Projet de révision de la Constitution : cessez de mentir au peuple Béninois

Par décret N°2013- 255 du 6 Juin 2013, un projet de Loi portant révision de la Constitution du 11 Décembre 1990 a été déposé à l’Assemblée Nationale par le Gouvernement du Bénin. Depuis lors, presque toute l’actualité politique nationale tourne à ce jour autour de ce sujet : des déclarations pour, des déclarations contre ; des marches pour, autorisées ;

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des marches contre, interdites. Il s’agit d’un débat profond, engageant l’avenir de la démocratie béninoise et qu’il faut éviter d’escamoter.

I- Consensus et démarche consensuelle : s’inspirer de la Conférence Nationale et de la Transition.

Par décision DCC 06-74 du 8 Juillet 2006, la Cour Constitutionnelle a jugé que le consensus qui a présidé à l’adoption de notre Constitution du 11 Décembre 1990 suite à la Conférence Nationale des Forces Vives est un principe à valeur constitutionnelle. Cela veut dire que toute révision de notre Constitution ne peut être faite que s’il y a accord, c’est-à-dire consensus de notre peuple sur la nécessité de la révision, sur les sujets et objets d’une éventuelle révision. Dans tous les cas, cela veut dire qu’aucune révision de notre Constitution ne peut se faire sur la base de la seule volonté imposée d’une fraction quelconque du peuple et des acteurs de la vie politique nationale. Globalement, il apparaît aujourd’hui que seuls sont d’accord pour la nécessité et l’objet de la révision le Gouvernement béninois, son Chef et leurs partisans (FCBE, partis satellites, marcheurs de tous bords, etc…). A l’opposé, il y a les grandes personnalités nationales, les partis d’opposition, les syndicats, des organisations de la société civile, le clergé catholique, etc. Bref, il apparaît clairement qu’à l’heure actuelle, le consensus ne semble pas possible sur la révision de notre Constitution telle qu’envisagée par le Chef de l’Etat et son Gouvernement. Pour la simple raison au moins que la notion de consensus exclut toute idée de rapport de force entre une majorité et une minorité, contrairement à ce que disent certains adeptes du forcing depuis quelques semaines.  Le consensus dans le cas précis en débat veut dire que de manière générale, l’accord est fait au sein des acteurs (Gouvernement, partis politiques, société civile, …) et du peuple sur la nécessité d’une révision, les points sur lesquels elle porte et les objectifs poursuivis. Une fois l’accord fait sur ces questions, le travail de rédaction est alors confié à une équipe de politiques, de techniciens et de représentants de la société civile rompus à la tâche.  Après quoi, viennent le temps d’une large diffusion et vulgarisation, du référendum ou d’un vote à l’Assemblée Nationale. C’est ce qui a été fait en 1990 par la Conférence Nationale et sous la Transition. Et c’est ce cheminement qu’il convient de suivre encore aujourd’hui. C’est le sens et la logique de la décision DCC-06-74 du 8 Juillet 2006.

II- Les principaux points du projet de révision

La Constitution béninoise du 11 Décembre 1990 est devenue une référence en Afrique. C’est tout à l’honneur de notre pays, de notre peuple et de ses dirigeants d’alors et aucune fraction de notre peuple (y compris les dirigeants) n’a le droit, sous quelque prétexte que ce soit, d’en imposer la révision à la hussarde. Bien entendu, les fondamentaux de la Constitution de 1990 doivent être sauvegardés dans tout projet de sa révision. Mais il ne s’agit pas seulement de la limitation d’âge et du nombre de mandats qui garantissent l’alternance au pouvoir. Les fondamentaux de notre Constitution de 1990, c’est également et d’aussi grande importance, les principes de séparation des Pouvoirs, les principes d’indépendance de la Justice, de liberté d’association, d’expression et d’opinion, de liberté de presse, etc…

Par rapport au texte du 11 Décembre 1990 le projet introduit principalement les innovations ci-après :

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– La reformulation du Préambule ;

– L’initiative populaire  des lois, à raison d’au moins mille (1000) citoyens par département et dont une loi organique précisera les modalités d’exercice de ce droit par eux (Article 105 nouveau) ;

– La constitutionnalisation de la Cour des Comptes (Titre VII Bis, Article 139 bis à 141 bis) ;

– La constitutionnalisation de la Commission Electorale Nationale Autonome (Titre X bis Article 147 bis à 151 bis) et de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI; Titre I Article 4 nouveau)

– L’imprescriptibilité des crimes économiques (Titre II, Article 16 nouveau)

