Affaire Banamè – Sovidji : quelles croyances pour quelle foi chrétienne?

A mesure qu’un débat élevé et moins passionné évolue sur le phénomène de Banamè-Sovidji et que nous approfondissons nos  réflexions sur le sujet, semblent se préciser progressivement sous nos yeux d’observateur les pourtours d’une foi, ô qu’écris-je, d’une croyance qui n’a pas fini de s’affranchir de la tutelle des superstitions et des pensées magiques de nos cultures combien vitalistes pour s’ouvrir à la Parole de Dieu.

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Conséquences désobligeantes, remarquons-le tout de suite, d’une collusion grave et plus que centenaire entre croyances et foi, ou plus exactement entre  magie (dans ses variantes occultes, ésotériques ou sorcelleresques) et la prière chrétienne qui en appelle moins à la satisfaction de ses instincts de conservation biologique qu’à une logique de gratuité de l’amour en Dieu (Jc 4, 3)! De cette remarque préalable à toutes réflexions sérieuses sur, plus que le sens, l’essence de la Révélation chrétienne ressort nettement la logique déroutante du paradoxe évangélique (qui veut sauver sa vie la perdra) qui contraste avec notre mentalité vitaliste légitime sans la rejeter cependant.

Que faire pour accéder à cette clef de l’intelligence de la vraie nature du christianisme?

La thématique du paradoxe évangélique, une des thématiques majeures et originales du christianisme dans ses diverses articulations christoanthropologiques reste, à vrai dire, cette seule clef d’accès à l’intelligence du Christianisme, quelle que soit sa coloration raciale ou culturelle, et cette lumière en présence de laquelle l’on peut approcher avec beaucoup de sérénité et sans mélange d’erreur le sens eschatologique des conseils évangéliques en débat comme la chasteté, la pauvreté ( du cœur) et l’obéissance, (le vœu le plus difficile) ; ainsi que la vraie essence d’un christianisme qui ne s’oppose ni à la chair ni à la culture ( danger de l’hérésie du docétisme) ; mais s’y incarne par l’admirable opération du mystère de l’incarnation rédemptrice du Verbe de Dieu. ( Cf. l’Encyclique Deus caritas est de Benoît XVI). Car, par le mystère de son incarnation, la Parole de Dieu s’est  historiquement incarnée dans une culture, celle sémite, et continue de s’incarner anthropologiquement et spirituellement dans tant d’autres comme celle occidentale et africaine par l’œuvre des missionnaires, porteurs de la Bonne Nouvelle du Salut. Les contingences de l’histoire, souvent décriées à tort ou à raison et liées aux limites humaines des missions comme la colonisation chez nous par exemple n’étant que des accidents missiologiques  acceptables et non nécessaires à l’originalité divine de ce mouvement d’amour de l’Evangile en Lui-même, apprécions maintenant quelques défis de la foi chrétienne face à nos croyances traditionnelles dont des éléments peuvent devenir de véritables obstacles au dialogue entre foi et culture.

Défis actuels de la foi chrétienne catholique face à une culture vitaliste ?

L’efficacité graduelle du Symbole ( le sun ballein et qui traduit la quête nostalgique d’une unité ontologique brisée après une rupture originaire de communion, une séparation) dans l’ordre de manipulations occultes du « numineux » chez nous requiert préalablement une condition :  l’assentiment sociétal de tout un peuple religieux, angoissé à l’idée de la souffrance et de l’échec,  à la recherche de bonheur, d’un bien-être physique, moral et spirituel immédiat ; un peuple qui, cependant, ne croit à la puissance des dieux, des esprits que proportionnellement au degré de l’emprise du sentiment de la peur sur lui: sentiment d’insécurité, de perte éventuelle de son intégrité physique ou mentale renforcé par le caractère sacré des interdits dont la stricte observance apparaît comme le gage d’un sauvetage assuré et non pas de salut, de paix et de faveurs des divinités, des esprits qu’on se concilie par la libation de sang et des invocations diverses.

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De peur de mourir. La mort étant alors perçue comme la conséquence d’un suprême châtiment des divinités en courroux,  plus un culte est entouré de mystère et sur lequel plane le spectre de la mort, plus il fait peur et donne l’effroi. (Cf.  le drame de la marmite de Kokambala du Camerounais Guy Menga). Or, plus il donne l’effroi, plus il procure le sentiment d’être efficace et grave et l’on y croit immédiatement sans aucune démarche rationnelle préalable de discernement.  La rationalité n’étant donc pas du ressort, pense-t-on, du religieux chez le « nègre », l’émotion prend vite le dessus sur la raison patiente. Au point de s’exacerber face à l’étrange, ou plus exactement face à l’irréductible apparent de l’irrationnel comme un miracle présumé par exemple ou un prodige surnaturel humainement difficile à expliquer. Qu’importe alors, pour « le borné irréductible  ou l’adepte exalté», la source ou les sources possibles qui produiraient ces manifestations surnaturelles supposées. Je ne dis pas Dieu puisque ce n’est pas systématique !

Plus grave, si l’inculture religieuse s’y mêle irrémédiablement renforcée par le sentiment de peur de l’inconnu déjà latent dans l’adepte, faible d’esprit, c’est la porte ouverte à toutes les formes de dérives, manifestations extérieures d’un irascible religieux ( passion, colère, exaltation aveugle, culte hystérique…) devenu difficile à maîtriser ; un irascible parfois explosif et destructeur, oscillant entre piétisme scabreux au dehors farceur et fanatisme religieux, se bornant à des demi-vérités et absolutisant ainsi l’erreur faute d’éléments étrangers solides de comparaison obligeant à relativiser son point de vue. La dynamique évolutive de la connaissance de soi et de l’autre dans ses différences, présupposés nécessaires pour un dialogue interreligieux fructueux, est alors niée d’emblée.

