Transmission au Parlement du projet de loi portant révision de la Constitution : voici la preuve que le Gouvernement a violé la Constitution

Dans la transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution, le Gouvernement n’a pas respecté la procédure prévue en la matière, par la Loi fondamentale elle-même. Mais, cela a attiré l’attention de très peu d’observateurs de la vie politique béninoise, tant les débats se sont focalisés sur l’opportunité ou non de la révision de la Loi fondamentale, ainsi que la méthode nécessaire pour une révision «sans problèmes».

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Il aura fallu la vigilance de citoyens avertis, comme le juriste Serge Prince Agbodjan, connu pour ses analyses pertinentes sur les grands dossiers de l’actualité nationale, pour que l’on découvre qu’il y a un vice de procédure dans la transmission du projet de loi à l’Assemblée Nationale. Prince Agbodjan fait constater qu’avant d’envoyer le projet de loi aux députés, le Gouvernement n’a pas pris l’avis motivé de la Cour Suprême. Ce qui est une violation des articles  105 et 132 de la Constitution du 11 décembre 1990, et un manquement à deux jurisprudences de la Cour Constitutionnelle en la matière. Conséquence logique de ce vice de procédure : Le projet de loi portant révision de la Constitution est nul, non-avenu et contraire à la Constitution. Il devrait être déclaré tel par la Cour Constitutionnelle déjà saisie à cet effet. Ci-dessous l’intégralité de la réflexion de Prince Agbodjan, suivie des décisions préalablement rendue par la haute juridiction en la matière.

Décret n° 2013-255 du 06 Juin 2013 portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin

PROJET DE REVISION DE LA CONSTITUTION DU 11 DECEMBRE 1990 : UN PROJET MORT-NE !!!

Depuis le 06 Juin 2013, l’actualité au Bénin est caractérisée par le projet de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990. Les Etats-majors des parties politiques se prononcent pour ou contre ce projet de révision. Les éminents juristes du pays en font une analyse surtout sur ses conséquences. On parle de nouvelle République ou non ! Certains citoyens se livrent à des marches pour soutenir le projet. Même si pour l’instant nous n’avons pas encore remarqué la marche de ceux qui sont  contre cette révision (ce qui normalement devrait avoir lieu si notre démocratie est effectivement en marche comme on aime si bien le dire), la question qui nous interpelle sur cette actualité est de savoir si le projet de loi tel qu’envoyé à l’Assemblée Nationale le 06 Juin 2013 est conforme à la Constitution.

L’analyse juridique de ce projet de loi envoyée par le gouvernement le 6 Juin 2013 révèle que la procédure exigée par la Constitution du 11 Décembre 1990 n’a pas été respectée en la matière. Cette situation de méconnaissance de la Constitution amènera inéluctablement une fois encore la Cour Constitutionnelle déjà saisie sur la question  à déclarer contraire à la Constitution  ce projet de loi. Cette décision qui va sans doute tomber dans les jours qui viennent va une fois encore reposer la question du fonctionnement des services de la Présidence qui devrait être pour nous, le haut lieu du professionnalisme, de la rigueur et de la qualité dans le traitement des affaires de la République.

Comment expliquer qu’au niveau de cette première institution de notre pays (la Présidence) l’on ne fasse pas attention à notre loi suprême dans toute sa rigueur ?

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Le décret n° 2013-255 du 06 Juin 2013 portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin comporte un vice qui a été toujours sanctionné par la Cour Constitutionnelle. Les décisions DCC 99-043 et 01-026 en disent long.

En effet, selon l’article 105 alinéa 2, « …Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres, après avis motivé de la Cour suprême saisie conformément à l'article 132 de la présente Constitution, et déposés sur le Bureau de l'Assemblée Nationale… ».

Il est donc clair et sans ambages qu’avant qu’un projet de loi ne soit pris en compte par l’Assemblée Nationale, il doit remplir la formalité constitutionnelle obligatoire qu’est l’avis motivé et préalable de la Cour Suprême. Cette procédure exigée à l’article 105 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 est  non négociable et n’est assortie d’aucune dérogation. La Cour Constitutionnelle l’a toujours rappelé à travers ces nombreuses décisions notamment les décisions DCC 99-043 du 4 Août 1999 et DCC 01-026 du 16 mai 2001. La jurisprudence constitutionnelle béninoise est pourtant claire sur la question  et les nombreuses décisions de la Cour Constitutionnelle même celle rendue par la Cour à laquelle avait appartenu l’actuel Président le professeur Théodore Holo, révèle que les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres, après avis motivé de la Cour Suprême.