III- Remarques sur les innovations  prévues par le projet de révision

On peut douter de la pertinence et de l’utilité de la plupart des innovations prévues dans le projet. En outre leur urgence, au point que le Président de la République et son Gouvernement croient indispensable de faire du forcing pour en réaliser l’adoption, n’est nullement évidente : vraisemblablement il y a anguille sous roche ! De même, on ne voit pas en quoi de tels amendements peuvent induire de façon quasi magique la croissance de notre économie, l’amélioration de nos pratiques politiques et de gestion, l’amélioration des conditions de vie de notre peuple. Pendant les cinq premières années de la mise en œuvre de notre Constitution du 11 Décembre 1990, il n’y a pas eu besoin de toucher à une virgule de ce texte fondateur pour obtenir les résultats qui font aujourd’hui encore la fierté de tout un peuple et de ses cadres :  par exemple le bond de 9 points du taux de croissance de notre économie, passé de -3% à +6%, le paiement des arriérés de salaires, le remboursement des prêts internationaux, le passage de la production de coton de quelques 120.000 tonnes à 400.000 tonnes par an, etc. La thèse selon laquelle le projet induit une « constitution de développement » est au mieux une grossière plaisanterie : le Royaume uni de Grande Bretagne n’a pas un texte écrit de constitution et pourtant c‘est un pays hautement développé !  À présent, considérons chacune des innovations :

3.1. on ne voit pas ce que la reformulation du Préambule par endroits apporte de mieux au texte de 1990. Elle consiste en effet en :

-l’irruption des termes ‘’transmission héréditaire du pouvoir’’ (1er tiret) et ‘’démocratie participative’’ (3è tiret)

– l’introduction de deux nouveaux tirets (les tirets 4 et 5) relatifs, l’un à ‘’…notre adhésion aux principes de la gouvernance démocratique et notre détermination à construire d’une part une administration au service de l’intérêt général et du développement… ‘’ et l’autre à ‘’…notre détermination à lutter résolument contre la corruption conformément à nos valeurs de civilisation, d’intégrité et de respect du bien public et sur le fondement des instruments juridiques internationaux, régionaux et sous-régionaux ratifiés par le Bénin…. et ont une valeur supérieure à la loi interne’’. Comme on le voit, il s’agit seulement d’aligner des mots et des phrases qui permettent juste le moment venu, c’est-à-dire une fois le projet de révision adopté, d’affirmer que notre pays est entré dans une nouvelle République. On devine aisément la suite.

3.2. on peut douter de la pertinence et du sérieux de l’initiative populaire de lois dans un pays à population à majorité analphabète et miséreuse, et donc manipulable à volonté par une classe politique sans scrupules comme le montrent marches, prières, pétitions, etc… organisées à la gloire du Chef de l’Etat pour un oui ou un non !

3.3. il n’est pas certain que la seule constitutionnalisation de la Cour des comptes, en tant qu’organe habilité au contrôle de la gestion des structures de l’Administration suffise à inscrire nos pratiques de gestion aux meilleures normes que ne le fait actuellement la Chambre des comptes de la Cour Suprême à laquelle elle va se substituer dans les faits. L’argument de directives de l’UEMOA paraît trop facile pour un Exécutif qui semble subitement se réveiller et découvrir l’UEMOA et ses exigences. En outre et jusqu’à ce jour, le Gouvernement et son Chef n’ont pas encore dit le nom d’un seul partenaire au développement du Bénin qui aurait coupé son appui budgétaire à notre pays au motif qu’il n’y a pas chez nous une Cour des Comptes en lieu et place de la Chambre des comptes de la Cour Suprême. Pourtant, une telle précision paraît nécessaire dans le débat en cours.

3.4. de même paraît léger l’argument selon lequel la constitutionnalisation de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) induirait de façon magique la qualité et la transparence des consultations électorales et la maîtrise de leurs coûts dans notre pays. Non ! La transparence des élections c’est d’abord une question de volonté politique des acteurs politiques à organiser des élections transparentes avant d’être une question technique. C’est ce manque de volonté politique d’élections transparentes et donc a contrario la volonté politique  sournoise des Acteurs  de gagner à tout et à n’importe quel prix les compétitions électorales, c’est-à-dire de faire des jongleries et des trucages, qui sont la base des élections non transparentes dans notre pays. L’institution CENA instrumentalisée à de telles fins n’est que l’arme fatale des tours de passe-passe anti-démocratie et ce n’est pas sa constitutionnalisation qui y changerait quelque chose en positif par enchantement.

Et quel besoin a-t-on de constitutionnaliser la LEPI, si ce n’est de faire de la nouvelle version de notre Constitution un fourre-tout juste bon à justifier le passage à une nouvelle République ?

