Tribune libre : pour une alternative de gauche démocratique et républicaine

(Réponse aux limites des idées, des pratiques et des hommes de la “démocratie chrétienne” qui ont dirigé le Benin depuis 1990) Notre pays vient de terminer le septième cycle d’électionslégislatives. Une dizaine de partis ou alliances de partis sera représentée à l’Assemblée Nationale.

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Une première lecture montre que notre pays vit encore au rythme des fiefs ethniques où on se fait élire « chez soi » pour l’essentiel. Les partis –et les alliances- s’ancrent dans la région d’origine de leurs chefs : PRD à Porto Novo et environs, UN/PSD dans le Couffo, UN/MADEP dans l’Ouémé, RB a Abomey, RP a Cove, FDU à Bopa, ABT a Djougou, Alliance Soleil et Eclaireur dans les communes de leurs dirigeants.  Aucun d’entre eux ne se réclame de la « démocratie chrétienne «  en tant que tel, ce d’autant que nous vivons dans un pays ou existe une minoritémusulmane significative, et une majorité d’animistes. ET POURTANT !

Conférence Nationale et triomphe de la « démocratiechrétienne »

Notre pays vient de boucler 25 ans de “renouveau démocratique” inaugurés par la conférence nationale de “forces vives” en 1990.

La conférence nationale, on le sait, a étéorganiséeà l’instigation de la France, soucieuse de préserver son contrôle sur le Benin et d’éviter qu’une révolte populaire ne débouche sur une véritablerévolution mettant en cause ses positions et intérêts, non seulement au Bénin, mais dans le reste de l’Afrique Francophone, par effet de dominos.
Dans le contexte de failliteéconomique et de résistance populaire animée notamment par les communistes du PCD et les syndicats autonomes marqués à gauche, la conférence nationale a été le moyen pour les puissances étrangères d’organiser “un atterrissage en douceur”.Ce scénario de confiscation des fruits des luttes populaires se répètera et se répèteà l’infini en Afrique, le Burkina Faso étant le dernier exemple en date.

Pour reprendre le contrôle de la situation, les puissancesétrangères se sont appuyées sur un corps d’idées -même si celui-ci n’était pas formellement structuré et présenté comme tel- et surtout des hommes les portant –même si ceux-ci n’étaient pas formellement organisés en tant que tels (en tout cas pas publiquement. Ces hommes et ces idées furent présentés au peuple béninois comme la seule alternative à la caricature du marxismeléninisme offerte par le PRPB de Kérékou et l’inconnue qu’était à leurs yeux, le mouvement populaire qui se développait.

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A l’examen, ce corps d’idées et ces hommes s’apparente ce que l’on appellecommunément la démocratiechrétienne.

Quand on examine le présidium de la conférence nationale, on observe que sur 13 membres, trois sont des « démocrates chrétiens » avérés, le prélat Isidore de Souza, les leaders laïcs catholiques comme  Albert Tévoèdjrè et  Antoine Détchénou. La puissante commission des lois de la CNS était dirigée par le leader catholique laïc Maurice Glélé. Sur 13 membres du présidium, deux seulement représentent les travailleurs –  Léopold Dossou, Timothée Adanlin – qui ont pourtant été aux avant-postes de la lutte contre l’autocratie. Les communistes que la conférence avait pour but de marginaliser étaient –on peut le comprendre absents. Les « technocrates » aux affiliations incertaines étaient clairement sous le contrôle politique et idéologique des « démocrateschrétiens » qui dirigeaient et faisaient la synthèse des débats (de Souza, Tévoèdjrè). Le président Soglo, archétype des technocrates , président de la commission économique ne s’est imposé que face à l’absence d’expert reconnu parmi les « démocrateschrétiens » et ses déboiresultérieurs ne sont pas sans lien avec sa non appartenance au cercle des « démocrates chrétiens »

Renouveau démocratique et mainmise politique et idéologique des « démocrates chrétiens », catholiques et évangélistes

Ces 25 dernières années , peuvent être décrites comme 25 années de pouvoir sous l’emprise des idées et des hommes de la “démocratie chrétienne”, depuis  Monseigneur de Souza, premier président du Haut Conseil de la République à YAYI Boni, Pasteur évangéliste en devenir, en passant par le faiseur de rois, Tévoèdjrè –alias frère Melchior-, ou le “père” de la constitution, le respectable et respecté Professeur Maurice Glélé, leader catholique avéré.

L’organisation de la vie politique au Bénin, les ambitions et les ego surdimensionnés des intellectuels présents sur la scène politique, les limites des dits intellectuels et la prévalence de l’analphabétisme font que les regroupements politiques ne s’appuient pas de façon explicite sur un corps d’idées, un programme défini. Tout le monde veut “ratisser large”, se présente sous le drapeau de l’unité nationale, du “développement “ et autres slogans ressassés ad nauseum depuis les indépendances formelles.

