Plus rien ne va à l’UAC : le cri de cœur du prof Guy Ossito Midiohouan

Dans cette lettre ouverte qui est un véritable brûlot, Guy Ossito Midiohouan, professeur Titulaire de lettres à l’Uac et par ailleurs nouvelliste, essayiste et critique littéraire connu pour son franc parler , met le doigt sur les maux qui minent l’Uac en général et la Faculté de lettres en particulier et tire la sonnette d’alarme.

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Lettre ouverte au Doyen de la FLASH

Monsieur le Doyen et cher collègue, Ayant utilisé en vain toutes les instances académiques pour attirer l’attention sur le drame qui se joue aujourd’hui dans notre Faculté, le sens du devoir et de la responsabilité m’impose de vous adresser la présente lettre ouverte.

Le 30 avril dernier, la communauté universitaire était invitée à l’impressionnante cérémonie de présentation du rapport d’activités de l’année 2013 par l’équipe rectorale dirigée par le Pr Brice Augustin Sinsin. On peut lire, dans la conclusion de ce Rapport de 238 pages (où ne figure pas une seule petite phrase sur nos bibliothèques antédiluviennes), que l’an 2013 est, dans la vie de l’Université d’Abomey-Calavi, une année exceptionnelle. Jamais une année n’a été aussi riche en distinctions pour notre Université depuis sa création en 1970. Le 27 octobre 2013, l’UAC s’est vue décerner le trophée «World QualityCommitment» (WCQ) dans la catégorie «Platine » à Paris à l’occasion du congrès « International QualitySummit » organisé par Business Initiative Directions (BID), un organisme privé basé en Espagne et leader dans le domaine de l’attribution des récompenses aux entreprises du monde entier. En cette même année 2013, l’UAC a été classée 84e sur 974 universités en Afrique, entrant ainsi dans le prestigieux Top 100 des meilleurs universités africaines. En outre, elle a été consacrée meilleure université régionale et son Recteur, meilleur manager de l’année en Science et Education au sommet des leaders en « Science et Education » tenu à Oxford en Angleterre du 16 au 19 décembre 2013. Ces deux derniers prix ont été décernés par la Fondation Europe Business Assembly, en partenariat avec le Club des Recteurs d’Europe.

Et le Rapport d’apprécier, triomphal : « La nomination de l’UAC comme Meilleure université régionale relève des résultats obtenus sur les plans professionnel, scientifique et éducatif. L’UAC peut se féliciter de toutes ces reconnaissances. C’est la conjugaison des efforts et de l’investissement de toute la communauté universitaire avec la clairvoyance des dirigeants aussi bien au sommet de l’Etat que de l’Université. Le meilleur reste à venir pour une UAC du troisième millénaire, ouverte sur le monde et résolument au service du développement de la Nation » (cf. Rectorat-UAC, Rapport  de gestion académique exercice 2013, avril 2014, p.199).

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Bien entendu, le spectacle n’autorisait aucune improvisation. Il y eut, naturellement, beaucoup de slogans et d’applaudissements, le Recteur ayant pris soin de se faire accompagner par une forte brigade d’obligés, dénommés « Les volontaires de l’UAC », dressés et habillés pour l’emploi.

Déjà, dans la Tente-amphi Idriss DébyItno où se déroulait la cérémonie, je m’étais surpris à plusieurs reprises en train de me demander comment expliquer le décalage entre l’expérience concrète et quotidienne que j’ai de mon université depuis plus de 30 ans et l’égrenage des dithyrambes que l’on m’infligeait. Quelques jours après, une mission me conduisit à l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody à Abidjan et là, je pris une conscience plus douloureuse encore du retard de l’UAC qui, par rapport à ce que je vis dans ce pays sortant à peine d’une longue décennie de crises et de guerre civile, n’est qu’un gros village chaotique et cafouilleux devant lequel nous nous permettons de nous extasier étourdiment.

La Business Initiative Directions, la Fondation Europe Business Assembly et le Club des Recteurs d’Europe ont-ils veillé, avant de décerner ces trophées, à recueillir les avis des usagers de l’UAC, de ceux et celles qui y vivent, y travaillent, y jouent quotidiennement leurs destins ? J’en doute fort car ils se seraient montrés plus circonspects.

