L’escargot se mange sans sa coquille : fin

Outrée par le comportement de son amant, Josée demande à Jérémie de vider les lieux. Le jeune homme accepte, mais à condition qu’il partage avec elle les billets qu’elle a soutirés des tiroirs du commandant. Face à son refus, Jérémie lui arrache son sac et en renverse le contenu au sol. Au même moment, apparaît un rasta, qui se met à ramasser les sous. Dans son entrain, un objet lui échappe, c’est la clé d’une moto. 

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Jérémie recueillit la clé, la regarda en tous sens. Pas besoin d’aller l’examiner au laboratoire pour constater qu’il s’agissait du contact du Dream volé. Car, la clé portait un anneau au bout duquel pendait un minuscule zizi en plastique, avec les deux petites boules nerveuses. En plus, il était doté d’un sifflet encastré dans le méat. Ce qui, dès la moindre pression, vibrait et retentissait. 

Lankoukouet le rasta se regardèrent pendant un moment. Chez les Ivoiriens, on dit « zyeux voient zyeux, bouche ne peut pas parler ». Traduire : le langage des yeux est plus expressif que les paroles. Jérémie se leva, s’assura que les billets grappillés étaient bien dans ses poches, puis s’avança vers le rata.

Depuis le vol, à part son bonnet pointu, sa silhouette gondolée, Jérémie ne savait pas à quoi ressemblait son délinquant. Il n’avait même pas eu le temps d’imaginer de quel rasta-banditisme il était l’adepte. Son visage, en lame de couteau, était rayé d’une petite forêt de barbe irrégulière, absorbant un menton aussi pointu que l’aiguille d’un compas. Malgré son jeune âge, il était sec comme un criquet.

-C’est donc toi ? lui lança Jérémie, furieux.

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-Quoi, moi ? lui renvoya le rasta.

-Ma moto ce matin à Semè !

-My God !

Le bonhomme n’attendit pas. D’un saut de félin, il fit deux grands pas en arrière, atteignit la porte d’entrée qu’il ouvrit rageusement avant de prendre ses jambes au cou. Josée ne comprenait rien à ce qui se passait. Elle échangea un regard trouble avec Jérémie, voulut demander si son cousin et lui avaient élevé des cochons ensemble quand l’ex-escroc s’engagea dans une course folle. En quelques écarts de jambes, il était déjà sorti de la pièce.

La nuit avait commencé à obscurcir la nature. Dans la cour de la maison, les bonnes femmes continuaient à vaquer à leurs occupations. Malgré la fraîcheur qui, petit à petit, étranglait le quartier, celles qui avaient laissé leurs roploplos à l’air libre, ne crurent pas utile de porter camisoles ou de se couvrir de pagnes. Sous l’éclairage pâlot des néons de contrefaçon venus du Nigéria, elles poursuivaient leurs entrains, mettant le dernier coup de main à leurs activités.

Le rasta sautait plus qu’il ne courait. On dirait même qu’il typait au sol comme une balle de tennis. En quatre ou cinq cabrioles, il était déjà au portail. Jérémie ne le lâcha. Au contraire, il était toujours sur ses traces, traversa la cour, puis prit, comme lui, le chemin du portail. Mais le fuyard redoubla de foulée. Le sentant irrattrapable, Jérémie cotisa ses forces et hurla:

-Olé ! Olé ! Mi xloui ! 

Mais aucun locataire de la maison n’alla pas à son secours. Les bonnes femmes, comme habituées à ce spectacle de mecs se disputant le popi de Josée, le regardaient courir en riant. Jérémie parvint tout de même à atteindre le portail et déboucha dans la rue. Une rue également rembrunie par les ombres et par l’absence, dans le ciel, d’une lune même en petit croissant. 

Au bout de quelques mètres, l’ex-escroc s’arrêta. Impossible de continuer. Le rasta a eu le temps de se diluer dans le décor. Des gens, sur les trottoirs et même sur les chaussées, étaient occupés à réfléchir à comment manger ce soir-là plutôt que de vouloir arrêter un hypothétique voleur. Debout au milieu des pavés, l’ex-escroc scruta le lointain, et ne voyant aucun bonnet de rasta, se mit à le maudire. Des noms d’oiseau fleurirent sur ses lèvres.