La tradition politique de notre pays ne permet pas une classification politique claire et les partis représentés au parlement  n’affichent pas clairement une idéologie politique ou un programme bien défini. Bien souvent, ils sont construits sur des bases ethniques  par des entrepreneurs politiques (comme le dit fort justement le Pr Ahoyo Roger) qui en font leur fonds de commerce. Mais ces partis, PRD, MADEP, RB, NCC, FCBE, Force Clé, leurs combinaisons –AND, Alliance Eclaireur, Soleil et autres regroupements  etc…ont un fonds commun :

  1. Au plan économique, le mercantilisme généraliséà tous les secteurs de l’activité humaine, le laissez- faire débridé, et la dépendance vis à vis de l’étranger , en particulier la soumission aux diktats des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, Fonds Européen) tant au point de vue du modèleéconomique que de l’exécution des politiques économiques ( politiques favorisant une économie de traite a peine rénovée sous couvert d’orthodoxie financière.Abandonnant tout effort pour définir un modèle propre de croissance pouvant sortir notre peuple de la misère, remettant à l’étranger les instruments de politique monétaire (Franc CFA), les représentants de ces partis se différencient en termes de promesses (jamais tenues) de taux de croissance ou d’épaisseur du carnet d’adresses de dirigeants ou notables étrangers!
  2. Au plan politique, la marginalisation des classes et couches populaires (ouvriers, paysans, petits commerçants, petits fonctionnaires, artisans, jeunes diplômés sans emploi, étudiants apprentis, etc…) et de leurs organisations (syndicats, coopératives, associations de développementcommunautaire) au profit d’une soit disant élite de haust fonctionnaires et gros commerçants dont la majorité se révèlera le cœur de la kleptocratie dominante. La composition sociale du parlement au cours des 6 législatures du renouveau atteste de ce hold-up politique. Cette marginalisation se construit sur la réduction progressive des libertés publiques (presse, association, manifestations) dans le même temps ou on célèbre les libertés individuelles sur fond d’alliances à géométrie variable, et de “combinazionne “ dont les démocrates-chrétiens italiens s’étaient fait les maitres avant leur déchéancerécente.
  3. Au plan culturel, la célébration des cultures occidentales et le mépris de nos traditions et  valeurs de chez nous, symbolisés par le retour en force des costumes européens ( le comble du ridicule étant YAYI Boni se faisant inaugurer en redingote, costume queue de pie que même les présidents des pays occidentaux n’osent plus arborer…
  4. Au plan social, ils prêchent l’acceptation des inégalités comme fatalité divine (“les doigts de la main ne sont pas égaux “) et invoquent la nécessite de la paix sociale pour étouffer les légitimes revendications des travailleurs. Construits sur des bases ethniques, ces clubs électoraux, exacerbent les antagonismes ethniques par des politiques et pratiques de népotisme et de clientélisme fondés sur l’appartenance clanique.

Ce fonds commun des idées et pratiques de la “démocratiechrétienne” acclimatée à notre environnement tropical a été la base objective (si ce n’est consciente pour la majorité des acteurs) des politiques et gouvernements qui se sont succèdé depuis 1990.

Le gouvernement YAYI ou les limites de la « démocratiechrétienne » mises à nu

Le gouvernement de Boni YAYI a révèlé dans toute sa splendeur l’échec de ces idées et pratiques. YAYI  et son gouvernement de technocrates de la Bceao  aux tendances autocratiques, installé par les idéologues et “deus ex machina” de la “démocratiechrétienne” aux couleurs de chez nous (Tévoèdjrè alias Frère Melchior, entre autres), a pousséà l’extrême l’aplatissement devant les institutions financières internationales avec comme résultat une croissance économique inférieure à celle des Etats de la sous-région (les prétendues envolées à 5,4% et 5,6% des dernières années pâlissant à côté des 6%+ affich2s par les autres pays), une expansion et une aggravation de la pauvreté ( mêmemesurée par les indicateurs imparfaits des dites institutions passant de 33% de la population en 2007 à 36% de la population en 2011 –dernier chiffre publié par la Banque Mondiale), le déficit de la balance des paiements passant de -$534 millions en 2007 a – $576 en 2012 (dernier chiffre publié par la Banque Mondiale) après un saut de -$217 millions a -$534 entre 2006 et 2007 première année de Yayi au pouvoir. Ajoutez à cela que des pans entiers de l’économie nationale sont bradés aux transnationales étrangères –françaises notamment- avec les Bolloré, Veritas et Cie. La corruption maintenant ancrée dans le tissu économique et social est l’inévitable corollaire du mercantilisme débridé et la mise à l’écart des producteurs de la richesse nationale –paysans, ouvriers et artisans.