Comment expliquer que ce projet de loi du 06 juin 2013 ait été  envoyé à l’Assemblée Nationale  sans passer par cette exigence constitutionnelle pourtant claire ?

Cette situation de méconnaissance de l’article 105 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 avait déjà été observée dans le premier projet envoyé à l’Assemblée Nationale. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au décret de transmission du premier projet qui nulle part n’a fait cas de cet avis préalable de la Cour Suprême. Heureusement que pour diverses raisons, ce premier projet ait été retiré.

Une fois encore, le gouvernement du Président Boni YAYI vient de récidiver en oubliant que la constitution du 11 décembre 1990 a des exigences et que tous les citoyens ont  la possibilité de saisir la Cour Constitutionnelle sur toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ses dispositions.

Doit-on encore rappeler que l’article 3 alinéa 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose que « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires aux dispositions de la Constitution sont nuls et non avenus » !

L’analyse du décret  n° 2013-255 du 06 Juin 2013 portant transmission à l’Assemblée nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin révèle clairement que le gouvernement avant sa session du 06 Juin 2013 n’a pas cru devoir soumettre le projet de loi à la Cour Suprême pour obtenir son avis motivé. Les visas du décret du 06 juin 2013 en témoignent. On note :

  • Vu la loi n° 90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ;
  • Vu la proclamation le 29 mars 2011 par la Cour Constitutionnelle des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 13 mars 2011 ;
  • Vu le décret n° 2013-008 du 5 Février 2013 portant composition du Gouvernement ;
  • Vu le décret n° 2007-491 du 02 Novembre 2007 portant attributions, organisation et fonctionnement du Ministère de la Justice, de la législation et des droits de l’homme ;
  • Sur proposition du garde des sceaux, Ministre de la Justice, de la législation et des droits de l’Homme, Porte-parole du gouvernement ;
  • Le Conseil des Ministres entendu en sa séance du 06 juin 2013 décrète :……

Si l’avis motivé de la Cour Suprême avait été sollicité, l’on aurait noté avec suffisance dans le visa de ce décret du 6 juin 2013 la phrase classique que nous connaissons et  qui est sur les décrets de ce type «  après avis motivé de la Cour Suprême ». Cette mention manque et montre clairement que le gouvernement n’a pas pris le temps de se conformer à l’article 105 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990.

Pour se convaincre de l’inexistence de cet avis de la Cour Suprême, il faut se référer à l’ensemble du dossier transmis à l’Assemblée Nationale. Nulle part, il est mentionné dans l’ensemble du dossier transmis à la représentation nationale, l’avis motivé de la Cour Suprême.

L’inexistence de ce document important et constitutionnel de la Cour Suprême dans le dossier transmis à l’Assemblée Nationale confirme clairement que cette formalité substantielle, préalable et obligatoire  n’a pas été respectée par le gouvernement avant la prise du décret n° 2013-255 du 06 Juin 2013 portant transmission à l’Assemblée nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin.

Est –ce un mépris à la Cour Suprême ou un oubli ?

Comment expliquer au niveau de la Présidence de la République, que l’on puisse oublier une pareille exigence constitutionnelle alors même que la Cour Constitutionnelle  dans sa décision DCC 99-043 du 4 août 1999 a clairement jugé que …….l’avis de la Cour Suprême constitue une formalité substantielle  préalable et obligatoire. Que cette formalité n’ayant pas été remplie, il y a vice de procédure et qu’il s’ensuit que la loi ….votée est inconstitutionnelle.

En s’abstenant de prendre cet avis de la Cour Suprême, le décret n° 2013-255 du 06 Juin 2013 portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin viole la Constitution et ne saurait être prise en compte par le Président de l’Assemblée Nationale et par  la Présidente de la Commission des lois de la représentation nationale.

Le non respect de cette formalité est une méconnaissance de la Constitution du 11 décembre 1990. Il ne s’agit nullement  d’une interprétation de la constitution qui peut faire l’objet de revirement jurisprudentiel. L’article 105 alinéa 2 est si clair sur la question que les sages ne sauraient refuser de dire le droit et rien que le droit puisque la discussion au sujet de cette question procédurale est préalable à toute étude de projet de loi. Son irrecevabilité, s’il n’est pas soulevé d’office par le Président de l’Assemblée Nationale, ni par la Présidente de la Commission des lois peut être faite par les députés membres de la Commission des lois. 

Puisque la Cour Constitutionnelle est déjà saisie sur la question, l’absence d’action au niveau de l’Assemblée Nationale ne devrait pas empêcher le retrait du décret du 06 juin 2013.

