Magistrature suprême : gouvernance politique et nécessaire esprit de fraternité

La devise d’un pays indique, généralement, les valeurs politiques cardinales auxquelles croit le peuple pour la bonne conduite des affaires publiques. La notre, tryptique  dans sa forme, met en première position et donc en exergue, la fraternité. 

Publicité

Cette valeur est censée être, alors, le point focal de toute gouvernance. Mais qu’en faisons-nous en fait? En ces temps de turbulence  où les valeurs morales et républicaines désertent l’homme  et partent dans tous les sens,  il  parait bien utile d’observer  un temps d’arrêt, et de se demander si, lors de la prise des grandes décisions qui impactent la vie du citoyen moyen, les autorités qui nous dirigent, honorent effectivement cette valeur et son corrollaire qu’est la solidarité. C’est le lieu de considérer également l’handicap qui pèse sur ces deux notions et la façon de lui faire pièce. Il est évident qu’un pays qui ne met pas l’esprit de fraternité au cœur de ses politiques, est  difficilement gouvernable parce que les forces s’entredéchirent et se neutralisent. Par ailleurs, et malheureusement, lorsque les gouvernants se mettent en délicatesse avec le peuple, l’on ne se donne pas la peine de se demander si la toute première composante de notre devise est bien placée au centre des débats.

Le devoir de l’esprit de fraternité chez les leaders politiques

Il faut bien en convenir, nous avons la fâcheuse tendance à penser que l’exercice de la politique est une  chose et que le caractère des personnes qui s’y adonnent  en est une autre. Nous ne nous figurons pas bien, et rechignons à  admettre, la corrélation  entre ces deux données, et pourtant l’homme demeure le même, indépendamment de l’activité qu’il mène. C’est ce qui explique que lorsque nous déposons notre bulletin dans l’urne, nous nous contentons des promesses du candidat sans, pour autant, se préoccuper, outre mesure, de ses qualités morales.  Et pourtant, la vérité est que  le développement d’un pays est principalement fonction de la mentalité et de l’état d’esprit des dirigeants qui en sont les acteurs.

Il nous parait qu’en tout homme politique, l’esprit de fraternité doive prévaloir, non pas pour jouer à l’enfant de chœur, mais pour qu’il assume pleinement les responsabilités que lui confère sa fonction. Fondamentalement, la politique diverge puisque sa raison d’être est la diversité des opinions et de celles des visions des choses. Mais, le mérite etla force d’une  gouvernance responsable et compétente est de  savoir converger et concilier les points de vue. Lorsqu’elle a maille à partir avec les forces politiques contraires et la population, c’est qu’elle  failli à cette tâche au moment qu’il fallait. Au centre de la convergence  des points de vue, devrait siéger l’esprit du dialogue social, et le  dialogue social implique, l’esprit de fraternité ; l’esprit de rassemblement. Le concept de la  fraternité est générique et embrasse l’espèce humaine toute entière ; il  a vocation à fédérer  et à aggréger les peuples. Sans la  fraternité, il ne saurait y avoir une politique nationale apaisée et efficace, en tous secteurs; et, les forces centrifuges du vouloir-vivre ensemble ne sont jamais bien loin. Sans la fraternité et son corollaire  la solidarité, le monde serait une jungle.

N’en déplaise à ceux  qui   continuent de donner à la fraternité, une connotation métaphysique, sentimentale, émotionnelle, voire religieuse, et partant,  inadaptée à une cause d’envergure nationale parce que visant plutôt l’intimité. Cette conception est, aujourd’hui, surannée ; elle avait cours dans les vieilles démocraties, aux temps anciens  où la fraternité était effectivement affaire  d’associations de pensées et de diverses sectes ; ces entités exercaient alors une forte influence sur les gouvernements. Depuis lors, elle s’est démocratisée et est devenue, en termes de psychologie sociale, le ciment de l’unité nationale ; elle induit le sentiment d’appartenance à une nation et toute politique nationale ne peut connaitre l’efficacité recherchée sans elle, en filigranne.

