Révision de la constitution : Clergé béninois, arrêtez-nous la dérive !

Chers Évêques et Administrateurs apostoliques de la Conférence épiscopale du Bénin, Serviteurs de la vérité de l’Évangile, Épris de paix et de justice intégrale par mes actes quotidiens, puis éveilleur de conscience de par ma profession, j’ai jugé utile, par cette lettre ouverte,

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d’apporter ma modeste contribution à l’œuvre d’édification d’une nation béninoise rassemblée autour des idéaux de fraternité, de justice, de travail, de paix, de respect des Droits de l’Homme et surtout d’espérance renouvelée pour nos compatriotes.

C’est dans ce bain de quête de justice permanente pour le peuple béninois qu’au lendemain de la tenue du Congrès extraordinaire des Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe), alliance politique soutenant les actions du Chef de l’État béninois, j’ai longuement réfléchi puis écouté les réactions des uns et des autres au sujet du point nodal de l’ensemble des résolutions issues de ce congrès, avant de me décider à m’adresser à vous.

En effet, à l’issue de leur congrès du 14 février 2015, les partisans de Yayi Boni ont décidé notamment de soutenir le Chef de l’État à maintenir, sur la table de l’Assemblée nationale, son projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990, notre loi fondamentale sortie des entrailles de la Conférence nationale des forces vives de février 1990, au motif de la « moderniser ».

Chers Évêques et Administrateurs apostoliques,

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Qu’il vous souvienne, le 15 août 2013, jour de l’Assomption, dans la solennité mariale, la Conférence épiscopale du Bénin (Ceb) dont vous êtes les éminents membres a, dans une adresse aux filles et fils bien-aimés de Dieu, les enfants du Bénin, donné sa position face au projet du Chef de l’État portant révision de la Constitution transmis au Parlement, le 06 juin 2013. Dans cette adresse titrée : « Message sur le malaise politique actuel et la révision de la Constitution », la Conférence épiscopale du Bénin lançait « un appel pressant au dialogue, à la paix, à la confiance réciproque, en vue de la cohésion nationale ». Car, selon le Clergé béninois, au Bénin, il y a urgence d’un dialogue politique qui est et reste « la pierre angulaire de toute vraie démocratie », nécessaire pour restaurer la confiance dans un pays – le Bénin – marqué par une « une crise de confiance du peuple face à ses mandants et gouvernants ». Et pour corroborer votre exhortation, vous rappeliez, Chers serviteurs de la vérité de l’Évangile, une déclaration de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, lors de sa visite au Bénin le 19 novembre 2011 en ces termes : « la personne humaine… veut vivre dignement ; … elle veut être respectée ; elle revendique une gouvernance limpide qui ne confonde pas l’intérêt privé avec l’intérêt général, et plus que tout, elle veut la paix et la justice. En ce moment, il y a trop de scandales et d’injustices, trop de corruption et d’avidité, trop de mépris et de mensonges, trop de violences qui conduisent à la misère et à la mort ». Puis, vous vous interrogiez à juste titre en parlant à la conscience des enfants de Dieu que sont les Béninois : « Qui oserait dire qu’un tel diagnostic ne correspond pas au marasme politique et économique qui nous frappe actuellement de plein fouet et qui nous aurait relégués parmi les pays les plus pauvres du continent et du monde ? N’est-ce pas le moment propice d’en prendre vraiment conscience pour nous remettre sérieusement en cause et nous donner les moyens de sortir de ce drame ? »

