La grève : du mythe à la réalité

En trois mois, la grève a marqué le paysage humain et physique de notre pays. Elle tient une place de choix à la bourse des valeurs qui déterminent l’état de santé des Béninois. Ceux-ci ont appris à décliner le mot grève à tous les temps et sur tous les tons. Ils allaient au lit et se réveillaient dans la grève.

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Ils poursuivaient une grève qui n’en finissait plus de finir. Que cette grève se termine sur le mode d’une paix des braves est un fait d’évidence. Cela laisse aux uns un goût d’inachevé. Cela laisse le front syndical dans un désordre affligeant. Mais le plus important est ailleurs. Une question et une seule le résume. Qu’avons-nous appris de cette grève ? Quand un phénomène social marque aussi fortement la vie d’une nation, il est de juste de le décrypter, de l’analyser, de l’évaluer. Cela participe du souci de tirer d’utiles enseignements pour aujourd’hui et pour demain. Organisons et articulons nos idées autour de quatre principaux points.

1- La grève, c’est la guerre. Il faut dramatiquement en prendre conscience. On ne peut plus se servir de cette arme en amateur. Sans savoir la manier. Sans savoir s’en servir à bon escient. Avec la grève et à travers la grève, ce sont des forces en action qui s’affrontent sur divers terrains, autour de divers intérêts, avec divers états-majors opérationnels, pour des objectifs tout aussi divers. Avec la grève et à travers la grève, ce sont des stratégies ébauchées de part et autre qui s’entrechoquent. Ce sont des rapports de forces qui se construisent et qui déterminent, en définitive, le sort du combat. Malheur donc au combattant isolé, à court de munition ou non outillé d’un plan B. Malheur tout simplement au plus faible, au vaincu qui aura perdu la faveur des armes. Il ne lui reste plus qu’à subir la loi du vainqueur. Il peut toutefois se refaire une bonne conscience avec Jean-Paul Sartre : « Quand on se bat, écrit-il, on peut être battu. »

2 – La grève, comme toute guerre, fait des victimes, mais notamment des victimes collatérales. On ne peut s’engager dans une guerre avec la conscience faussement dégagée qu’on n’aura à enregistrer ni blessés ni morts, ni casses ni dommages. Ce serait candidement pécher par naïveté. La grève tue au propre et au figuré. La grève tue autant que la guerre. La grève tue souvent et surtout ceux qui n’ont rien à y voir directement. Ce sont les victimes collatérales rarement prises en compte dans la macabre comptabilité d’après grève ou d’après guerre.

Pensons, par exemple, à tous ceux qui vivent des petits métiers branchés sur l’école. Est en panne sèche, depuis trois mois, la vendeuse de riz du coin ou le vendeur de « pure water ». Le gérant d’une papeterie dite « librairie par terre » n’est pas logé à meilleure enseigne. Idem du marchand de bric-à-brac qui faisait le bonheur de nombre d’élèves. Et que dire de ceux d’entre ces derniers qu’aucun système de rattrapage, et des cours et du temps perdu, ne guérira des blessures et des traumatismes subis. Beaucoup de clochards de demain viennent de naître aujourd’hui. Ne nous voilons pas la face !

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3 – Toutes les guerres finissent autour d’une table. Pourquoi ne pas choisir de commencer par où l’on finit ? Pour dire qu’une guerre, qu’une grève, n’est pas une fatalité. On devrait avoir le discernement nécessaire pour préférer la négociation sincère, le dialogue constructif, le compromis dynamique à une machine infernale, broyeuse de rêves, destructrice de vies. La grève, entend-on dire, est un droit. Nous voulons bien. Mais jamais la grève ne doit s’apparenter au droit d’anéantir, d’anéantir autrui, de s’anéantir soi-même. Le tout premier des droits de l’homme, c’est le droit à la vie. Et la grève qui se moque de préserver la vie est un assassinat ou un suicide.

4 – Il reste, que la guerre, comme la grève, peut s’imposer à soi comme l’unique solution, la seule issue possible. Parce que la vie n’est pas simple. Parce que nous ne pouvons pas toujours prendre nos désirs pour la réalité. Parce que la ligne droite est mathématiquement une vue de l’esprit. Parce qu’il nous faut quelquefois nous faire violence pour accepter l’inacceptable. Il se trouve, en effet, que c’est dans l’épreuve, que c’est par le sacrifice, le sacrifice suprême s’il le faut, que l’on défend et illustre le mieux la vie. Aucune femme ne renonce à la maternité par crainte des douleurs de l’accouchement. Faisons nôtre cette pensée du philosophe et sociologue français Raymond Aron : « Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable »

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