L’escargot se mange sans sa coquille : episode 3

Résumé : Jérémie Lankoukou, chômeur invétéré de son Etat a rendez-vous avec la fantasque Josée pour une nuit de romance. De Porto-Novo où il vit à Cotonou où réside la belle, il a emprunté la moto d’un ami pour couvrir la distance Malheureusement, une urgente envie l’oblige à s’arrêter et à aller dans la brousse.

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Un voleur qui passait par là en profite pour lui chaparder la moto. Jérémie bondit sur ses jambes au même moment où il entendit le vrombissement de la moto. Les fesses nues, il sortit du buisson et vit un type menu, arqué sur l’engin, en train de s’éloigner. Sa voix, aussitôt, défia l’air :

-Olé ! Olé !

Jamais de sa vie, ses jambes n’avaient avalé autant de mètres en une fraction de secondes. Même Usaint Bolt, aligné sur la foulée, en aurait eu pour son arrogance. Jérémie parvint à agripper la moto par le siège. Le voleur répondit en faisant zigzaguer le véhicule, un coup à gauche, un coup à droite, double coups à gauche, double coups à droite. L’ex-escroc résista, subit la danse du Ziglibitti pendant quelques secondes. Mais voyant que ses genoux, contre la face rugueuse du goudron, subissaient tous les affronts saignants, il dut abandonner la partie et laissa partir l’inconnu. Un inconnu repérable à ses dreads-locks  enrobés dans un bonnet aux couleurs de la Jamaïque. Un rasta bandit ? Haïlé Sélassié, Père et Mère Jah du ciel, où êtes-vous ? 

Jérémie était presque sur les genoux après sa course folle. Il souffla, cracha, voulut injurier le Ciel et Le mettre en demeure de lui retrouver le « Dream » volé. Mais pareille demande serait interprétée comme une impolitesse notoire vis-à-vis de la barbe du Très Haut, ce qui risquerait de le priver du paradis si jamais ses deux pieds atterrissaient là-bas. Mais fallait qu’il réfléchisse quand même à la question : pourquoi le sort l’a-t-il dépossédé ainsi de cette moto chèrement acquise par son ami et pourquoi le destin voulait-il le priver du « popi » amidonné de Josée ?

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Il se redressa, debout au milieu de la chaussée, pantalon et caleçon à mi-cuisses, réfléchissant au moyen par lequel il se sortirait d’affaires. Il ne remarqua même pas les yeux ébahis que jetaient sur lui, à leurs passages, les usagers de la route surpris qu’un homme expose ainsi à tout vent des bijoux de famille aussi mou que du gombo mal cuit. D’ailleurs, lui-même s’en foutait, vu que la diarrhée s’était estompée et que l’envie d’aller chercher de nouveau ses intestins dans le buisson lui était déjà passée.

Mais, bonne mère ! Il avait tout perdu : les vingt-cinq mille francs empruntés, son portable, son caleçon de rechange, quelques brics et brocs, le tout emballé dans un petit sac et mis en bandoulière sous le guidon de la moto. Seul, lui était resté dans la main, un sachet, le sachet de jouet qu’il avait réservé pour Kébir, l’enfant de Josée. C’est l’unique objet qu’il a réussi à récupérer sur le siège-arrière de la moto. 

Il défit le sachet, prit le pistolet, voulut le jeter dans la brousse quand brusquement, une idée saugrenue lui effleura le tourniquet. Et si, avec cette arme en plastique, il commettait un larcin, un braquage, enfin, un truc pas très sérieux, juste une façon de se payer, de se rembourser du vol dont il avait été l’objet ? Non, mais, pourquoi pas ?

Il n’allait quand même pas renoncer aux jambes galbées de sa précieuse, revenir à Porto-Novo et dire à son ami que sa moto a été chapardée. Etienne Gbomitan, serait capable, avec le sourire, de l’enflammer dix mille fois avec son essence kpayo. Mais en attendant qu’il le crame, fallait qu’il tente quelque chose. Mais qui ou quoi braquer ?

