L’escargot se mange sans sa coquille : episode 4

Résumé : dépossédé de la moto avec laquelle il se rendait à son rendez-vous amoureux à Cotonou, Jérémie entreprit de se venger sur le premier venu en le braquant avec un pistolet en plastique. Manque de pot, la personne sur qui il tombe n’est autre que la femme du Commandant de Brigade de la localité. Assommé, il se retrouve justement dans le bureau du gradé.

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Quand il se réveilla, il se surprit dans une salle étrange, un bureau aux murs décorés d’une photo du Président de la République et celle du Commandant de la gendarmerie, un galonné au nez rond et gras de « yovo doko ». Au milieu, une table sur laquelle des dossiers, criblés de poussière, s’étageaient jusqu’au plafond ; il y avait aussi des bouteilles de bière cadavérées, une assiette dans laquelle s’ennuyaient des restes de riz et une cuisse de volaille ratatinée. Des fourmis, en bande, étaient en train de faire festin autour.

De ses yeux, Jérémie fit le tour de la pièce et vit, derrière la table, la silhouette étriquée du Commandant. C’était un minuscule bonhomme, à peine détaché du sol, mais affalé, enroulé dans son fauteuil tel du « lio kamblado ». Une espèce de Michel Gohou moins la bosse. Il avait le haut des lèvres écrémé d’une mousse de bière et un cure-dents, long comme une machette, était calé dans sa bouche. 

-Ainsi donc, fit l’homme, les deux pieds posés sur la table, ainsi donc, tu as braqué ma femme avec un jouet…

L’ex-escroc tressaillit de tous ses membres. Sa femme ? Lui, Jérémie, avait braqué l’épouse du Commandant ? Oyééégué ! Comment se fait-il que, de tous les gens « braquables » du ciel et de la terre, il ait pu jouer autant de maladresses et de malchance pour tomber sur l’épouse de la personne à ne jamais attaquer ? Si ses poignets n’avaient pas été cadenassés par les menottes, il se serait giflé un million de fois pour se convaincre qu’il avait royalement merdé. D’ailleurs, il commença à se demander si dans l’histoire des plus grands loosers du monde, il n’était pas champion hors catégorie.

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-Pardon, commandant, supplia-t-il, larme à l’œil, pardon, suis prêt à tout pour…

-Ta gueule !

Le commandant fait partie de ces chefs qui, certes, n’ont pas le physique de l’emploi, mais qui peuvent vous dézinguer la gueule rien que par une allonge de karaté ou une prise de Mawashi. Jérémie, pour avoir, dans une autre vie, fréquenté commissariats de police et brigades de gendarmerie, connaissait bien ce type d’individus. Dans un passé récent, cet homme, parait-il, aurait pendu par le nez un chef de gang qui, lors d’un interrogatoire, montrait trop de virilité à son endroit. Mais, lui, Jérémie n’était pas un adepte de la contestation ; bien au contraire, il était prêt à s’aplatir à ses pieds, prêt à lui lécher les babouches, prêt à brouter sa merde, prêt à insulter le Bon Dieu devant le Pape, pourvu qu’on le relâche.

-Tu sais quoi, reprit calmement le Commandant, en se levant, je m’en fous si tu as braqué ma pouf-pouf de femme, ce dont je veux que tu me causes, c’est ça !

Il lui montra la photo en papier glacé de Josée. L’ex-escroc reconnut-là, le cliché que la jeune femme lui avait donné lors de leurs premiers deals amoureux. Josée y campait la pause de la vraie vamp, les mains posées sur les hanches, les lèvres tatouées de rouge, le décolleté aussi large que le boulevard Vêdoko. Quand il se retrouvait dans la déprime, Jérémie aimait bien se branler le moral rien qu’en regardant cette photo. La coquine avait même déposé dans un angle trois mots innocents : « love me tender ». 

-Dis-moi, reprit le gendarme, on a retrouvé cette photo sur toi, qui est cette fille ? Attention à ce qui va sortir de ta bouche.

Au Bénin, on dit des corps habillés qu’ils ont un goût effréné des femmes qui se situerait au-dessus de la normale nationale. Vu la manière dont le Commandant s’attachait à l’affaire, Jérémie sentait qu’il y avait anguille sous pagne. Il ne serait pas surprenant que ce type comptât sous ses oreillers les odeurs affolantes de sa copine. Quoi lui dire alors ? Qu’elle était vraiment sa « kponkpon ma tchiko » à lui ? Folie !

Une coulée de sueur dévala aussitôt de son front pour venir s’articuler sous son menton.

-Cette fille, c’est…c’est ma sœur, mentit le jeune homme.

-Ta quoi ?

-Ma sœur !

Aussitôt, une explosion de rire secoua la pièce. Le Commandant ouvrit sa gencive au plafond, se tint le ventre, se gondola comme un ver de terre tombé dans du sel. Puis, au bout de son hilarité, il se saisit de son portable et appela :

-Josée, c’est moi, je veux que tu viennes au bureau…Quelque chose de bien drôle à te montrer…Oui…Sur le champ…Tu ne veux pas prendre les sous que tu m’as demandés la dernière fois ? Très bien. A toute…

Jérémie soupira. La sueur redoubla de plus belle sur son corps. Malgré la température polaire du bureau – la seule chose qui marchait véritablement dans la pièce – la chemise lui collait à la peau. En bon langage de connaisseur, c’est ce qui signifie « se faire cuire au feu sans casserole ».

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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