Jacques Migan : les possibilités pour traduire Yayi devant la Hcj s’accroissent

La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 prévoit  en son article 53 : « Avant son entrée en fonction, le président de la République prête le serment suivant : Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté ;

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Nous …, président de la République, élu conformément aux lois de la République jurons solennellement : de respecter et de défendre la Constitution que le Peuple béninois s’est librement donnée, de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation nous a confiées (…). En cas de parjure, que nous subissions les rigueurs de la loi ».

Le serment prend la forme d’un engagement verbal et sacramentel à remplir ses fonctions avec zèle et à respecter les obligations qui lui sont liées. Parmi ses obligations, figurent en bonne place celle de veiller au respect de la Constitution. La réflexion sur le contenu du texte d’un serment du président  de la République s’inspire de l’article 46 de la Constitution, aux termes duquel le président de la République veille au respect de la Constitution, assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des lois et des traités.

Cette disposition offre en effet une remarquable synthèse des missions du chef de l’État.

L’actualité récente au Bénin indique que l’Honorable Candide AZANAI a fait l’objet d’une convocation à se présenter à la compagnie de la brigade de gendarmerie de Cotonou. Les propos qualifiés d’ « orduriers  et injurieux » par le garde des Sceaux tenus par l’honorable serait à la base de cette poursuite pénale. Or, la poursuite d’un député à l’Assemblée Nationale obéit à des règles et procédures dérogatoires au droit commun en raison de la qualité de la personne poursuivie. Ces règles tiennent notamment à l’immunité et l’inviolabilité parlementaires.

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L’immunité parlementaire permet essentiellement de protéger et de soustraire les députés aux excès des pouvoirs concurrents que sont le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Les députés qui forment l’Assemblée Nationale et qui incarnent le pouvoir législatif sont en effet investis par la Constitution pour contrôler l’action du pouvoir exécutif. Les députés déterminent également aux termes de l’article 34 de la Constitution les règles qui gouvernent le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Dans l’exercice de ces deux missions les députés peuvent s’attirer les disgrâces des deux pouvoirs concurrents notamment de l’exécutif.

L’inviolabilité représente quant à elle une protection d’ordre procédural visant à subordonner les poursuites contre un parlementaire en matière pénale à l’autorisation de l’Assemblée Nationale (voir les dispositions de l’article 90 de la Constitution et 69 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale).

Au regard des faits de la tentative d’arrestation tels que rapportés par Candide AZANNAI (dans une interview accordée à la radio Océan Fm), ni les règles élémentaires d’arrestation, ni la procédure préalable de poursuite d’un député n’ont été respectées.

Au-delà des irrégularités qui entachent la procédure de poursuite, c’est davantage l’auteur de la plainte et le contexte dans lequel la poursuite s’exerce qui suscitent quelques interrogations.

Sur l’auteur de la plainte. On le sait, il s’agit si de Monsieur Boni YAYI dont la personne se confond avec celle d’une autorité, celle d’une Institution savoir le Président de la République. Dans une démocratie soucieuse du respect de la liberté d’expression, les poursuites engagées par le président en tant que personnage public sont très mal perçues et conduisent à l’intimidation des populations et au musèlement des libertés démocratiques.

Sur le contexte. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes actuellement au lendemain de la proclamation par la Cour Constitutionnelle des résultats des élections législatives. Ces résultats ont révélé la popularité et la légitimité dont bénéficie l’honorable Candide AZANNAI dans la capitale au détriment du Président de la République et les thuriféraires de son régime.

Le constat fait hier est que la volonté du Chef de l’Etat d’ « enlever » l’honorable député (puisque le support matériel et procédural de la poursuite ne répond à aucune norme légale) a suscité une escalade de violence d’une extrémité inégalée depuis l’avènement du renouveau démocratique au Bénin. Cette vague de violence qui a mis Cotonou à feu toute la journée et la nuit du 04 mai interroge sur le respect par le Chef de l’Etat de son serment puisqu’il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des lois et des traités.

 Cela suffit amplement pour accuser la Haute Autorité de parjure.

Quelques mois plus tôt, la Haute juridiction constitutionnelle  a déclaré que le Chef de l’Etat a méconnu la constitution. On  a relevé à l’occasion -l’excès de prudence qui a caractérisé le dispositif de l’auguste Cour en l’espèce – celle-ci ayant manqué de tirer les conséquences qui se dégageaient de sa décision.

En effet, saisie d’une requête du 03 août 2012, par laquelle Monsieur Serge Roberto PRINCE AGBODJAN a sollicité sur le fondement des articles 36, 41 et 35 de la Constitution, « le contrôle de constitutionnalité de certaines paroles tirées de l’entretien du Président Boni YAYI au cours de l’interview dénommée «Boni YAYI à cœur ouvert» diffusée sur l’ensemble des ,chaînes de la télévision béninoise et en rediffusion le 02 août 2012 sur la Télévision Nationale », la Cour Constitutionnelle a reconnu que le Président Boni YAYI a méconnu la Constitution.  Le Chef de l’Etat avait déclaré en son temps : « Je leur opposerai les miens du Bénin profond et ils vont s’affronter», «Je dis que les gens sont trop petits avec Boni YAYI ».

Ces propos de nature à inciter à la partition du pays et au régionalisme furent sanctionnés par la Cour à l’occasion de ce recours. Mais il s’est agi juste d’une sanction purement déclaratoire.

Ces propos conjugués à la poursuite de Candide AZANNAI et la montée de violence qu’elle a engendrée suffisent à poursuivre le Chef de l’Etat du chef de parjure.

L’article 74 de notre Constitution prévoit en effet : « Il y a haute trahison, lorsque le Président de la République a violé son serment, (…) ». Il ressort de cette définition que les éléments matériels constitutifs de la haute trahison sont : la violation par le Président de la République de son serment prévu à l’article 53 de la Constitution et qui pouvait résulter entre autres du non respect des droits de la personne humaine, du défaut de loyauté dans l’accomplissement par le Président de la République des devoirs de sa charge, d’actes attentatoires à la paix et à l’unité nationale etc….

Mais au-delà d’une poursuite devant la Haute Cour, si les réactions populaires face aux errements du président de la République occasionnent insurrections et troubles graves avec un cortège de victimes, c’est devant la Cour Pénale Internationale que le Président Boni YAYI pourrait être cité.

Plaise qu’on en arrive là ! La démocratie béninoise doit être conservée à tout prix.

Maître Jacques A. MIGAN

Ancien Bâtonnier

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