Révision de la Constitution au Bénin : qui a mis le consensus dans la rue et quelle porte de sortie?

Le maitre mot aujourd’hui, c’est le consensus ; même celui qui n’a jamais été  à l’école  en aura entendu parler abondamment et le substantif lui est devenu familier. De la bouche des profanes comme de celle des politiciens, c’est le même langage. Mais pourquoi  se retrouve t-il ainsi dans la rue et qui l’y a mis?

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Les passions ont tellement  galvaudé et obscurci la notion  qu’il est bon   d’essayer de la dépoussiérer quelque peu afin de mieux la cerner puis de comprendre comment elle est devenue le point de mire de la révision constitutionnelle à telle enseigne qu’elle tend même à prévaloir sur le débat qu’il porte et à l’éclipser dans une certaine mesure. Les politiciens nous envahissent avec leurs arguments et leurs calculs; peut-être avons-nous besoin de prendre du recul  qui nous permette de faire nos opinions à l’abri de leurs pressions. Notre  réflexion n’a toutefois aucune prétention  normative : tant s’en faut ; elle vise tout simplement à parler un langage que le public comprenne et à apporter un tant soit peu sa contribution citoyenne à un débat bien difficile.

Un contexte  sociopolitique difficile

Dans un climat sociopolitique serein et détendu, les débats politiques sont d’ordinaire seins même si les intérêts partisans jouant, notamment la perspective de l’alternance, l’opposition  cherche à se démarquer de quelque manière  des positions du parti au pouvoir. En tout état de cause, ne s’agissant pas  d’une loi ordinaire mais de  loi fondamentale c’est-dire de notre Constitution qui devra nous gérer tous, quelle que soit notre obédience politique, toute passion devrait être absente des débats et ne devrait prévaloir que le raisonnement honnête dépourvu de toute recherche de clientélisme ou de règlement de compte.

Sauf perte de mémoire de notre part,  c’est la première fois de notre histoire politique que nous révisons une Constitution ; tout au moins depuis la Conférence nationale. Reconnaissons donc  humblement que nous sommes  novices en la matière et qu’elle peut se jouer de nous, rompus que nous sommes aux seules démarches et campagnes électorales. Ce projet de révision a tout loisir de se jouer  de nous d’autant qu’il a vu le jour  dans un contexte  sociopolitique bien tendu et que la politique s’y est discursivement mêlée. La confiance nationale reste  toujours ébranlée ; elle n’est pas retrouvée malgré, il faut bien le reconnaître, les efforts  du Chef de l’Etat pour la rétablir. La suspicion et la méfiance légendaires  dahoméennes devenues béninoises continuent de prévaloir. Le citoyen rechigne à faire confiance aux autorités à qui il a donné délégation pour le gérer tant en ses représentants qu’en l’exécutif ; et pour cause largement. L’ensemble du projet de révision de la Constitution  est alors affecté de ce coefficient de doute politique  que l’initiateur du projet a beaucoup de mal à dissiper : le débat est donc vicié.

Le projet continue de paraître à l’opposition comme un subterfuge tendant à la confiscation du pouvoir. L’enjeu n’est  plus la remise à jour de la Constitution ; il continue d’être «  partira ou partira pas » qui  tient toujours le haut du pavé en dépit de la récente contre offensive pourtant menée rondement par l’Exécutif : certains esprits n’en démordent toujours pas. La nouvelle donne  qu’il convient de reconnaître, c’est que les forces de l’opposition ont fini par semer le doute dans une bonne partie de l’opinion nationale et qu’elles se sont  assignées la tâche  de la  convaincre à ce qui a toujours été une certitude pour elles. Point n’est besoin de sondeur d’opinion pour s’en apercevoir : il n’est  que  de prendre langue avec l’homme de la rue.

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Dans cet environnement, les parties fourbissent leurs armes avec un sujet susceptible de semer la zizanie et de fâcher: l’équation du consensus devenue tout à la fois bouc émissaire et goulot d’étranglement. L’opposition s’en sert comme couverture, le plus qu’elle peut, pour mettre en difficulté et contrecarrer le projet ; la mouvance contre attaque  en renvoyant la problématique et la recherche du consensus à l’Assemblée nationale ; l’Assemblée nationale, qui par le truchement de la commission des lois et par  un concours de circonstances, il est vrai, n’a pu prendre ses responsabilités, mais nous donne l’impression d’hésiter en tout état de cause. Voilà de notre point de vue le triptyque politique dans lequel nous sommes enfermés ; un carcan que seul l’Assemblée nationale  a compétence de briser aux termes de la Constitution.

