Dossier Sbee au Bénin : récit d’une affaire confuse qui n’a pas encore livré tous ses secrets

Depuis un peu plus d’une semaine, deux affaires supposées de décaissement illégal de deux milliards pour financer les voyages du chef de l’Etat et de mauvaise gestion à la Sbee défrayent l’actualité nationale.

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 L’ex-Dg de la société, Marius Hounkpatin, interpellé a été gardé à vue pendant de nombreux jours avec des collaborateurs avant d’être libéré lundi dernier. Comment est née l’affaire ? Qui sont les acteurs ? Qu’est-ce qui est reproché aux personnes mises en causes ? En quoi le ministère de tutelle est-il impliqué ? La réaction du ministre… Récit d’une affaire confuse qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

1) Comment a commencé l’affaire des deux milliards ?

Jusqu’au lundi 24 mars dernier, elle paraissait une affaire banale. La présumée affaire de décaissement de deux milliards à la Société béninoise d’énergie électrique (Sbee), focalise depuis un peu plus d’une semaine l’attention des Béninois. Cela, du fait des différentes personnes impliquées et la vitesse à laquelle les évènements se sont succédé. Le 19 mars 2014, en effet, l’affaire naissait avec la publication par le quotidien «L’Indépendant», d’un article faisant état d’un décaissement de deux milliards de Francs Cfa par l’ex-Directeur général de la Sbee, Marius Hounkpatin pour financer les voyages du chef de l’Etat, Boni Yayi. Mais très tôt, cette affaire qui touchait la plus haute autorité étatique a été démentie une première fois par le désormais ancien Dg/Sbee lors d’une conférence de presse organisée le 22 mars. Puis, par «L’Indépendant» qui, dans une note de la rédaction au droit de réponse rendue publique en début de semaine dernière, a précisé que sa publication visait à attirer l’attention du chef de l’Etat sur un cas de «mauvaise gestion» de la société étatique. Sur la base donc de la publication du journal, selon nos sources très proches du dossier, le procureur s’est autosaisi et a instruit la Brigade économique et financière (Bef), pour que cette dernière «vérifie et approfondisse les informations publiées par «L’Indépendant» ».

2) Quelles sont les personnes impliquées et qu’est-ce qui leur est reproché ?

Ainsi instruite par le Procureur de la République, la Bef a procédé le lundi 24 mars, aux fins d’enquête, à des interpellations de personnes supposées impliquées. L’ex-Dg/Sbee, Marius Hounkpatin, le Directeur comptable et financier, le chef de la cellule de passation des marchés publics et le directeur des stocks et approvisionnement de la société ont été interpellés, écoutés puis gardés à vue. Mais, ces personnes ne sont pas les seules nommées dans l’affaire. Les noms du chef de l’Etat et de son ministre de l’Energie, Barthélémy Kassa, sont cités. Que reproche-t-on aux différentes personnes interpellées alors même que l’affaire des deux milliards, origine de toutes les autres que la presse qualifie de «Dossier Sbee», a été démentie? «Corruption, abus de fonction, détournement de denier public, violation du code du marché public et complicité», a confié une source proche du dossier.

3) Que s’est-il passé à la Bef et chez le Procureur

L’affaire des deux milliards, très tôt noyée, a fait place à celle de soupçon de mauvaise gestion pour lesquelles les responsables de la Sbee ci-dessus cités ont donc été interpellés puis gardés à vue suite à leurs auditions. Après 24 heures de garde à vue, l’ex-Dg Marius Hounkpatin et ses collaborateurs ont été mis en liberté dans la soirée du mardi 25 mars. Mais cette liberté de l’ex-Dg Hounkpatin, suspendu par le Conseil des ministres en sa séance du 26 mars pour aller «laver son honneur», et de ses collaborateurs était provisoire car, sous convocation, et de courte durée. Le mercredi 26 mars, en effet, ils ont été de nouveau écoutés puis présentés au Procureur de la République avant d’être relaxés à la fin d’une audition de 3 heures. Le jeudi, la même procédure a été répétée mais cette fois, ils ont été gardés à vue. Cette garde à vue après un autre passage devant le Procureur le vendredi, a été prorogée jusqu’au lundi 31 mars où les différents mis en cause ont été simplement libérés. Le Procureur n’a retenu aucune charge contre eux. Mais le dossier a été renvoyé à la Bef.

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4) Quelle est l’implication du ministère de l’Energie