3.5. enfin s’agissant de l’imprescriptibilité des crimes économiques, il convient de rappeler qu’une Loi a été votée par l’Assemblée Nationale en 2011 sur ce sujet. Il s’agit de la Loi N°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin. Quel bilan le Gouvernement a-t-il fait de la mise en œuvre de ladite loi depuis près de deux (02) ans ? Là encore, on ne voit pas réellement ce qui urge à ce point, alors que, si nécessaire, la logique aurait voulu  que la constitutionnalisation n’intervienne qu’après leçons tirées d’un bilan de mise en œuvre. Cela paraît évident.

IV- Alors que faire ? Propositions

4.1. S’agissant du projet de révision de la Constitution

 Apparemment, on nous cache les réels objectifs que poursuivent les acteurs politiques pour lesquels la révision de notre Constitution paraît constituer une question de vie ou de mort. Ils n’osent pas les afficher clairement et prennent les Béninois pour un peuple incapable de discernement à qui on peut faire croire n’importe quoi. Aussi, jurent-ils leurs grands dieux que le Président Boni YAYI n’a aucunement l’intention de s’accrocher au pouvoir et qu’il partira en 2016 à la fin de son second mandat. Disons-le clairement : il y a tous ces bruits autour du projet de révision de la Constitution parce que tout le monde est convaincu (y compris surtout ses partisans) qu’il nous prépare un scénario déjà expérimenté il y a quelques années au Niger et au Sénégal respectivement par les Présidents Mamadou TANDJA et Abdoulaye WADE : dès que la révision sera intervenue, les marcheurs professionnels seront déversés dans toutes les rues de toutes les villes et compagnes du Bénin pour dire que les pendules doivent être remises à zéro, c’est-à-dire que nous sommes désormais dans une nouvelle République et en avant pour la candidature du Président Boni YAYI à un nouveau mandat. La Cour Constitutionnelle qu’il vient  de mettre en place fera le reste. Elle qui, contre toute attente et en violation des dispositions de l’article 105, alinéa 2 de la Constitution du 11 Décembre 1990 vient de déclarer qu’il n’y a pas obligation que le projet de loi portant révision de la Constitution soit soumis à un avis motivé de la Cour Suprême par le Gouvernement. Maintenant que l’on sait que par lettre N°349/PR/CAB/SP-C de 19 Août 2013 (La Nouvelle Tribune N°2643 du 30 Septembre 2013) le Président Boni YAYI avait sollicité l’avis motivé de la Cour Suprême sur son projet, on voudrait bien savoir ce que disent à présent ses zélés serviteurs de la Cour Constitutionnelle. Décidément, la Cour Constitutionnelle actuelle aussi ‘’méconnaît’’ la Constitution.

Si le but visé par le forcing du Gouvernement et de son Chef n’est pas de flouer les Béninois, alors que le Président Boni YAYI  le prouve à son peuple:

 Soit en retirant son projet de l’Assemblée Nationale ;

 Soit en acceptant qu’il y soit porté des amendements dont ceux ci-après proposés par le Front des organisations nationales de lutte contre la corruption (FONAC) que nous modifions légèrement par endroits (cf Le Matinal N°4174 du 19 Août 2013) ;

• Garder le Préambule de la Constitution du 11 Décembre 1990 sans aucun amendement ;

• Compléter le projet de révision de la Constitution par les dispositions ci-après :

Article ….En aucun cas et sous aucun prétexte, nul ne peut se présenter à l’élection présidentielle au Bénin s’il vient de faire deux mandats successifs de Président de la République conformément aux dispositions de l’Article 42 de la Constitution du 11 Décembre 1990.

Article ……La présente loi portant révision de la Constitution entre en vigueur à compter du 6 Avril 2016.

4.2. S’agissant de la correction de la LEPI

Il est urgent de s’atteler à réaliser une correction de la LEPI de façon consensuelle et conforme aux normes. On sait maintenant que la version qui a servi aux élections présidentielle et législatives de Mars et Avril 2011 n’avait comme finalité que de reconduire à tout prix le Président Boni YAYI et de lui donner une majorité confortable à l’Assemblée Nationale.

Mais dans leur majorité, les Béninoises et les Béninois n’accepteront pas la réédition d’une telle farce électorale qui aurait pu mettre notre pays à feu et à sang.

Une correction urgente, conforme aux normes  et consensuelle de la LEPI est donc nécessaire et indispensable avant l’organisation de toutes autres prochaines consultations électorales ou référendaires au Bénin.

Cotonou, le 1er Octobre 2013

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