Où donc ce consensus est-il écrit se demande le citoyen lambda?

Lorsque nous faisons bonne lecture de la Constitution, notamment les trois articles  de son titre XI portant sa révision, nous ne voyons nulle  part le terme consensus ; et il est symptomatique que ce soit précisément à la faveur de la révision de la Constitution que le débat y afférent  surgisse.  

Le vocable est rentré brutalement en scène avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle   n° DCC 06-074 du 8 Juillet 2006 à la suite de sa saisine par une cinquantaine de requêtes sur la constitutionnalité de la prorogation par les députés de  leur mandat de quatre à cinq ans. La Cour a disposé dans  son dernier considérant ce qui suit:   ‘’La détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 Décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle’’  Et  nous y voici!

La Cour pose donc les principes suivants :

1) Ce dont il a été convenu à la Conférence nationale représente un idéal et un consensus national c’est-à-dire l’accord et le consentement du plus grand nombre des conférenciers. Cela présuppose que les 488 conférenciers représentaient  l’ensemble de la Nation béninoise et qu’ils ont été choisis en tenant compte de la représentativité de toutes les couches sociales. L’on peut  donc déduire qu’ils représentaient l’ensemble de la Nation et que, partant, ils ont pris les décisions en leur nom après discussions entre les différentes tendances présentes dans la salle. Ils ont donc abouti à des  accords négociés ; et ce sont ces accords-là qui constituent le consensus dont il est question. Nous faisions partie des conférenciers et tout cela parait serein et clair à notre entendement.

2) Le consensus national a valeur constitutionnelle : La Cour nous dit que le consensus ainsi obtenu a valeur constitutionnelle. Et le consensus à la Conférence nationale sur la durée du mandat des députés était de  4 ans. Prenant appui sur la souveraineté de la Conférence qui a défini les grandes orientations du renouveau démocratique, la Cour s’est donc  opposée à l’arrangement interne que tentait de  s’accorder les députés, au demeurant  en situation de juge et partie,   portant leur propre mandat de 4 à 5 ans.  C’est une décision de la Haute juridiction qui ne peut être remise en cause  frappée qu’elle est de l’autorité de la chose  jugée, pourrait-on dire.

Il est vrai qu’à la  lecture attentive  du titre XI afférent à la révision de la Constitution l’on n’y trouve pas le terme consensus mais l’esprit   y est pourtant et a l’insigne avantage d’être clairement matérialisé et concrétisé en l’occurrence  par la règle des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée. Au  lieu de cela,  qu’avons-nous donc à aller chercher un difficile  consensus sans visage et sans délimitation dans la rue ?

En tout état de cause si l’on voulait obtenir un consensus à la mode de la Conférence nationale souveraine, en faisant abstraction de la  Représentation nationale puisqu’elle lui parait se mettre en retrait de la situation, le citoyen lambda est fondé à se demander quoi de plus simple que de l’organiser de la même manière.  Constituer un panel d’individus représentatif des différentes couches sociales ; les rassembler en un endroit pendant une journée pour dégager le consensus.  Que ce serait facile et libérateur sans compter l’originalité qu’aurait la démarche ! La chose serait  d’autant plus aisé à faire qu’en l’état actuel du sujet, l’on peut considérer que l’opinion publique  est suffisamment informée et qu’elle sait maintenant peu ou prou  de quoi il en retourne. Au demeurant  il   est plus aisé de parvenir à un consensus dans une salle de conférence que dans l’espace national ou dans la rue, jouterait le citoyen lambda.  Une solution saugrenue certainement mais qui ne manque pas de bon sens dans la mesure où le débat est laissé à la rue.

