L’escargot se mange sans sa coquille : episode 5

Résumé : Dépossédé de la moto qu’il a empruntée pour se rendre à Cotonou chez Josée, sa chérie, Jérémie braque une supérette avec un jouet. Mais bien vite, il est assommé et se retrouve devant le Commandant d’une Brigade. Un commandant qui trouve dans ses poches un cliché de Josée. Pour en avoir le cœur net, il appelle alors la jeune femme.

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Combien de temps dura le calvaire de Jérémie dans le bureau du Commandant ? Une heure, deux, trois ? Jamais, les aiguilles, sur sa montre-bracelet, ne lui avaient semblé aussi paresseuses. Il avait même l’impression qu’elles avaient déroulé leur natte invisible quelque part et avaient décidé de faire la sieste là-dessus. 

Mais pendant l’attente, le Commandant, lui, n’était pas resté inactif. Toutes les minutes, ses agents investissaient son bureau pour venir lui montrer des choses aussi incongrues qu’irréelles : les restes d’un voleur cramé par une population en délire ; des moignons de testicules d’un époux volage aux prises avec sa femme jalouse; des morceaux de bras de bagarreurs se disputant à la hache une parcelle ; le « pagne » d’un oiseau-sorcier rattrapé par l’aube ; la soutane d’un prêtre fuyant la colère d’un homme l’ayant surpris avec sa fiancée…Bref, la broussaille de faits divers était si dense que le sous-officier, s’il y jetait un œil, même distrait, risquerait d’y perdre son latin. 

Il jugea alors prudent d’affecter certaines de ces affaires à ses subordonnées. Lui, il était à la veille de sa retraite et ce n’est pas en se coltinant des maux de tête du genre qu’il mettrait du zomi sur son abobo.

Au bout de quelque temps, Jérémie ressentit une giclée d’adrénaline supplémentaire dans la raie dorsale: des bruits de pas d’une femme s’étaient mis à marteler le sol. C’étaient des « kan-ko » ! « kan-ko» ! de talons aussi pointus que le bout d’un bistouri avec des écarts réguliers dignes d’une démarche de grande dame. Jérémie ne pouvait ne pas reconnaître les pas de sa délicieuse Josée. Ou il mourrait aujourd’hui ou la mort attendrait qu’il se fasse de vieux os avant de le consommer corps et biens.

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La porte d’entrée du bureau s’ouvrit. Dans l’encadrement, la lolita : fine comme une guêpe de Zogbodomey, avec un pantalon serre-cul, un blue-jean qui vous moule le popotin, dessinant le moindre frou-frou du muscle fessier à chaque mouvement des hanches. Ses épaules nues, juste emmaillotées par de petites bretelles d’une camisole rouge qui l’étranglait à la poitrine, montraient une peau délicate, claire certes, mais d’une texture fine, si fine qu’on croirait du sable de plage peigné par les vagues de la mer. Et que dire de ces lèvres gourmandes, ces suceuses ourlées de rainures, Mon Dieu ? Elles étaient, dans leurs contours irréguliers, soulignées au noir, bordeaux à l’intérieur, un rien de brillance en sus, mais capables d’avaler une montagne. Josée n’était pas seulement une vamp dans les clichés ; au naturel, elle arborait la posture d’une tueuse, avec ses grands yeux aux cils longs colorés de bleu, son port altier, sa manière de tenir en bandoulière son sac à main comme un pistolet. Ah, Jérémie, rien que pour la consommer du regard, serait capable de cotiser six ou sept mois de salaire.

-Ah, ma petite ! cria le Commandant en se levant dès qu’elle entra dans le bureau. Tu m’as manqué.

-Et moi donc, Commandant, je… 

Elle voulut dérouler son exubérance, déployer les bras, offrir les joues pour des kiss-kiss sonores, mais elle se rendit soudainement compte qu’ils n’étaient pas seuls, qu’il y avait dans la pièce un quidam assis, les mains violemment ficelées. Jérémie, en la voyant entrer, avait tourné la tête ailleurs, contre le mur. Curieuse, la jeune femme s’approcha et le reconnut. La surprise lui noua la gorge. Troublée, elle voulut masquer sa gène et se dépêcha de jeter un baiser sans sel, ni piment sur la joue creuse du Commandant.

Celui-ci, debout et face à elle, parut encore plus menu. On dirait, dès qu’il toise une femme, que sa taille se rapetissait tandis que Josée, juchée sur ses talons-pilotis, semblait s’allonger à l’infini au point de toucher le plafond.

-Assois-toi, ma chérie, fit obséquieusement le gendarme en lui présentant une chaise.

La jeune femme n’eut pas le temps de s’installer sur le reposoir indiqué. Le Commandant avait déjà appuyé une touche de son portable qui, aussitôt se mit à crépiter. C’était le morceau que l’on joue pour demander à une jolie qui vous trompe, de rembourser les investissements que vous avez consentis pour elle. Les gars de H2O, le groupe éponyme du rap béninois, se mirent à scander :

« Pim-pim tché ! Oyegéué ‼

Nayi tchindji tché ! Oyéguééé ‼

Pim-pim tché ! Oyéguééé ‼

Nayi affokpa tché ! Oyéguééé !

Pim-pim tché ! Oyéguéé ‼

Nayi sika tché ! Oyéguéé ‼

Mais Josée avait une réputation : c’est quand on veut lui désosser la coquille qu’elle se montre particulièrement teigneuse. D’un seul geste, elle pointa son indexe sur le Commandant en même temps qu’elle le darda, l’incendia de ses œillères fulgurantes :

-CB, tu ne m’a pas fait venir ici pour m’humilier, hein ?

-T’humilier ? fit le gendarme faussement indigné, de quoi parles-tu ? Si tu as reconnu quelqu’un ici, ce n’est pas ma faute. Tu confirmes donc.

-Confirmer quoi ?

-Il dit, ce type, qu’il est ton frère !

Quelques secondes d’hésitation pesèrent sur ses lèvres, puis elle répondit :

-Non, ce n’est pas mon frère !

-Ah, c’est bien ce que je pensais, s’enthousiasma l’autre.

-Oui, Commandant, par contre, lui et moi, on fait la chose !

-Quelle chose ?

-Ce que toi et moi, on fait !

Le Commandant ne s’attendait pas à cette riposte. C’était plus qu’une branlée, l’équivalent de vingt coups secs sur la nuque. Jamais une femme, même en « tchanka », n’avait osé l’affronter de façon aussi saignante. Il tituba, puis fit mine de se jeter sur l’effrontée pour lui administrer la raclée du siècle. Mais la douleur l’avait déjà atteint au cœur. L’air lui manqua, son souffle hoqueta, il tournoya sur lui-même avant de s’écrouler, front contre sol, terrassé par un malaise cardiaque.

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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