La chute du Roi Ubu

Ce jour vendredi 27 décembre, le Chef de l’Etat prononce son discours sur l’état de la Nation devant la Représentation nationale. A quoi s’attendre de la part de ce Président – qui amorce progressivement sa chute – si ce n’est la même litanie des promesses jamais tenues et des intentions de projets hélas jamais réalisés.

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On ne peut donc espérer tirer de ce classique rituel politique, la sincérité qui colle à la réalité quotidienne du Béninois. Passez donc votre chemin, Plébéiens et autres petits gens qui gagnez difficilement votre vie, souffrez les martyrs sous le joug d’une gouvernance exécrable qui a fini par révéler à ses derniers adeptes, et à la Communauté Internationale, son vrai visage. C’est vers Cotonou, loin du show présidentiel à Porto Novo, que les regards devraient être tournés. Ici, des milliers de travailleurs, de jeunes diplômés – évincés injustement après le dernier concours de recrutement au profit du ministère de l’Economie et des Finances, de femmes de marchés abonnées à la mévente, de travailleurs sevrés de pitance et contraints au chômage par des entreprises dont les patrons sont persécutés politiquement… bref, toute la «classe grognante» du pays sera dans les rues pour battre le macadam et crier haro sur le gouvernement et son Chef, Boni Yayi, devenu de plus en plus sourd aux jérémiades des populations. Cette marche sonne comme un réveil de la classe prolétaire du pays, restée depuis un moment amorphe face aux dérives du Pouvoir. Pendant plus d’un an, le pays tout entier a été tétanisé. Ce fut la période où le régime a atteint son âge d’or.

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Tout obéissait béatement à Yayi. Une armée d’une fidélité à la limite de la soumission, une opposition totalement affaiblie et désintégrée, des syndicats constamment persécutés et une Presse bâillonnée et contrainte à la propagande du gouvernement. Ses ordres et ses injonctions passaient comme une volonté divine. Quiconque ose s’y opposer est aussitôt broyé, réduit à sa plus simple expression. On lui trouve rapidement une «casserole», on lui colle une affaire sulfureuse, les griots du Pouvoir et les «fous du roi», prébendés par la Marina, se lancent à ses trousses pour l’intimider. Ce fut la saison où les hommes politiques passaient un à un au Palais, pour proclamer leur allégeance au Chef. Et nous voyons le Roi Ubu s’installer à la tête du pays. Progressivement, il réalise son rêve, celui d’accéder à un pouvoir absolu, et laisse libre cours à ses instincts les plus inavouables. Son pouvoir s’éloigne des principes démocratiques, interdit toutes manifestations de l’opposition et des syndicats, piétine les textes de la République et s’en prend à tous ceux dont les têtes ne lui plaisent pas. Mais, comme Achille, il avait son «talon». Son talon qui s’appelait curieusement Talon. Ce magnat du coton, aussi habile qu’intelligent, un self made man qui a bâti une grosse fortune en rôdant des les antichambres des Présidents. C’est lui qui, en 2006 comme en 2011, mettra la main à la poche pour financer ses campagnes. Grâce à sa fortune, il bénéficie de toutes les faveurs présidentielles. Obnubilé par le pouvoir, il se retourne contre son mentor, détruit ses affaires et tente de l’arrêter. Il comptait encore sur sa terreur et la force de répression de son régime. Mais, le 17 Mai, l’ordonnance inattendue de non-lieu d’un jeune Juge sur les affaires d’empoisonnement et de coup d’Etat – agitées après sa brouille avec son ami Talon – le ramène à la réalité d’un régime démocratique basé sur la séparation des pouvoirs. Depuis, Ubu s’est cassé les bras. Son régime a perdu sa force de terreur, et le courage est revenu au sein de la cité. Un à un, il perd ses soutiens politiques. La Justice résiste face à ses intimidations. La Presse retrouve de mieux en mieux son indépendance. Le Peuple se réveille à nouveau. L’Assemblée aussi, avec le vote négatif contre le Budget mal-conçu du gouvernement. La Communauté Internationale fatiguée de son pouvoir gangrené par la corruption et le népotisme, le lâche progressivement. La perte du second compact du Mca, les réticences de certaines Chancelleries occidentales vis-à-vis de sa politique, mais aussi le retrait d’autres, renforcent la perception que ce régime tombe en disgrâce. Qu’il fut éphémère ce pouvoir. Comme d’ailleurs tous les régimes qui fondent leur essence sur la force et la terreur. Désormais le Peuple s’est réveillé, et attend impatiemment 2016. Au Bénin, c’est lorsqu’on croit que tout est perdu que l’espoir renaît. Yayi a-t-il pigé la leçon cette fois-ci?

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