Selon des sources proches du dossier et la synthèse des informations parues dans la presse locale, le ministère de l’Energie y serait impliqué, via le ministre Barthélémy Kassa, à deux niveaux. On évoque le chiffre de deux milliards de fcfa. Primo, le ministre Kassa a demandé à l’ex-Dg Marius Hounkpatin de lui trouver deux milliards de fcfa pour le financement de recherches sur les énergies renouvelables. Ce qui implique une modification du budget de la Sbee, étant donné que ces projets de recherches n’y avaient pas été pris en compte. L’ex-Dg s’est alors référé aux Commissaires aux comptes de la société. Ce sont les cabinets Bénin Expertise Sarl et Canal Audit Sarl. Ces cabinets ont répondu à la préoccupation du Dg dans une lettre en date du 03 décembre 2013. « Toute modification du budget déjà adopté par le Conseil d’administration doit se faire dans les mêmes conditions de forme que le vote du budget…», ont-ils écrit selon notre confrère Le Matinal. En plus, «…Il ne peut être prévu au budget que les charges et dépenses rentrant dans le cadre de l’objet de la société, ce qui, à notre connaissance, n’est pas le cas en ce qui concerne les énergies renouvelables, sauf en cas de décisions stratégiques adoptées préalablement en Conseil d’administration. » Secundo, chaque année, via le trésor public, le ministère débloque un fonds de plusieurs milliards au profit de la Sbee. Pour le compte de l’année 2013, seulement une partie de ces ressources a été mise à la disposition de la société. Se basant sur ce fonds, la société aurait préfinancé un certain nombre de dépenses pour faire tourner la centrale électrique de Maria Glèta. Début mars, la direction de la Sbee a sollicité son ministère de tutelle en vue du déblocage du reliquat. La somme en question devrait permettre à la Sbee de disposer de ressources pour faire face à d’autres dépenses ayant trait aux mesures contre le délestage. Sa sollicitation n’a pas eu l’effet escompté. « Le reliquat fait près de deux milliards. Existe-t-il vraiment encore au ministère de l’Energie ?», s’interroge sous anonymat une source proche du dossier.

5) Quelle est la réaction du ministre de l’Energie

Beaucoup cité dans ce dossier, le ministre Barthélémy Kassa n’a pas trop tardé à réagir. Il l’a fait dans la soirée du lundi 31 mars au cours d’une conférence de presse animée à son cabinet. Face aux journalistes, le « ministre du sous-sol », a affirmé ne pas être mêlé à cette affaire. A la Sbee, son rôle, a-t-il précisé, se limite à la tutelle et au contrôle en vue d’une bonne gouvernance. Selon lui, il se pose de réels problèmes de gestion au niveau de la Sbee. Et en qualité de ministre de tutelle, il se devait de vérifier les options faites par la direction générale. « Tout ce que nous faisons, a argumenté le ministre, c’est dans le sens du cadrage de la vision que nous avons choisie pour mener à bien le développement de notre pays.»

6) Qu’en dit le Conseil d’administration de la Sbee ?

Le président du Conseil d’administration de la Sbee, Chabi Taouéma, s’est invité dans le débat. Il est monté au créneau, aux côtés du ministre Kassa, pendant sa conférence de presse du lundi. Lui, est beaucoup plus revenu sur les constats faits par le Conseil d’administration, au cours des débats budgétaires. Extrait de son intervention telle que rapportée par le quotidien béninois Le Matinal dans sa parution d’hier mardi : «Au cours des débats budgétaires, nous avons débattu d’une question qui portait sur les provisions dont un certain montant était de 2 milliards. Le budget comprend deux parties, les produits et les charges. Et nous avons deux types de charges. Les charges décaissables et les charges non décaissables. Les charges non décaissables comprennent les dotations aux amortissements et les dotations aux provisions. Ici, il s’agit des dotations aux provisions… Et pour les dotations de 2014, il y avait un montant inscrit. Au 1er janvier 2014, il y avait un autre montant qui était provisionné pour le compte des créances douteuses. Ce montant était de 3,7 milliards au 1er janvier 2014. Et on a estimé que pour l’année 2014, il y aura 2 milliards. En fin d’année, il y a donc un cumul des deux qui fait 5,7 milliards. Mais au lieu de prendre 2 milliards tel que détaillé dans le tableau comme provisions de l’année, la Sbee a pris 5,7 milliards qui sont un cumul des provisions de l’année et des provisions passées. Et les débats budgétaires ont amené à dire qu’il faut prendre 2 milliards et non 5, 7 milliards (…) Après les débats, les corrections devraient être faites. Lorsque la Sbee nous a présenté ses corrections, nous avons constaté à notre grande surprise que le tableau a été modifié. Ils ont gardé les 3,7 milliards au 1er janvier 2014, et pour l’année 2014, ils ont mis les 5, 7 milliards qui en fait étaient le cumul. Et au niveau du cumul, ils trouvent maintenant 9, 4milliards. Ce que nous avions refusé. D’où ce montant de 2 milliards qui en fait ne devrait pas faire l’objet de débat à partir du moment où c’est nous qui avons exigé que ça soit 2 milliards. Car ils avaient prévu quelque chose de supérieur dans une intention que nous ne maîtrisons pas ».

7) Quel est le statut actuel de Marius Hounkpatin et ses collaborateurs ? 

Selon un avocat proche du dossier, «ils sont libres de tout mouvement. A la disposition de la Bef mais pas sous contrôle judiciaire». L’enquête suit son cours. Des parties comme les commissaires aux comptes de la Sbee, ses prestataires et autres seront écoutés. 8) Quelle suite pour le dossier ? Toute l’affaire tourne autour d’un montant de deux milliards. A-t-il été décaissé pour le voyage du chef de l’Etat, détourné par l’ex-Dg et ses collaborateurs, bloqué au ministère de l’Energie ou débloqué pour le projet de recherche sur les énergies renouvelables du ministre Kassa ? Mystère et confusion. Une mission d’enquête de l’Inspection générale de l’Etat séjourne actuellement au sein de la société. Cette mission fait suite à trois autres précédentes qui avaient félicité, recommandations à l’appui, la gestion du Dg Hounkpatin. Le rapport de la mission actuelle contribuera sans doute à élucider cette affaire encore confuse qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.

alisation : Léonce Gamaï & Yao Hervé Kingbêwé 

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