Tenez ! Pour me limiter à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines où j’exerce, je puis dire sans être démenti que face à la masse écrasante des étudiants (aujourd’hui plus de 40.000 soit 47,5% de l’effectif des inscrits à l’UAC au cours de l’année académique 2012-2013), nos conditions de travail à tout le moins dramatiques ne prévalent ni en Espagne ni en France où elles auraient entraîné la rébellion : pas assez d’enseignants qualifiés, pas assez de locaux, pas d’ordinateurs ni pour les enseignants ni pour les étudiants, pas de bibliothèques dignes de ce nom, pas assez d’outils pédagogiques… Faire un cours avec vidéoprojecteur dans notre Faculté s’apparente à un parcours du combattant et pas seulement en raison de l’alimentation erratique en courant électrique.

La solution que nous avons trouvée au manque cruel de locaux qui constitue le casse-tête de toutes les entités de notre Université, c’est « la mutualisation » des locaux disponibles dont il faut optimiser l’occupation. Moyennant quoi, on travaille une semaine sur deux et, pendant la semaine travaillée, on fait asseoir les étudiants de 7h à 19h (sans interruption) pour leur dispenser des cours soi-disant. Samedi, dimanche et jours fériés y compris.

Le système en vigueur depuis quelques années est le LMD, un système d’enseignements et d’évaluations semestrialisés. Sans donner les résultats d’un semestre, nous trouvons normal de nous engager, sans état d’âme, dans le semestre suivant. Cette année, nous n’avions pas terminé le premier semestre (octobre-janvier) avant le déclenchement d’une grève qui a duré quatre mois. A la reprise, nous avions considéré que le premier semestre était terminé et avions commencé, en avril,le semestre suivant initialement prévu pour durer de février à juin. Le 15 juin, l’administration nous demande de tout arrêter comme s’il n’y avait pas eu quatre mois de grève, et cela parce que les salles sont réquisitionnées pour les examens qui doivent être terminés au plus tard fin juillet, l’Université étant fermée en août.

Nous avons donc dû arrêter brutalement les cours sans avoir exécuté 50% du programme. La frustration est grande. C’est le cœur gros que personnellement j’ai dû annoncer aux étudiants que j’arrêtais tout alors qu’on se préparait à entrer dans la phase capitale de l’étude des œuvres au programme.

Mais la goutte d’eau qui a fait  déborder le vase et qui me fait écrire ces lignes, c’est le programme des examens établi par l’administration.

D’abord – et c’est le manque d’enseignants et de locaux qui nous impose cette aberration pédagogique depuis des années – l’administration nous prescrit de donner des épreuves de 2h (au Bac, l’épreuve de français dure 4h) ! Certains départements de la FLASH en sont réduits à donner des épreuves d’une heure (comme au CEP) !

Ensuite, on fait composer les étudiants samedi 28 juin, dimanche 29 juin, lundi 30 juinet mardi 1er juillet au rythme d’une épreuve toutes les deux heures, de 8h à 18h sans interruption, sans tenir compte ni du temps de la communication des sujets ni du temps du ramassage des copies. Et j’ai personnellement deux épreuves qui passent dimanche et lundi de 16h à 18h, c’est-à-dire à un moment où les étudiants doivent être déjà littéralement claqués !

Monsieur le Doyen,

Ces conditions de travail sont tout simplement inacceptables pour les étudiants et pour les enseignants. Ce que nous faisons là, c’est tout sauf de la pédagogie universitaire. C’est totalement nul et criminel. Je m’élève contre cette façon de démolir nos jeunes, de saccager l’avenir de notre pays en faisant semblant tout ce temps, en proposant de fausses solutions à nos vrais problèmes. Notre Université est gravement malade. Nous avons le devoir de réagir avant qu’il ne soit trop tard.

Veuillez croire, M. le Doyen, en l’assurance de mes sentiments dévoués et attentifs.

Guy Ossito MIDIOHOUAN
Professeur des Universités

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