Chers Évêques et Administrateurs apostoliques,

Pensez-vous qu’aujourd’hui le Chef de l’Etat a pris conscience du déficit de dialogue politique qui nuit gravement à la cohésion sociale, à la cohésion politique et à la cohésion nationale lorsque les Béninois sont amenés à suivre tous les soirs sur leurs petits écrans des reportages sur la tenue de marches de soutien bêlantes et ridicules à la gloire de Yayi Boni, principalement dans les régions du Bénin dont l’intéressé affuble les habitants de l’adjectif « les miens » qu’il garde comme un arsenal de guerre pour venir affronter ses détracteurs impénitents dans les rues de Cotonou ?  Alors que vous suggériez aux gouvernants d’aller à un dialogue politique avec toute la classe politique sans exclusive, c’est à une mascarade et distrayante préparation d’un pseudo dialogue qu’on a eu droit en début de cette année 2015 qui s’est terminée en queue de poisson à cause du comportement abject des représentants du pouvoir en place. Vous ne vous en doutez peut-être pas. En réalité, Yayi Boni n’a jamais voulu d’un dialogue politique au Bénin, mais plutôt d’un monologue dans lequel il est évidemment le seul maître à bord devant une opposition politique dormante et sclérosée qui lui laisse le terrain libre tel un boulevard ouvert sur le paradis. Bien plus que cela, à un an environ de la fin de son mandat constitutionnel, l’on voit un Président de la République en permanence sur le terrain à faire des annonces ubuesques et hérétiques difficilement réalisables dans le temps qu’il lui reste pour  dire ses adieux aux Béninois. En fait, comme il l’a fait en 2010 lorsqu’il a perdu la majorité à l’Assemblée nationale, Yayi Boni se tourne vers la population pour une campagne électorale précoce en vue de ratisser large pour les législatives d’avril et les municipales de mai 2015.

Les congressistes des Fcbe n’ont d’ailleurs pas caché leurs intentions lorsque leur Coordonnateur factice, Eugène Azatassou, annonçait qu’ils ambitionnent d’avoir dans leur gibecière 50 députés et 60 maires lors des prochaines échéances électorales.

Dites-moi, Messeigneurs et Administrateurs apostoliques, un Chef d’Etat qui est en fin de mandat constitutionnel a-t-il encore besoin d’une majorité au Parlement ? Quel enjeu, quel défi reste-t-il encore à ce dernier à relever vis-à-vis des populations si ce n’est de travailler à l’amélioration de leur mieux-être quotidien ? Qu’est ce qui explique toutes ces errances présidentielles que nous observons ces derniers temps au point d’amener le Chef de l’État à avoir la bougeotte et de se présenter aux populations dans un état presque comateux ? On en a même pitié des fois.

Chers Évêques et Administrateurs apostoliques,

C’est dans ce contexte marqué par l’embrouille, la suspicion, la ruse qu’entretient soigneusement Yayi Boni sur ses réelles intentions et surtout de manque de dialogue politique exacerbé par la crispation du tissu social qu’intervient cette résolution du Congrès des Fcbe qui réaffirme la volonté du Chef de l’État de procéder, coûte que coûte, à la révision constitutionnelle.

Vous l’aviez si bien compris, Évêques et Administrateurs apostoliques, dans votre message du 15 août 2013 qui reste plus que jamais d’actualité lorsque vous écrivez que : « Dès la transmission d’un tel projet par le gouvernement au Parlement, le 6 juin 2013, les populations ont réagi, mettant aux prises, et de plus en plus ouvertement, trois catégories de concitoyens : les protagonistes acharnés de la révision, les antirévisionnistes radicaux et ceux qui acceptent le principe de la révision mais n’en voient pas l’urgence et n’en approuvent surtout pas la méthode ». Et comme pour prévenir, Serviteurs de la vérité de l’Évangile, votre message du 15 août 2013 avertissait qu’ « aucune réforme qui suscite de fortes tensions et oppositions n’a jamais profité à un peuple qu’elle divise. A qui et à quoi servirait la révision dans la division, sinon à mettre en péril la paix de la Nation ? »

Oui, Chers Évêques et Administrateurs apostoliques, au lendemain de ce Congrès des Fcbe, il y a péril en la demeure ! Le Bénin court un grand risque ! Ça rumine déjà ! Ça grogne ! Le danger est à nos portes ! Les prochaines campagnes électorales pourraient être les prémices d’une déconfiture du tissu social dont n’en a cure le pouvoir en place !!!

Allez-vous laisser le peuple de Dieu de la terre béninoise tomber dans l’abîme dans lequel le conduisent cyniquement les gouvernants ? Allez-vous rester " spectateurs joyeux " devant le déclin de la terre que nos ancêtres nous ont léguée ? Allez-vous rester amorphes pour que les biens aimés filles et fils de Dieu du Bénin commencent par s’entredéchirer dans les prochains jours ? Croyez-moi, les signaux sont déjà au rouge sur cette affaire de révision constitutionnelle !!!  « Mieux vaut prévenir que guérir », nous enseigne la morale.