L’échec des politiques économiques de YAYI et ses technocrates de la BCEAO, supposés être les plus compétents de la “technocratie” vassale des FMI et Banque Mondiale, ces gens d’une arrogance et morgue inégalée chez nous, qui nous avaient promis une croissance à deux chiffres,  est le témoignage patent des limites des idées, pratiques et hommes de la démocratie chrétienne en matière économique. Cet échec vient après l’installation pendant 10 ans d’une mafia  de kleptocrates par Kérékou II converti à l’évangile et adoubé par les faiseurs de rois démocrates  chrétiens (Tévoèdjre et Cie).

Sur le plan social, nos villes découvrent la mendicité publique généralisée, nombre d’enfants sont contraints au travail et ne peuvent malgré cela faire deux repas par jour.

Au plan culturel, le mercantilisme débridé a fait de l’éducation un business florissant, grugeant les parents anxieux de préparer un avenir à leurs enfants et déversant diplômés ou semi diplômés sans sérieuse qualification en adéquation avec les besoins de l’économie sur le marché de l’emploi. Lesuniversités publiques sont devenues le dernier champ d’exercice du clientélisme ethnique, chaque village faisant du lobbying pour avoir son amphithéâtre au mépris des intérêts des apprenants et de la recherche scientifique, dans un contexte de raréfaction des moyens affectés à l’enseignement et à la culture.

En matière politique, les Béninois sont à juste titre écœurés par les transhumances répétées, les alliances à géométrie variable, sans principe –autre qu’alimentaire-, le dévoiement des institutions – complices comme le dira Yayi. Les démocrates-chrétiens béninois se sont révèlés plus experts en “combinazionne” que leurs maitres italiens. Les dérives autocratiques, déjà présentes dans le premier gouvernement du “Renouveau” sous Soglo, avec les détentions arbitraires de communistes chrétiens comme le Pr  Albert Gandonou, sont allés crescendo pour atteindre sous Boni YAYI des niveaux inégalés : suppression de journaux, interdiction de grève, tirs sur les manifestants etc…

Sans en faire une question de religion –nous sommes chrétiens attachés à l’Evangile de service de Jésus Christ-, un constat d’Echec s’impose.

En matièreéconomique, sociale et politique, les idées, pratiques et hommes de la démocratie chrétienne qui ont triomphé lors de la conférence nationale ont maintenant fait la preuve dans la pratique de leur échec , de leur incapacité à résoudre les problèmes de notre société.

Il est maintenant temps pour la reconstruction –d’aucuns diront la construction- d’une alternative de gauche démocratique et républicaine

Pour une alternative de gauche, démocratique et républicaine

L’urgence d’une alternative est d’abord celle qu’impose l’échec des politiques suivies depuis l’Indépendance, l’incapacité des dirigeants successifs de notre pays à transformer  la situation de misère et de paupérisation croissante de nos peuples : les hôpitaux mouroirs, les enfants mal nourris, les écoliers arpentant les rues à longueur de journée, faute de classes et de maitres, les jeunes désespérant de trouver un emploi quand bien même leur parents auraient consenti de lourds sacrifices pour leur éducation, les paysans s’échinant au labeur pour découvrir que les fruits de leur travail ne suffit pas à nourrir leur famille, encore moins à instruire et soigner leurs enfants, les ouvriers réduitsà se loger dans des bas-fonds marécageux ou à des dizaines de kilomètres des lieux de travail, s’exposant aux accidents quotidiens de Zemst etc….

Le spectacle offert par les formations des listes de candidats pour les dernièresélections est révélateur de l’urgence d’une telle alternative.

La liste de l’Alliance pour une Nouvelle Gouvernance conduite par le PCB et ses allies offrait une perspective différente, la seule représentantvéritablement des idées de gauche. Cette alliance n’a pas eu le succèsélectoral que les conditions matérielles auraient permis d’entrevoir. Se pose alors la question de la propagation des idées de gauche et la construction d’une force d’opposition réelle à la politique de bradage de nos ressources et d’appauvrissement de notre peuple.

Au-delà de cette liste, des démocrates sincères et des patriotes soucieux d’apporter des réponses aux défis de notre société, semblent n’avoir eu d’autre option que de s’aligner sur les listes des partis à base ethnique existants, souvent en position inéligible.

Le parti de Me Djogbénou, où l’on retrouve d ’anciens leaders du mouvement étudiant des années 80 a noué une alliance lui permettant d’être représente au parlement sans que l’on sache clairement la plateforme politique de l’alliance, au-delà de l’opposition à une révision opportuniste de la constitution.