Publicité

L’homme politique,  privé de cet esprit de fraternité, n’en est pas un en réalité ; il ne peut être à même de gérer convenablement les affaires de la cité car il ne saurait être ouvert aux idées autres que les siennes propres. En  toutes décisions et actions politiques, il ne considèrera que  ses seuls intérêts qui se confondront, tout au plus, avec ceux de sa clientèle politique. Il sera étranger à une vision nationale des politiques. Et de cela, la société entière en pâtira certainement. Il n’est que de considérer tous les projets de grande importance, pour notre économie, que des  investisseurs étrangers se résolvent à abandonner ou à aller implanter ailleurs, en raison du manque de vision nationale du développement des hommes politiques. L’esprit de fraternité  fait alors place à l’esprit sectaire. Ou le projet est  pour eux  et leur électorat,  ou personne n’en bénéficiera : la chose  frise la méchanceté.  

La négation de l’esprit de fraternité : la méchanceté

D’aucuns peuvent se demander  ce  que vient chercher la  méchanceté, de caractère si privé,  en politique publique ? La réponse est tout simplement  que c’est le plus gros handicap à l’esprit de fraternité : on ne peut pas être frères dans la méchanceté. La réponse est également, ainsi que nous le faisions comprendre  en début de notre réflexion,  que  le politique exerce ses fonctions, prend ses décisions et peut même diriger tout un pays, avec l’inévitable incidence de son tempérament et de son caractère,  à lui ; et que ce caractère peut être empreint de méchanceté. Cest une des raisons pour lesquelles nous proposions, dans une réflexion antérieure, qu’à coté du Chef de l’Etat, soit constituée une Haute Autorité Morale qui pourrait, avec ses conseils de sages, minimiser, entre autres, cette catégorie d’incidence.

Nous savons  bien que c’est enfoncer une porte ouverte que d’entretenir le bon  béninois, de méchanceté. Nous aimerions rappeler, cependant, que  le méchant peut être défini comme cet individu qui a un penchant naturel à faire le mal et qui fait du mal à autrui ;  que ce soit par lui-même ou  en qualité de commandité ou de commanditaire. La nature peut générer un  tel individu dans toute société, mais, que le mal qui l’anime, devienne  l’attribut distinctif de tout un peuple, il y a là quelque chose qui dérange l’entendement. Et pourtant, c’est bien  la situation dans laquelle nous sommes.   A première vue, il est vrai,  la méchanceté relèverait strictement de la vie privée des gens, en raison de l’aspect psychologique dominant qu’elle revêt, alors qu’en profonde analyse, notamment,  des effets sociétaux et politiques collatéraux qu’elle génère, elle n’en relève  guère ; elle détruit toute avancée sociale et devient, de par ce fait, un mal politique. Alors que le progrès émane de la saine confrontation des idées, le méchant ne supporte pas le mélange. Parce qu’il n’aime pas les autres, il n’aime pas leurs idées et leurs propositions. Et lorsque l’esprit de  méchanceté s’invite ainsi  et entre de plain-pied dans les hautes sphères politiques de décisions, l’on s’imagine bien les ravages  qu’il peut générer.

Fléau, à la fois social et politique, la  méchanceté est l’élément le plus  handicapant  et le plus inhibant de l’esprit de fraternité nécessaire, pourtant, à la cohésion sociale et à l’unité nationale. Peut-être que pour la comprendre, devrait-on, en dépit de sa persistance dans le temps et dans les esprits, la considérer comme un simple  fait de société conjoncturel lié à une situation spécifique et donc destiné à disparaître avec son évolution  et  le temps? L’hypothèse paraît plausible à  l’analyse, dans la mesure où l’on peut raisonnablement penser que la condition matérielle, la pauvreté et le désespoir d’un lendemain meilleur, l’impuissance qu’expérimentent les laissés-pour-compte de la société à accéder à un mieux-être sont, sans être exclusifs, pour beaucoup, dans le phénomène.