Après une demi-heure de trotte, il arriva à Sèmè devant une supérette au nom bien curieux de Mamie Goloto. Un dessin, sur le fronton de l’établissement, renseignait bien sur le physique de la propriétaire des lieux : une femme ronde au visage poupin servi par des lolos « calebassés » qui faisaient peser sur sa camisole l’équivalent de deux briques pleines. Pas du tout le genre de Jérémie. Les tendrons, lui, il les aimait « lèbentissi » – minces jusqu’à la transparence. Pas avec des armes de séduction massive, mais juste des pom-poms durs et bien élastiques servis aux bons endroits.

Jérémie remarqua à l’entrée de la supérette la présence d’un vieux pépère, un ancien combattant de la guerre d’Indochine, flanqué de son attirail classique: képi, tenue kaki, godasses, la poitrine décorée de mille médailles. Assis contre le mur, il somnolait, à la suite d’une cuite au « tchoukoutou », un dodo tranquille en attendant qu’une autre guerre, la troisième sans doute, vienne le réveiller. Ses ronflements, faits de sifflements aigus et de bruits de trombone, remplissaient tout le périmètre.

L’ex-escroc ignora sa présence et entra dans la supérette. Il fit à peine deux pas qu’il s’arrêta. Un comptoir, long de dix coudées, occupait la moitié de l’établissement. Jérémie jeta les yeux partout, mais n’y trouvant personne, se mit à crier :

-Qui est là ? Y a quelqu’un ?

Apparut brusquement, par une porte qui s’ouvrait sur la droite, la Mamie Goloto en question, une femme mafflue, exacte réplique du portrait de l’enseigne. Elle était noire comme l’intérieur d’un trou, fardée comme une squaw en guerre, avec sa jupe-pagne stricte qui faisait presque exploser ses culottes de cheval. Jérémie ne se priva pas d’admirer ces « nageoires » ; il aimait bien palper et savourer de telles courbes, à condition qu’elles ne figurent pas sur des « grosso modo » comme elle.

-Pourquoi cries-tu comme un possédé ? jeta la dame à son adresse. Que veux-tu ?

-Ce que je veux ?

Jérémie ne savait plus ce qu’il voulait. Ou plutôt, il avait perdu sa langue. Si, dans une autre vie, il avait été escroc, jamais il n’avait osé braquer un homme, encore moins une dame, même si celle-ci lui paraissait trop rembourrée. Mais fallait aller jusqu’au bout de sa logique. De l’argent, il lui en fallait et Mamie Goloto semblait, rien qu’à vue d’œil, en détenir dans ses caisses.

-Haut les mains ! cria-t-il aussitôt en sortant le pistolet en plastique.

-Comment ? tressaillit la dame, ébahie.

-Ceci est un braquage, donne-moi les sous !

-Quels…quels sous ?

-Dans la caisse, les sous qui sont dans les tiroirs !

Tremblante, Mamie Goloto ouvrit les deux tiroirs encartés dans le comptoir côté propriétaire. Mais là-dedans, il n’y avait que des cuillères, des fourchettes, un décapsuleur, des carnets de reçus et autres vieux documents. Déçu, Jérémie pointa le canon du jouet sur le front de la dame.

-Ouvre ton soutien-gorge, l’argent est là.

-Mon… quoi ? s’émut Goloto.

-Dépêche-toi, déballe les billets que tu as mis-là !

Pudique, la propriétaire de la supérette hésita à se dénuder la poitrine. Mais sous la pression de l’ « arme », elle dut dégrafer son soutien. Et ses seins, pleins comme deux balles de fripes, se déversèrent sur le comptoir.

-Mon Dieu ! s’écria Jérémie.

Jamais, il n’avait vu un débarquement mammaire aussi impressionnant. Tétanisé par le spectacle, il resta là, debout, se demandant s’il s’agissait bien des seins de femme ou d’une déferlante d’obus. Mais déjà, un homme s’était discrètement glissé dans la supérette et s’était positionné dans son dos, le bras levé. Jérémie sentit son ombre et se retourna. Trop tard. C’était l’ancien combattant. Muni d’un bâton, celui-ci racla ce qui lui restait de force dans le bras et lui asséna un coup sur le crâne. Jérémie chancela et tomba.

-Bien fait, jura le vieil homme,…echpêche de…de couillon, bandécon !

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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