De nombreux autres démocrates et patriotes qui ont par le passé contribué de diverses manières à l’éveil des consciences se tiennent sur le bas côté, observant d’un œil résigné et/ou dégoûté le spectacle de la “curée”.

On peut toujours faire le procès de l’inaction des uns et des autres, du sectarisme des uns ou des autres.

L’heure nous semble venue de dépasser ces combats d’arrière garde pour reconstruire une force politique ancréeà gauche sur la base d’une plateforme minima mais claire.

De nombreuses tentatives sont faites et les bonnes volontés ne manquent pas. Citons pêlemêle Conscience Patriotique et Démocratique animée par d’anciens leaders du mouvement démocratique  notamment, l’Association pour la Liberté et le Développement, l’Appel des 100 etc. … Certains se retrouvent à l’Alternative Citoyenne de Me Djogbenou. Au PSD des militants honnêtes attendent que ce parti par sa pratique et son programme se rapproche de son nom. Certains se retrouvent comme militants directs de l’UN. D’autres se retrouvent àl’ASD. Enfin les plus anciens animaient l’ADP.

Nous oublions certainement bien d’autres, militants ou égarés dans les partis dominants… ou simplement en posture d’observateurs attentifs –et parfois attristés- de la vie politique

Aujourd’hui les forces qui se réclament du progrès, d’une certaine gauche patriotique, sont émiettées, les empêchant d’œuvrerà la prise de conscience et à la mobilisation des couches populaires, pour amener les transformations dont notre société a tant besoin pour sortir de la misèreendémique, de l’appauvrissement culturel, ou simplement influer sur le cours de notre destinée commune.

Nous souhaitons amorcer le débat en vue de fédérer les initiatives, les regroupements, les cercles, et surtout  de mobiliser la jeunesse afin que le flambeau d’une gauche démocratique et républicaine lui soit passé et qu’ensemble, jeunes et moins jeunes puissent offrir à notre peuple une alternative à l’incurie dominante et l’impasse politique menaçant les libertés conquises de haute lutte.

Nul ne sera de trop.

Mais les bases du rassemblement devront êtredéfinies et clairement posées, tant au niveau de la plateforme programmatique, que du fonctionnement interne et du programme d’action.

Nous avançons ces axes de discussion :

  1. Plateforme programmatique autour de quelques axes majeurs et simples, à approfondir dans le débat militant autour :
    1. De l’efficacité économique pour une économie autocentrée tournée vers le marché intérieur et régional, condition et moyens d’une croissance durable au service du peuple. Indépendance économique et préservation de l’environnement sont les socles non négociables de la survie de notre pays . Des voies originales et une transition balisée doivent êtredéfinies pour mobiliser les ressourcesfinancières et humaines, le capital national, pour le mettre au service de la construction nationale.
    2. De la justice sociale et de l’égalité des chances, basée sur une distribution équitable des richesses produites, un accès équitable aux ressources nationales, comme conditions et ciment de la cohésion sociale. Cela suppose le déracinement de la corruption petite et grande, du clientélisme sous toutes ces formes –ethnocentriste et autres-  qui minent nos sociétés et plombent l’avenir.
    3. De la liberté politique et de la participation populaire comme bases essentielles d’une démocratie réelle et participative. Pour s’élever au-delà de la démocratie de façade, l’enracinementde la démocratie passe par l’élargissement de mécanismes de contrôle du pouvoir d’état par les populations organisées utilisant les langues et traditions nationales, de même qu’une stricte séparation des pouvoirs –judicaire, législatif et exécutif- et le renforcement de leur indépendance respectives. Moins d’institutions, institutions plus fortes et ancrage populaire sont les bases nécessaires à la préservation et l’extension d’une société démocratique chez nous.
    4. Du développement de nos cultures et identités nationales comme bases et moyens du progrès. La culture est un instrument de progrèséconomique et de construction de l’identité nationale. Atteindre 100% d’alphabétisation de nos populations en langues nationales, développer les produits culturels nationaux comme alternative à la servile soumission aux modèles culturels occidentaux dominants est une question de survie nationale. L’Indépendance culturelle est la base nécessaire de l’indépendanceéconomique et politique.

Nous invitons au débat et à l’action. Les formes et structures sont à définir, mais l’urgence est telle que le silence devient coupable et complice.

Le chemin est semé d’embuches et la tâche ne sera pas facile.

Nombreux sont ceux qui doutent.

Nombreux sont les sceptiques et les défaitistes.

Il nous appartient collectivement de les faire mentir.

Jean  F. Houessou
(Consultant)
Atlanta  USA

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