Toutefois, si une digression nous était permise dans un sujet aussi sérieux que la révision de la Constitution, nous voudrions mentionner que ce lieu de rassemblement éventuel que recommande le citoyen lambda ne pourra plus être PLM Alejo puisque c’est désormais l’endroit où je vais m’approvisionner en légumes divers  auprès des jardiniers  chacun dans son cabanon ; c’est aussi l’endroit où mes petits- enfants vont faire du foot ball.  Au reste je  présume que ce n’est pas pour rien,  que  Cos Lepi n’a  plus voulu  y siéger et que le gouvernement a dû, à grands frais, mettre un autre bâtiment à sa disposition. Fasse le ciel que ce haut lieu, ce monument  de notre  histoire politique  ne continue pas de se vider ainsi de sa substance et disparaisse à jamais ! Il y a péril en la demeure, suffisamment  en tout cas,  pour justifier un mouvement en faveur de la restauration de ce site qui a abrité notre Conférence nationale souveraine. Il est vrai que l’on nous a promis depuis un certain temps déjà, la construction sur l’emplacement, d’un imposant complexe hôtelier mais la firme anglaise ou sud africaine se fait désirer apparemment. Trêve de digression dont nous  nous excusons encore une fois et revenons à notre préoccupation.

Nous nous demandions  alors  pourquoi le thème du consensus est dans la rue. La réponse est que la mouvance veut que son  projet connaisse une nette victoire et cela est politiquement correct pour un parti au pouvoir ; tandis que  l’opposition  dont le légitime objectif est l’alternance  y voit une tentative de revenir en force pour un troisième mandat d’autant que le rapport des forces dans l’hémicycle ne lui est pas favorable. Ne s’estimant pas suffisamment forte à l’Assemblée, elle  a eu également intérêt à  porter le projet dans la rue. Cela est politiquement correct tout autant. Les deux parties ont donc eu intérêt à mettre le débat dans la rue pour des raisons contradictoires, il est vrai. Elles y font ce qui devrait être fait dans l’hémicycle. Nous ne pensions pas si bien dire quand dans une réflexion antérieure, nous nous demandions si les députés étaient en mesure d’assumer leurs responsabilités dans cette affaire. Et ce n’est pas l’attitude sibylline que vient d’adopter  la commission des lois, il est vrai par un concours de circonstances,  qui pourra infirmer nos craintes.

En réalité le débat a été porté dans la rue par la volonté de la mouvance présidentielle comme celle de l’opposition ainsi qu’indiqué ci-dessus ; mais il y est maintenu  par dysfonctionnement de nos institutions. L’article  105 alinéa 2 de la Constitution dispose clairement que ‘’ les projets de loi sont délibérées en Conseil des Ministres après avis motivé de la Cour Suprême saisie conformément à l’article 132 de la présente Constitution et déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale’’. Des juristes de l’opposition ont   pris appui sur ce texte pour faire valoir le vice de procédure et demander le retrait pur et simple du projet. Deux recours en inconstitutionnalité ont donc été formés en Juillet 2013 contre le décret du Conseil des ministres portant transmission à l’Assemblée nationale du projet de loi portant révision de la Constitution. La Cour Constitutionnelle les a déboutés au terme de l’analyse des recours en se fondant principalement ‘’sur la suprématie de la Constitution dans le dispositif normatif de l’Etat’’ et  que pour marquer sa suprématie sur les autres normes juridiques, ’’la Constitution soumet sa révision à une procédure  spéciale, nécessairement différente de celle qui s’applique pour l’adoption et la modification des autres normes juridiques à savoir la loi et les règlements’’.

Ainsi que précisé à l’article 2 de sa décision,  la Cour a notifié les résultats de son analyse des recours aux deux requérants ainsi qu’à Monsieur le Secrétaire général du gouvernement et elle a prévu sa publication au journal officiel. Elle  n’en a pas saisi l’Assemblée nationale et ne lui a pas envoyé ampliation de sa décision, probablement par omission.

Toujours est-il que la commission des lois en a pris prétexte pour ne pas statuer sur le projet et faire une recommandation à la plénière de l’Assemblée nationale ajoutant de fait, peut-être à son corps défendant, un peu plus à la confusion qui règne dans la rue. Notre sentiment c’est qu’elle n’a pas fait beaucoup d’effort pour trouver un palliatif à cette situation de non notification en temps requise de la décision de la Cour constitutionnelle qui aurait dû l’amener à prendre ses responsabilités dans un sens ou dans un autre  et dénouer la crise. Entre-temps  le consensus est toujours dans la rue. Les membres de la commission ont a peut-être besoin du temps pour peaufiner leurs positions respectives.

