. Il a surtout noté des facteurs tels que : la modification du préambule, l’insertion de l’initiative populaire, et un certain démantèlement ou affaiblissement méthodologique du pouvoir législatif. Autant de facteurs qui, selon lui, appellent inévitablement une nouvelle constitution et, par conséquent, une nouvelle République. Dans la deuxième partie de son point de vue, que nous publions ci-dessous, le professeur de droit constitutionnel aborde le dernier point de son analyse, avant de formuler quelques suggestions, aux fins d’éviter une révision totale de la Constitution du 11 décembre 1990, à des fins opportunistes. (Lire la suite de l’analyse et les suggestions).

Des incongruités juridiques

L’article 18 nouveau induit une troisième prorogation de la détention préventive ;

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la non définition des compétences institutionnelles de la Cour Constitutionnelle et de la CENA en matière de préparation, d’organisation et de supervision des élections ;

la déclinaison aussi détaillée de la composition des membres de la CENA qui demeure avant tout un organe d’opérationnalisation des activités électorales ;

la Chambre des Comptes assiste le gouvernement et l’Assemblée : incompatibilité avec les principes de l’indépendance d’une juridiction ;

la représentation équitable (art 82 nouveau) contrastant avec la tradition en cette matière recherchant une légalité constitutionnelle à travers la fixation d’un mode de scrutin ;

l’ouverture à l’acquisition des biens publics pendant l’exercice de mandat (article 52) qui contrarie le souci de l’amélioration de la bonne gouvernance qui justifie entre autres la reforme entreprise ;

l’ouverture du délai article 50 nouveau 90 jours après, etc…

Toutes ces incongruités, comme soulignées, se notent pêle-mêle et mettent en lumière, pour l’essentiel, un déséquilibre des pouvoirs au profit de l’Exécutif et de la Cour Constitutionnelle.

L’un dans l’autre, les dispositions du projet comme exposées, conduisent au fond à un glissement insidieux vers l’établissement d’une nouvelle Constitution, par conséquent, l’entrée inexorable dans une nouvelle République. En tout cas, du point de vue constitutionnel, il est difficile de soutenir le contraire. En effet, et à titre illustratif, l’introduction de l’initiative populaire comme envisagée par le projet fait perdre au régime de la démocratie représentative précédemment établi toute sa signification et sa substance constitutionnelles. Il s’opère ainsi la mise en application d’un régime semi-direct inconnu de la Constitution de 1990. Avec ce nouveau régime, le mandat parlementaire devient ipso facto et de jure impératif contrairement à ce qu’avait consacré la Constitution de 1990. Les pouvoirs du parlement sont progressivement anéantis par des dispositions, comme celle contraignant l’Assemblée à voter en priorité les projets de loi. Le caractère non impératif du mandat législatif est définitivement aboli. Dans ce contexte, quel est le sort réservé au régime présidentiel (quand bien même c’est un présidentialisme) ? Que dit-on du principe de la séparation des pouvoirs ? Nul ne pourra soutenir, le cas échéant, le principe d’amendement de l’ancienne Constitution dans ce contexte de révision totale de la Constitution de 1990 à travers le démantèlement méthodologique du pouvoir législatif.

Dans tous les cas, le remplacement affirmé du préambule autorise l’existence d’une nouvelle Constitution, partant celle d’une nouvelle République. Evidemment l’édifice constitutionnel est ainsi atteint. Dès lors, le prétexte de l’existence d’une constitution nouvelle devient une réalité.

Au travers de cette analyse, il convient de faire à présent quelques propositions aux fins d’éviter une révision totale de notre Constitution à des fins opportunistes.

II- Suggestions

Il serait souhaitable :

1) d’exiger l’évaluation  de la pratique constitutionnelle au Bénin depuis plus de 20 ans;

2) d’exiger l’exposé clair et concis des questions constitutionnelles, puis celui des principes à la base de la révision projetée ;

3) d’exiger la levée de la contrainte de la décision DCC 06-074 du 08 juillet 2006 qui, bien que critiquable, s’impose aujourd’hui dans notre droit constitutionnel ;

4) d’exiger enfin la vulgarisation du projet avant même sa recevabilité ou son éventuelle adoption par le parlement.

Conclusion

La révision entreprise est davantage préoccupante dans un contexte de refondation de la République. Les quelques modifications sus énumérées entraînent évidemment au bout du compte une révision en profondeur du système présidentiel, par conséquent entachent substantiellement le régime consacré par la Constitution de 1990. Dans ces conditions, l’on pourra s’en prévaloir pour justifier l’établissement d’une nouvelle constitution, par suite revendiquer la naissance d’une nouvelle République. A l’occasion, des « experts internationaux » seront appelés à la rescousse d’une Cour constitutionnelle peut être déjà toute acquise pour flouer le peuple béninois.

Dans tous les cas, la pratique démocratique enseigne que la Constitution établie ne peut être modifiée que lorsque :

les circonstances et les faits l’exigent, ou

la volonté des gouvernements ou les sentiments des gouvernés y poussent en toute responsabilité et transparence pour le bien de la collectivité nationale.

Il s’ensuit que dans une démocratie qui se veut telle, l’établissement ou la révision d’une Constitution chaque fois, constituent des actes de portée très grave qui ne sauraient souffrir d’une légèreté populiste ou de l’assouvissement d’un intérêt inavoué ou inavouable des gouvernants. C’est d’ailleurs pourquoi, le peuple doit d’une manière ou d’une autre y être associé. Ainsi, la révision, un acte hautement solennel en dernière analyse, relevant et engageant le peuple, ne peut se conduire comme il est aujourd’hui proposé. Donc, s’insurger contre la méthode obscurantiste, soutenu par un juridisme constitutionnel éculé reste un devoir citoyen que tout patriote devra accomplir. Douter des bonnes intentions des dirigeants réformateurs ne résulte point d’un acte anachronique ou d’une rébellion d’arrière-garde, mais participe d’une responsabilité historique que tout citoyen doit pouvoir assumer, en ce moment où la loi fondamentale s’en va être révisée.

Moïse Lalèyè,
professeur de Droit public et de Sciences Politiques

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