La jalousie que secrète cette situation et qui est, certes, un sentiment négatif, mais en principe, inoffensif pour un tiers, passerait, alors, en cas d’exacerbation, à l’étape supérieure active de la méchanceté qui elle, vise à détruire résolument. La méchanceté légendaire béninoise  résulterait  ainsi  de la pauvreté ; mais le paradoxe, c’est qu’elle  paralyse le développement censé éradiquer la pauvreté, elle-même. Quel antidote social lui  administrer alors? La quadrature du cercle!

La nécessaire lutte contre la méchanceté

Le mal est là ; atavique et tenace ; il nuit au développement incontestablement. Il a dépassé le niveau privé  et  est devenu un phénomène trop fort, trop pathologique pour qu’il ne s’inscrive pas au tableau des préoccupations étatiques d’une bonne gouvernance politique. Mais   en réalité, l’on ne sait pas bien comment le combattre.  En ce qui nous concerne, nous  pensons, en dernier ressort, que  c’est encore par  une forte et soutenue promotion de l’esprit de fraternité, victime de la méchanceté, que nous pourrons  combattre  a contrario, ce syndrome qui tient le béninois si fermement. Ce serait l’histoire de l’arroseur arrosé.

Alors, les autorités politiques, notamment celles  qui prendront la relève de la Magistrature Suprême, gagneraient à promouvoir cet esprit de fraternité. Le réel fléau social qu’elle est , devrait donc, en soutien aux prédications des institutions religieuses, être combattu  systématiquement par le Gouvernement, usant de tous les moyens modernes, dans les écoles, dans les universités, à la radio, à la télévision, au théâtre, et dans tous les genres susceptibles de faire passer un message éducatif ; ce devra être une véritable croisade. Dès le bas âge et les études primaires, l’on devrait s’attacher à  sevrer et étouffer le syndrome du méchant qui nous colle à la peau et nous ronge ; enseigner aux enfants les valeurs inverses, en premier lieu la fraternité, de cette méchanceté,  qui annihile tout progrès et nous confère, des fois mal à propos, une culpabilité par hérédité.

Déjà en Septembre 2011, à la faveur d’une descente  dans les marchés de  la capitale économique,  nous avions  entendu le Chef de l’Etat, stigmatiser publiquement, l’esprit destructeur du béninois, excédé qu’il était  par les résistances qu’il rencontrait à ses réformes. Le lendemain nous avions, dans la même veine, entendu également la Ministre de la micro finance d’alors, dire que le Béninois avait  un esprit rigide. Nous nous étions pris alors à nous imaginer que le Gouvernement s’apprêtait à déclencher une campagne contre l’esprit de méchanceté, mais  ce ne fut pas le cas.

Nous solliciterons, alors,  de la prochaine magistrature qu’elle initie  des actions incisives pour combattre le mal.Cette magistrature,  nous la souhaitons  dirigée par l’homme dont nous avons déjà défini le profil dans une récente réflexion. Nous rappelons, pour faire court,  que le citoyen lambda l’envisage, avant tout, nanti d’une  expérience effective, récente et  soutenue de la gestion des affaires publiques. Il le voudrait également ouvert au dialogue socil et d‘une grande probité morale. Puisse t-il favoriser également toutes initiatives  susceptibles de faire  barrage à l’esprit de méchanceté destructrice du progrès.

Fraternité et solidarité : l’indispensable interdépendance

La fraternité parait, tout compte fait, une notion statique qui a besoin, pour se réaliser, d’être animée, drainée  et entretenue par le vecteur qu’est la solidarité ; sans solidarité, à quelque titre, il ne saurait y  avoir manifestation concrète de  fraternité. La fraternité est un état d’âme, c’est un sentiment et une aspiration de  jonction des peuples ; la solidarité est un moyen de jonction des peuples qui ne peut se réaliser sans l’esprit et  le sentiment sous jacent de fraternité.La solidarité  renforce  l’idéal patriotique tout en maintenant  le sentiment de l’union par l’entraide. Les deux notions sont donc intimément liées dans une gestion conséquente des affaires publiques.