Pour nous, le Président de l’Assemblée Nationale devrait déjà relever ce vice de procédure en lieu et place de son communiqué  de presse du  27 Juin 2013 dans lequel il accuse réception du décret             n° 2013-255 du 06 Juin 2013 en précisant « qu’il s’est réjoui du fait que le Chef de l’Etat n’a opéré aucune modification du projet qu’il avait introduit à l’Assemblée Nationale en novembre 2009. C’est mot pour mot le même texte dans lequel les options fondamentales de la Conférence des Forces Vives de la Nation sont sauvegardées… ». Le Président de l’Assemblée Nationale ajoute « qu’il faut procéder à la révision de la Constitution béninoise pour corriger les insuffisances constatées jusque-là et introduire les innovations indispensables en vue de se conformer aux exigences du monde actuel, notamment la création et la constitutionnalisation de la Cour des Comptes et l’imprescriptibilité des crimes économiques. Ces deux innovations majeures font certainement peur à des concitoyens qui ont donc choisi d’intoxiquer les populations à travers la presse… »

Dans les missions constitutionnelles de l’Assemblée Nationale, il est prévu le contrôle de l’action gouvernementale. Dans l’exercice de cette mission constitutionnelle  dévolue à notre Assemblée Nationale, la première action devrait être de vérifier la conformité et ou la recevabilité des textes envoyés par le gouvernement  par rapport à notre loi fondamentale. Cela suppose que le communiqué de presse du Président de l’Assemblée Nationale devrait être d’abord la vérification de la conformité du décret du 6 juin 2013 ou bien sa recevabilité. Ne pas faire ainsi pose pour nous de graves inquiétudes dans l’accomplissement de la mission constitutionnelle dévolue à la deuxième personnalité de l’Etat.

Cette inquiétude est justifiée car les délais constitutionnels sont régulièrement remis en cause. C’est le cas du délai de promulgation des lois par le Président de la République. Certaines lois adoptées par le parlement sont promulguées après le délai constitutionnel des 15 jours sans que le Président de l’Assemblée Nationale ne mette en œuvre  ses prérogatives constitutionnelles  prévues à l’article 57 de la Constitution du 11 décembre 1990.

De quoi avons-nous peur lorsqu’il s’agit de faire respecter notre loi fondamentale qui reste et demeure la norme sacrée c’est-à-dire le pacte sacré qui nous unit ?

A l’étape actuel et en attendant la décision de la Cour Constitutionnelle sur la question, le projet de décret doit être purement et simplement retiré pour permettre à la Cour Suprême de donner son avis motivé sur ce projet important qu’est la révision de la Constitutionnelle.

Dans sa décision DCC 06-074 du 8 juillet 2006, la Cour Constitutionnelle a érigé le consensus en principe à valeur constitutionnelle, donc obligatoire pour toute révision. La recherche de ce  consensus passe par l’obtention de l’avis motivé d’une institution aussi importante qu’est la Cour Suprême installée à la suite de la  Conférence Nationale à travers la Constitution du 11 décembre 1990.

N’est-il pas prévu dans cette révision la mise en place d’une Cour des Comptes ?

N’est- ce pas la Chambre des Comptes de la Cour Suprême qui veut être muée en Cour des Comptes ? Pourquoi ne pas alors avoir l’avis de cette haute juridiction sur ce projet ?

Qui mieux que la Cour Suprême peut nous édifier sur comment orienter la réforme de la Cour des Comptes pour son efficacité ?

Passer outre l’avis motivé de la Cour Suprême sur un projet de révision de la Constitution  peut amener à penser que le projet de révision cache d’autres intentions que seul les politiciens au pouvoir sont sensés connaitre. Ce projet en l’état est un projet mort-né si entre temps l’on ne se conformait pas à l’article 105 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990.

Chercher à réviser la constitution du 11 décembre 1990 est une chose mais déjà l’appliquer strictement dans toutes  ses dispositions en est une autre.

Cessons donc avec cette méconnaissance de notre loi fondamentale car les problèmes pour le développement de notre pays ne sont pas seulement les insuffisances de nos lois mais surtout leur stricte application. L’exemple sur l’imprescriptibilité des crimes économiques dans le projet de loi portant révision de la Constitution  en est une belle illustration.

Sinon pourquoi allons-nous chercher à rendre les crimes économiques imprescriptibles dans notre projet de révision de la Constitution alors même que la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin  stipule déjà en son article 21; que les crimes économiques (Corruption et autres infractions connexes…) sont imprescriptibles.

Qu’avons-nous déjà fait de cette disposition qui pourtant est dans notre droit positif depuis le 12 octobre 2011 ?

Arrêtons de chercher notre mal ailleurs, il est pourtant là près de nous.

Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste.

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