Quand il n’eut plus de souffle pour l’injurier, Jérémie se retourna et se rappela qu’il avait gardé en main, la clé contact du Dream. Le bandit avait-il laissé quelque part la moto avant de se pointer chez Josée ? D’ailleurs, quel genre de relation tricotait cette intrigante avec lui ? Elle l’a appelé cousin ? Hem…hem, la connaissant, il se pourrait que ce cousinage relève plutôt du « baisouillage »! De toutes les façons, il allait retourner chez elle, la prendre au collet et lui filer deux bonnes beignes. A moins qu’elle soit son complice et qu’elle ait réussi, entre-temps, à disparaître corps et popotins. 

Jérémie s’enhardit, franchit le seuil du portail, se dirigea vers la chambre. Mais soudain, stupeur. Contre le mur de clôture, à quelques mètres à gauche de l’entrée de la chambre, une moto, un Dream. L’ex-escroc se frotta les yeux, se demandant si cette vision était réelle ou s’il était le jouet d’une hallucination. Il s’approcha, examina l’engin, puis appuya brusquement sur la clé-contact. « woin ! woin ! réagit aussitôt la moto. Il répéta le geste. Le Dream lâcha le même éclat de sirène, avec, les lumières jaunes de ses clignotants.

-Est-ce qu’on peut parler ?

Jérémie s’effara. Cette voix… Il leva la tête et vit en face de lui, Josée adossée à la porte. En quelques minutes, la coquine avait changé du tout au tout. Drapée d’une robe sombre en contraste avec sa peau claire, elle laissait entrevoir, au dessus d’une culotte à ras de peau, un nombril aimanté d’un bijou, avec, tout autour, de longs poils frisés. Tout son être, tout son corps semblait vouloir dire « viens me consommer tout de suite ». Mais Jérémie fit semblant de n’y trouver aucun intérêt bandant.

-Tu veux qu’on parle ? répéta l’ex-escroc, sourire goguenard sur les lèvres.

-De quoi ? s’étonna faussement Lankoukou.

-Viens d’abord à l’intérieur, lui rétorqua la jeune femme. Ce n’est pas au dehors que ça va se faire.

Elle s’offrait cadeau, la coquine. Il avait rêvé d’elle, fantasmé sur son gogo, imaginé ses hurlements sous la couverture ; à cause d’elle, il a pris des risques, essuyé des coups, manqué de peu de se faire cramer. Malgré tous ces efforts, elle l’a jeté sur les décharges comme de la viande faisandée. Maintenant qu’elle semblait compromise dans le vol de cette moto, elle essayait de l’amadouer, en lui faisant croire qu’elle lui ouvrait tout « gbadja ».

-Gbadja gbadja nè nagni non olo ‼ (je m’en fous de ton ouverture), lui jeta le jeune homme.

-Quoi ?

-Ma chérie Joséphine dite Josée, tu sais ce que je fais de ton popi ? 

Il sautilla sur place et se mit à piétiner le sol.

-Oui, je la piétine, ta foufounette, je crache là-dedans, je lui dis merde, garde la, je n’en veux plus.

La jeune femme ne réagit pas. Elle se contenta de le regarder s’agiter, s’offrir tous les noms et verbes pour lui dire son dégoût, son écœurement. Et quand il en eut assez, il se jeta sur sa moto, l’alluma, puis la fit vrombir. La couche de sable qui tapissait la cour ne lui fit pas obstacle. Il la fendit, laissant derrière lui, les autres locataires de la maison, qui, spontanément se mirent à l’applaudir. 

Il voulut se retourner pour leur demander le pourquoi de ces acclamations, mais quelque chose lui dit « à quoi bon, mon salaud ? » Oui, à quoi bon aller se coltiner de nouveaux maux de tête ?

Discrètement, il se glissa dehors, dans la rue, heureux de s’être rempli la poche avec les billets, mais surtout, surtout heureux d’avoir récupéré le Dream. 

A peine s’éloigna-t-il qu’il vit, venant en sens inverse, une voiture de type militaire. Ses yeux devinrent plus gros, deux, trois fois la taille de leurs orbites: à bord du véhicule, il crut voir un homme, la tête engoncée dans une casquette sombre. C’était le Commandant sans doute revenu de la mort ou du coma. A ses côtés, une femme ronde, débordant de tous côtés, fardée et colorée comme un sapin de noël. Impossible de ne pas reconnaître Mamie Goloto. 

La voiture, conduite par un chauffeur apparemment sur les dents, vint s’immobiliser violemment devant la maison de Josée. Oui, ça risquait de castagner.

Et Jérémie n’était pas peu content d’avoir quitté les lieux. « L’éléphant qui a un gros bijou dans l’entrejambe, se dit-il en souriant, ça fait l’affaire de qui? »

Embrayant à fond, il bondit et disparut dans la nuit. 

FIN (Enfin)

<<Episode précédent.

Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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