Une proposition honorable de sortie de crise

Lorsqu’une partie propose  et que l’autre soupçonne sa proposition de subterfuge et que de surcroît cette dernière  réussit  à communiquer  ses appréhensions à la masse ; de deux choses l’une. Ou la partie qui propose arrive à convaincre de sa totale bonne foi et à faire disparaître discursivement  les appréhensions de l’autre partie et de celles de la société ou elle n’y arrive pas  et elle devra  battre en retraite ou tout au moins opérer un repli stratégique.  L’on peut battre en retraite  en retirant purement et simplement la proposition faite.  Politiquement parlant, cette solution n’est pas toujours acceptable pour la partie qui a proposé surtout si elle est au pouvoir ; et cela se comprend aisément. En politique nul ne veut rester avec le sentiment d’avoir perdu ; nul ne veut perdre la face. Alors il convient, si et si seulement la volonté de rapprocher les points de vue est réelle, de trouver un modus vivendi, une clause de sortie  honorable pour tous, qui n’engendre ni  dépit ni frustration d’un côté ni  triomphalisme ni nargue de l’autre. C’est pourquoi nous estimons que l’idée  qui circule à présent  pour une sortie de crise à savoir  mentionner dans le projet qu’en tout état de cause et quelques soient les circonstances, aucun Président de la République ne peut briguer trois mandats, est  excellente et  qu’elle mérite d’être soutenue. Elle est excellente parce qu’elle résout tous les problèmes, toutes les disputes et toutes les appréhensions. Elle est bienvenue parce que la proposition ne provient d’aucune des deux forces politiques en compétition. L’idée n’étant pas venue de  l’opposition, son acceptation par le parti au pouvoir témoignerait de sa  magnanimité, de sa hauteur tout en apportant concrètement la preuve de la  bonne foi qu’il a toujours clamé de ne pas chercher à briguer un troisième mandat. Mais nous sommes en politique et en ce domaine la logique n’est pas la chose la mieux partagée. Les deux parties semblent camper sur leurs positions respectives et elles utilisent la rue comme groupes de pression sur la commission des lois et l’Assemblée nationale à qui revient en définitive le dernier mot.

Nos disputes à la Fondation Friederich Ebert

Tenant compte de  la qualité des personnalités ayant participé à cette réunion  organisée généreusement pour elles par la fondation allemande; de leur provenance, de leur rang et de leur renommée, nous nous en  voudrions de porter quelque jugement de valeur sur leurs présences à cette réunion. Elles sont autrement plus responsables que nous et si elles se sont rendues là-bas, ce ne pouvait qu’après bonne réflexion avons-nous fini par nous en convaincre. De plus nous reconnaissons que nous sommes diplomate de la vieille école, tatillon et frileux  sur tout ce qui est souveraineté nationale  et qui s’apparente à l’ingérence ; mais les choses ont bien changé depuis lors, nous en convenons.

Cependant anxieux que j’étais  devant le petit écran qui transmettait l’événement en différé, je m’étais tout de même demandé ce que toutes ces sommités cherchaient en ce lieu. Je m’étais alors mis à rêver que si elles s’étaient déplacées pour s’y rendre au vu et au su de la communauté internationale, ce ne pouvait  que pour  faire une annonce spectaculaire qui aurait émerveillé le monde et fait honneur à notre pays dans un dialogue constructif. Du spectacle, je puis assurer que j’en ai vu  mais  du dialogue  je n’en ai point vu trace ; et  tant s’en est  fallu. Nous savons que tout contact même s’il n’est pas concluant immédiatement est toujours utile mais les positions nous paraissaient encore trop tranchées pour accepter cette invitation. A moins que l’objectif de la rencontre ait été de nous montrer clairement qu’aucune concession n’est possible entre les deux parties : auquel  cas elle aura été un succès remarquable.  Il demeure que nous devons saluer l’initiative de la Fondation ; elle aura été généreuse et saine.

Mais c’est  entre autres, pour éviter ce genre d’entremise gênante à bien d’égards que nous proposons à cors et à cri depuis un certain temps déjà la création d’une grande médiation de la République. Notre pays est un pays de crises et il faut une institution pour aider à leur règlement ; une institution de gestion des crises politiques. Le médiateur de la République est une institution administrative. La grande médiation de la République que nous proposons  sera une institution politique dont nous avons suggéré la composition et le fonctionnement en maintes occasions. C’est cette grande médiation qui aurait dû jouer le rôle qu’a voulu  la Fondation allemande , consciente qu’était  cette dernière du fait que nous n’avons aucune institution dans notre pays capable de le faire. Si au moins cela pouvait servir à quelque chose !

Ambassadeur Candide Ahouansou
Président de l’ONG Groupe d’Action pour une Meilleure Qualité de Vie

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