Outre son rôle de support de la fraternité, la solidarité renferme sa propre valeur intrinsèque : elle est  porteuse de développement et, à ce titre, elle peut servir directement  la cause d’une politique donnée. A elle seule, la fraternité ne peut le faire. La solidarité est  fondamentalement démocratique ; et  l’on sait que pour être efficace, la gestion de la chose publique devra s’adjuger la composante solidarité.

D’aucuns, raisonnant comme si les deux entités n’avaient pas un lien nécessaire, pourraient penser que la solidarité est tout simplement la version paienne de la fraternité ; que la fraternité rassemble, mais que c’est solidarité qui construit un pays, omettant le fait que cette dernière a besoin de l’essprit de fraternité pour se mettre en mouvement. Le raisonement n’est donc pas  tout à fait juste : le lien entre les deux notions existe, à n’en pas douter. En tout état de cause, il demeure que nous devons, tant dans la conduite des affaires publiques que privées, allégeance à notre devise qui débute par’’ fraternité’’si tant est que c’est la solidarité qui la concrétise.

Nous n’en voulons pour preuve que le succès remporté par l’opération des 120 jours pour équiper nos hôpitaux, initiée  et menée rondement par  la Ministre de la Santé que nous avons félicitée en son temps et, à l’extérieur de nos frontières, une grande opération réalisée en Guinée dont fait éloquemment état, notre compatriote, le Docteur Simon Narcisse Tomety, expert en développement, dans son ouvrage intitulé ‘’ la dictature de développement :  un nouveau paradigme d’économie politique à la béninoise ou un chemin de l’égarement ?’’et  dont nous  proposons un extrait à la réflexion du lecteur : «  Choqué par  le refus des bailleurs de fonds  d’accompagner la réalisation du barrage  hydroélectrique de Garafiri qui devrait mettre fin aux coupures intempestives du courant électrique qui ont pris l’allure d’une honte nationale, devenue insupportable, le Président de la République de Guinée, le Général Lansana, décida en 1996, de réaliser le barrage quoi que cela coûte. Il lança alors un appel solennel souverain au peuple, pour un sursaut d’orgueil national afin que ce projet soit réalisé par les Guinéens avec de l’argent guinéen et pour les Guinéens. Alors, le Gouvernement  décida d’un abattement d 10% sur le salaire de chaque fonctionnaire pendant 12 mois, soit une contribution de 1,2 mois de salaire par agent de l’Etat, y compris les membres du gouvernement, les parlementaires  etc. Les fonctionnaires ont accepté la mesure. Des mécanismes ont été mis en place pour collecter aussi des fonds auprès du secteur privé. Même les mendiants ont participé à cette œuvre de défi national. Ce barrage a été réalisé et fonctionne toujours»

Quel bel exemple de ce que peut faire la solidarité nationale en tant que facteur de développement ; solidarité sous tendue, naturellement, par l’esprit et le sentiment de fraternité ! Bel exemple aussi de résolution, à l’interne, d’un problème crucial qui empoisonnait la vie du citoyen et handicapait  fortement le développement de son pays.  Une solidarité agissante, sursaut d’orgueil et de fierté nationale. Puisse-t-elle faire tâche d’huile et inspirer, le cas échéant et à bon escient, d’autres pays  en difficulté similaire? Il va sans dire que telle noble démarche présuppose et implique, avant tout, l’esprit de fraternité sous-jacente. Le tout, bien entendu, dans le nécessaire environnement de confiance du peuple en ses dirigeants. Si nous nous laissions effectivement  guidés, en toutes occasions,  par cet esprit de fraternité, peut-être  les choses iraient-elles bien mieux dans notre pays.  L’homme que le citoyen moyen souhaite prendre la relève à la tête de l’Etat, devrait, de par le profil qu’il en a  tracé, permettre de faire face à ce défi.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité