Gigantesque marche de l’opposition : Cotonou a frôlé le pire

Cotonou a encore vécu une journée de tension hier. La marche annoncée pacifique par l’opposition a très tôt viré au cauchemar. La soldatesque à la solde du pouvoir s’est opposée à la volonté des marcheurs déterminés et gonflés à bloc par la présence de leur coqueluche Candide Azannaï. Et bonjour les escarmouches. Pendant près de quatre heures, Cotonou a été l’otage des détonations des gaz lacrymogènes, des fumeurs de pneus incendiés, des artères bloquées….Un véritable mercredi noir.

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Les militants du Parti communiste du Bénin(Pcb) et quelques artisans des droits de l’homme devraient garder de ce mercredi 06 mai un triste souvenir. Ils commémoraient, eux, les 30 ans de l’assassinat de l’élève Parfait Acatcha abattu en pleine lutte estudiantine le 06 mai 1985 par un soldat des Forces armées populaires (l’appellation de l’armée au temps de la révolution). Trente ans après, l’histoire a semblé se répéter. A la place de l’Etoile Rouge d’où devrait partir une gigantesque marche de l’opposition organisée en réplique à la tentative d’arrestation le député Candide Azannaï mais interdit aussi  arbitrairement par le ministre de l’intérieur, il n’avait pas de quoi se mobiliser pour une marche. Au petit matin, le gouvernement avait déversé sur ce lieu, symbole de la résistance citoyenne, une horde de militaires armés jusqu’aux dents et chargés de réprimer toutes sortes de mobilisation. A partir de 08h30, heure fixée pour le rassemblement, les premiers marcheurs ont été sommés de vider les lieux. Candide Azannaï viendra un peu après 08h30. Dans sa voiture noire, il fera deux tours de la place avant de stationner un peu à l’écart. C’est un peu après cela que la mobilisation est devenue forte. Un à un les responsables politiques de l’Un comme Eric Houndété, Lazare Sèhouéto, Saka Fikara, Lehady Soglo, Bani Samari, Orden Alladatin, Parfait Houangni, Guy Mitokpè, Janvier Yahouédéou, Jean Roger Ahoyo, Paul Essè Iko, …En dépit des harcèlements des militaires, les marcheurs lancent la marche :départ de la place de l’Etoile et prennent le boulevard du Canada – l’itinéraire choisi dit-on de commun accord avec les responsables de la police la veille. Mais ils n’iront pas très loin.  300 m plus loin, juste au premier grand carrefour de Vodjè, ils se heurtent à un barrage militaire. Des gros camions militaires et des pick up de la police sont garés de façon transversale sur la voix. Devant le dispositif de barrage une horde de gendarmes dirigée par le colonel Eric Agassounon, commandant du groupement sud de gendarmerie et des « bérets verts » et un bon contingent de policiers sous la direction du commissaire Lambert Agblo, commissaire centrale de la ville de Cotonou.. Tous étaient armés de gaz lacrymogènes et d’équipements anti-émeute et avaient l’air grave. Le cortège des marcheurs, Candide Azannaï en tête, s’est immobilisé à 25 m environ du barrage sécuritaire. Terminus. Pendant près d’une heure, les responsables des marcheurs comme Jacques Ayadji et d’autres ont négocié en vain l’ouverture du passage mais en vain.

Coupé décalé

A 11h, Candide Azannaï et les responsables de l’opposition avancent un peu vers la ligne des forces de l’ordre.  On croyait que c’est pour une ènième négociation mais erreur, Azannaï et les siens passent à côté du barrage, bifurquent à gauche et s’engagent dans la ruelle pavée allant vers l’Ecole nationale d’économie appliquée(Eneam). Les milliers de marcheurs les suivent, branchage en main, scandant des jurons comme « Yayi Boni Héélouéé » ou « Azannaï n’est pas Dangnivo ». Le colonel Agassounon, le commissaire Agblo et leurs hommes sont surpris mais ils n’abdiquent pas devant la détermination des marcheurs. Après quelques minutes de concertation, ils démarrent tous les véhicules militaires, prennent par des ruelles de Gbégamey et parviennent très rapidement au carrefour de l’Eneam. Là aussi, ils se servent de deux pick up pour bloquer la voie. Le Colonel Agassounon, remarquable dans ses mouvements, ses appels par talkies- walkies et ses injonctions aux subalternes croyaient avoir réussi sa mission. Mais une fois encore, Azannaï le « coupe » et « décale » comme à l’ivoirienne. A quelques mètres de l’entrée principale de l’Eneam, ayant vu devant lui un nouveau barrage militaire,  Azannaï et les responsables de la marche bifurquent à nouveau à droite, dans une ruelle. Le colonel Agassounon et ses hommes sont à nouveau déroutés. Ils reprennent le volant et se lancent à la recherche du nouvel itinéraire de la marche. C’est parti ainsi pour plusieurs minutes de chasse à l’homme.

Cadjêhoun en état d’alerte maximale

Ayant perdu le contrôle de la situation et ne maitrisant plus l’itinéraire des marcheurs, le haut commandement militaire distille des militaires parfois dans toutes les rues de Gbégamey et Cadjêhoun. La voix allant du carrefour de la mosquée de Cadjêhoun jusqu’à la présidence est fermée. Devant la présidence, plusieurs chars sont disposés tout autour. Le dispositif est renforcé par des centaines de militaires lourdement armés. Idem à la Plaque du Souvenir/Place des Martyrs point de chute des marcheurs et le carrefour de l’église du Bon Pasteur où un autre char est disposé. Toutes les voies d’accès à cette artère sont aussi fermées. Malgré cette présence militaire, les marcheurs parviennent au carrefour du Codiam où les choses deviennent plus sérieuses.

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Sandwich

Arrivés au carrefour du Codiam, à environ 100 mètres du palais de la Marina, les marcheurs ne peuvent plus progresser. Ils se heurtent à un détachement avancé de la garde présidentielle. Deux chars leur servent d’appui. Les militaires alignés en face juste dans le jardin public où est érigée la statue du cardinal Gantin ont l’air  plus grave ecore. Le colonel Tétédé Idjouola, reconnaissable par sa petite taille et un casque militaire sur la tête est là aussi. C’est lui le patron de la garde présidentielle. Il se montre intransigeant. Quelques minutes après, les hommes du Cc Lambert Agblo, lui-même en tête, viennent de la voix pavée qui passe devant le Codiam et l’institut Chant d’Oiseau.  Un autre détachement composé de gendarmes et de militaires vient par derrière, du côté de Gbégamey, villa du 21 Avril. Les hommes du commissaire lancent la sommation. De loin, je le vois dégoupiller sa grenade puis à 12h 04, la première détonation de gaz lacrymogène résonne au sein des marcheurs ainsi pris en sandwich comme se plait à vociférer un des jeunes officiers militaires chargés de l’opération. « Prenez-les en sandwich », disait-il. C’est la débandade. Les marcheurs reculent et se refugient sous les manguiers, vers le stade de Gbégamey. D’autres vers le kiosque des journaux non loin de la morgue. Les tirs de gaz lacrymogène durent environ une dizaine de minutes. Des bonbonnes lancées parviennent jusqu’aux pieds de Candide Azannaï juste derrière la clôture du Codiam. Malgré la débandade, un bouclier humain le ceint et le protège. Ceci lui permet de résister aux effets des gaz. Seul Eric Houndété, habilement positionné de l’autre côté de la rue où se trouvent les colonels Idjouola et Agassounon n’a pas été embêté. Il profite même pour accorder une interview, le temps d’une accalmie. Le colonel Idjouola très tendu, nous demande de venir lire ici la motion sous ses yeux. « Ils ne sont pas des responsables de la marche. Les responsables sont partis », lui répond le colonel Agassounon. « Rentrez chez vous, ne prenez pas des risques dans une affaire qui ne vous intéresse pas », nous conseille -t-il. C’est pendant ce temps que le député Issa Salifou rejoint la marche. Salue son collègue Houndété et demande à voir Azannaï déjà isolé par sa garde et installé dans son véhicule sous un manguier à côté de la clôture du terrain du camp Guézo.  Une autre série de gaz est lancée à nouveau pour disperser totalement tout le monde. La foule se replie et s’installe dans la rue pavée derrière le codiam et le collège Père Aupiais. Issa Salifou et Azannaî trouvent une tribune de fortune (une table) et s’y installent pour parler aux marcheurs. A peine le député Azannaï eut le temps de remercier tous les marcheurs et les gaz lacrymogènes tonnent à nouveau. Tout le monde détale, dans la fuite, des gens tombent sur des motos. Après quelques minutes de récupération, Issa Salifou, Saka Fikara, Lehady Soglo et les autres demandent aux responsables des partis politiques de le rejoindre à canal3.La foule déchainée les suit.

Canal3 : le comble !

Sur le chemin de retour, des marcheurs récupèrent des pneus qu’ils brûlent sur la chaussée pour bloquer la circulation. Cette situation amène à nouveau les militaires à lancer une dernière sommation devant canal3. Pendant près d’une heure, la soldatesque  a pourchassé les marcheurs un peu partout dans les vons, a arrêté certains et emporté des motos abandonnées lors de la débandade. Des bonbonnes atterrissent dans l’enceinte de la télévision où se sont refugiés les responsables comme Lehady Soglo, Candide Azannai, Saka Fikara, Richard Sènou et les autres pour s’adresser  aux populations.

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