La fête de l’écrivain, le désert du livre

Les écrivains, d’ici et d’ailleurs, sont à l’honneur. Nous fêtons, en effet, avec eux, ce jeudi 7 novembre, la journée de l’écrivain. Une pause de 24 heures, dans une année de 365 jours, pour faire la lumière sur les gens de plume.  

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Ceux-ci s’illustrent, de mille et une manières, dans le vaste champ des activités humaines, à côté des membres des autres corps d’activités. Par ce qu’ils ont choisi d’être et de faire, les écrivains fixent dans la mémoire du temps leur perception des êtres et des choses. Ils ont vocation à se dire, à dire le monde autour d’eux. Ils partagent ainsi avec les autres leurs savoirs, leurs émotions, leurs convictions, leurs expériences. Ils sont un miroir dans lequel nous nous mirons.

Il est tacitement admis qu’on ne se proclame pas soi-même écrivain. Beaucoup l’ignorent. La capacité d’écrire pour émerger de la foule et retenir l’attention du flot continu de ce qui s’écrit, est un privilège. Ce sont les autres qui nous consacrent écrivain, nous concédant ainsi un label de reconnaissance. Voilà comment le public s’arme du pouvoir d’admettre un simple mortel dans le cercle enchanté des bienheureux. Ceux et celles-là qui gagnent le pari de l’éternité. Une œuvre survit toujours à son auteur.  

Il y a ainsi dans toute œuvre d’écrivain un signe de vie. Un peu à l’image d’une lampe qui ne devrait plus s’éteindre. Ce qui fait de l’écrivain, si l’on ose dire, un vivant, un vivant de longue durée ou à durée indéterminée. Il défie la mort. Il enjambe les ans et les âges. Sa production garde un parfum tenacement actuel, étonnamment pérenne. C’est bien là la raison pour laquelle depuis sa publication, il y a très exactement 75 ans en cette année de grâce 2013, Doguicimi, le célèbre roman historique de Paul Hazoumè, n’a ni entamé ni épuisé sa richesse de sens. Une richesse qui se renouvelle et s’étoffe au fil des ans.

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Et pourquoi en est-il ainsi ? Parce que les différentes générations de Dahoméens et de Béninois qui se succèdent découvrent et redécouvrent ce chef d’œuvre sous des jours toujours nouveaux. Aucune d’elles n’en fait la même lecture. Chacune d’elles le lit à la lumière de son vécu, de sa vision, de son ressenti, de ses réalités contextuelles et conjoncturelles. Et ce qui est vrai pour Doguicimi de Paul Hazoumè, l’est tout autant pour l’Aventure ambigüe de Cheikh Amidou Kane ou pour L’Enfant noir de Camara Laye.

Tout ce que nous venons de dire n’est pas loin de projeter l’écrivain comme un démiurge, ce dieu architecte de l’Univers de Platon, ce faiseur de miracles qui défie les lois naturelles. De même, l’univers du livre s’ordonne comme un monde d’excellence, un monde merveilleux. Tout être, sain de corps et d’esprit, devrait chercher à s’en approcher, à défaut d’y avoir accès.

S’il en est ainsi, pourquoi les Béninois, dans leur immense majorité préfèrent-ils se faire plutôt transitaires ou déclarants en douane qu’écrivains ? Nous entendons dire, dans un Bénin où le ventre est souvent premier, que l’écriture ne nourrit pas son homme. S’il en est ainsi, pourquoi le livre tient-il si peu de place dans les occupations et les préoccupations des Béninois? On soutiendra que pour la jeune génération des Béninois, plutôt un feuilleton venu des lointaines contrées latino-américaines qu’un bon livre. Au prétexte que le livre ne fait plus recette. Il a fini de se décomposer dans le passé composé.

Ce n’est là qu’une vision superficielle des choses. Le livre n’a rien perdu de ses droits dans l’esprit et dans le cœur des Béninois. L’écriture n’est pas pour les Béninois un exercice rébarbatif qu’ils chercheraient à fuir comme une maladie honteuse. Le statut de l’écrivain ne serait pas pour les Béninois un ridicule cache-sexe ou un fardeau insupportable.

Il ne tient qu’aux Béninois, nous semble-t-il, de remettre le livre à l’honneur, d’ouvrir des autoroutes d’opportunité à l’écriture et de faire retrouver aux princes des lettres que sont les écrivains leur pleine fonction sociale. Une proposition : dans le cadre d’une politique nationale du livre, commençons par expérimenter dans le secteur de l’édition, par exemple, le concept par trop galvaudé du « partenariat public/ privé ». Et cent fleurs vont aussitôt éclore. Parce que l’édition est le talon d’Achille de notre système du livre. Voilà ce à quoi s’attaquer pour que le reste nous soit donné de surcroît. Au Bénin, son lustre intellectuel perdu. Au Bénin, son aura littéraire ternie. Tout changerait alors du tout au tout au pays du changement. Et Dieu sait que les Béninois ne méritent que trop que les choses changent enfin que les choses changent vraiment.

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