L’Église catholique du Bénin, par le passé, a toujours joué un rôle prépondérant dans la pacification des élans belliqueux de politiciens mal inspirés au pays de Béhanzin, de Bio Guerra, de Toffa 1er et de Kaba. L’œuvre ineffaçable de feu Isidore de Souza à la Conférence nationale des forces vives de février 1990 est encore vivace dans nos esprits pour nous sortir de notre torpeur.

Et c’est justement pour ça que je vous interpelle ; que dis-je, que je vous apostrophe… Excusez ma hardiesse et surtout mon impertinence. Croyez-moi, je suis de bonne foi quand il s’agit des intérêts du pays qui m’a vu naître, grandir et où je vis. Rien ne me retient…

« Plaise à Dieu qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots », implorait feu Mgr Isidore de Souza, il y a de cela 25 ans à l’Hôtel Plm Alédjo, berceau de la démocratie béninoise, aujourd’hui laissé dans un piteux état par les princes qui nous gouvernent aussi aveuglément. 

Quant à vous, vous exhortiez, en ce 15 août 2013, les acteurs politiques béninois à « revenir à l’esprit consensuel et convivial de la Conférence nationale des forces vives, pour instaurer le dialogue politique et restaurer la confiance » ; et moi j’ajoute, pour susciter l’espérance dans les rangs des populations béninoises dont la jeunesse est aujourd’hui plus que jamais déboussolée et désabusée devant les promesses sans lendemain et des recrutements aux relents électoralistes dans des emplois précaires opérés par un régime en place qui s’empêtre, d’année en année, dans des scandales financiers et politico-économiques qui saignent à blanc les caisses du pays et hypothèquent l’avenir déjà sombre. 

Chers Evêques et Administrateurs apostoliques,

Comme vous pouvez le constater avec moi, le 28 février 2015, il faisait 25 ans que la Conférence nationale des forces vives de février 1990 a engendré un renouveau démocratique au Bénin. Et comme pour rester fidèle à sa logique de décapitation des acquis de cette historique Conférence, l’actuel pouvoir exécutif n’a rien fait, du moins à notre connaissance, pour célébrer, j’allais dire, magnifier Dieu, le Père céleste pour nous avoir permis de franchir cette étape importante de notre vie politique sans effusion de sang.

Naturellement, celui qui n’a contribué en rien à l’instauration de la paix dans une nation ne voit pas l’importance de la préserver. Bien au contraire ! Et c’est le cas hélas. Souvenez-vous de ces propos présidentiels du 1er août 2012…

Certes, vous l’aviez confessé, le 15 août 2013, que « l’Église n’apporte aucune solution technique ni politique. Mais elle a le devoir moral de faire remarquer qu’en régime démocratique, aucune réforme qui suscite de fortes tensions et oppositions n’a jamais profité à un peuple qu’elle divise ».

Chers Évêques et Administrateurs apostoliques,

C’est à ce devoir que je me permets humblement de vous appeler afin que votre action légendaire puisse aider le peuple béninois à arrêter la dérive au sommet de notre État au lendemain de ce Congrès extraordinaire des Fcbe dont la résolution capitale, visant à engranger le maximum de députés pour tripatouiller notre loi fondamentale, n’a pour objectif final que de diviser les filles et fils de ce pays cher à nous tous.

C’est aussi une pierre que je voudrais lancer dans le jardin de la communauté musulmane afin que ses responsables prennent leur part loin des agitations de cet habitué usurpateur bêlant et errant dans la capitale du Bénin.

Devant l’appétit goinfrant de certains responsables de communautés religieuses et d’autorités morales qui désertent leurs palais royaux, pour ceux qui en détiennent réellement le titre, pour s’alimenter sous les lambris dorés du Palais de la Marina, seul le Clergé béninois constitue aujourd’hui pour nous l’ultime secours. Évitez-nous le péril imminent. Vous en avez les moyens. Nous, vos fidèles, nous vous écoutons…

La patrie ou la mort, nous vaincrons.

En la solennité de ma profonde conviction

Cotonou, le 28 février 2015

Je reste Apol. Emérico Adjovi 

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