Et si ce piétisme aveugle reconverti en « croyances » chrétiennes et l’intégrisme religieux, son adjuvant avaient des causes plus lointaines

Nos sociétés traditionnalistes, arrimées à des croyances surannées alimentées par la peur de la mort et d’où peuvent provenir lointainement de potentiels intégristes insoupçonnés sur le plan de la foi chrétienne, s’opposent ainsi et radicalement au sentiment d’ouverture d’esprit prêché par Jésus-Christ contre nos chers pharisiens de l’Evangile. Ces sociétés un peu pharisaïques d’esprit ont été bâties, en effet, sur ce principe de sacralisation à outrance des choses ( les monts, les arbres, la lune, le soleil) conjointement avec le sentiment de peur de l’inconnu que les cultes à mystères inspirent. Des exemples, nous en avons par légion au Bénin.

Alors, l’implication directe de ce sacralisme outrancier traduisant une première recherche légitime, mais un peu infantile et confuse d’un Dieu transcendant, Créateur du ciel et de la terre à travers des lieutenants constitués, nos divinités, au plan de la foi chrétienne, c’est que le comportement religieux post évangélisation peut être influencé par notre mentalité magique antérieure de la prière, des cultes par analogie à la célébration des rites, notamment des sacrements et des sacramentaux dans le christianisme ; une mentalité qui n’est pas encore suffisamment convertie par l’Evangile pour passer de l’étape du captatif religieux en son bon fond anthropologique à la dimension de la gratuité et du don sacrificiel de l’amour, chemin royal, mais décapant vers la sainteté dans la vie chrétienne.

Les premières leçons d’une crise de croissance spirituelle à la lumière du phénomène de Banamè-Sovidji

Ce qui est intéressant dans l’étude du phénomène de Banamè-Sovidji, c’est que ce phénomène met en lumière non seulement les profils d’un chrétien non converti ( conversion moins morale que spirituelle), qui demeure un « gentil qui s’ignore », mais c’est qu’il a mis en évidence le caractère culturellement hybride d’un baptisé qui n’a pas fini d’être humainement un chrétien. D’un côté, il est encore sous l’influence de ses prismes déformés et erronés d’un dieu traditionnel justicier et croquemitaine, frappant sans pitié le crime de lèse-seigneurie, l’exact opposé de la Révélation plénière d’un Dieu essentiellement Amour en la personne de Jésus-Christ ; et de l’autre, il ignore presque ou totalement tout de sa culture d’origine ; ainsi que de la vraie essence de la religion chrétienne catholique dont il se réclame. Or, ces deux dimensions, culture et foi, nécessaires à une christianité équilibrée et réussie doivent être tenues comme en tandem pour que l’opération de conversion intérieure, préalable au processus de l’inculturation soit enclenché et ne soit pas mis en échec.  

Que conclure ?

Au demeurant, l’inculturation exige un certain équilibre entre foi et culture qui entrent en dialogue d’amour l’une avec l’autre afin que la foi s’incarne par l’Evangile dans la culture étrangère en se greffant sur les germes d’amour du Verbe de Dieu qui y sont déposés comme des valeurs préévangéliques et que saint Justin appelait le « spermatokos logos). Toute adaptation ou superposition mécanique évoquée plus loin ne peut que conduire à des dérives sectaires déplorables comme celle que nous dénonçons.  

Le dialogue interreligieux ou œcuménique promu par l’Eglise catholique d’obédience romaine et de rites orientaux et dont les assises eurent lieu ces jours-ci au Bénin du 03 Mars au 05 Mars 2014 est le signe manifeste de l’engagement missionnaire de l’Eglise à répondre à sa vocation de catholicité que présuppose l’ouverture d’esprit au dialogue  en recherchant des valeurs chez les autres religions et peuples ; valeurs qui promeuvent la paix et ne nient pas l’Evangile du Christ . Ce faisant, elle veille également à éviter toutes compromissions, susceptibles de mettre en danger la croissance d’une foi mûre et critique. On ne peut confondre, en effet, la recherche égoïste de soi avec la recherche de Dieu. On tombera forcément dans le piège du syncrétisme et d’une réinterprétation immature et infantile d’un christianisme qui ne peut se laisser enfermer dans du fétichisme « chrétien », amoureux d’un bain magique à l’eau bénite, reproduction conforme d’un bain lustral pour un « koudyo » par exemple à des heures indiquées dans nos traditions.

Dans un contexte socioculturel comme le nôtre où dans l’imaginaire collectif de la plupart des peuples en Afrique, notamment au Bénin, la vie apparait comme un champ de bataille et où la mort est perçue comme un échec, le contraposé de la croix du Christ, il importe que le christianisme africain nous conduise progressivement à entrer dans la nouvelle donne du mystère de l’incarnation où Dieu se dessaisit de Lui-même et nous affranchit du conservatisme biologique sclérosant classique.

C’est là le défi d’une vie de foi mûre et authentique où le Béninois possédé par Dieu pourra s’affranchir véritablement du Mal sous toutes ses formes et devenir ainsi sel de la terre et lumière du monde par son combat spirituel contre son propre moi intérieur si captatif et le privilège du bien de l’autre sur le sien. Une telle espérance est la nôtre et peut même devenir une première démarche personnelle d’une délivrance spirituelle silencieuse, mais efficace en un Dieu Amour.

Martin AÏNADOU,
Prêtre

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