Quand la Cour constitutionnelle instaure banalement l’insécurité juridique

Montesquieu dans son célèbre ouvrage «De l’esprit des lois» disait: «Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce la parole de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur». Cette conception du juge spectateur, automate et esclave de la loi est depuis fort longtemps dépassée.

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Devenu la bouche active et interprétative du législateur, le juge a désormais pour devoir, selon Portalis, de mettre les principes de droit en action, «de les ramifier, de les étendre, pour une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées, d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre ne suffit pas.» En d’autres termes, pour éviter l’abus et l’arbitraire, le juge n’interprète la loi que lorsque la lettre de celle-ci est ambiguë, obscure et peu claire. Curieusement, alors que la lettre et l’esprit de l’article 44, 4ème tiret de la Constitution béninoise, qui dispose que «Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République s’il (…) n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature», ne souffrait apparemment d’aucune infirmité, la Cour constitutionnelle, sur le fondement du principe général de droit d’origine latine «annus incoeptus habetur pro completo» (l’année commencée est réputée complète), a cru devoir sauter le verrou de «40 ans au moins» à la date du dépôt de candidature prescrit par ledit article en autorisant les citoyens âgés de 39 ans 01 jour à convoiter le prestigieux et précieux fauteuil de la Marina.

Flash Back sur le recours

Des faits qui ont conduit à cette solution grave de conséquences, il ressort qu’en perspective des élections présidentielles du 28 février 2016, le bureau politique du parti l’Union Fait la Force (UFF) a procédé à la sélection d’une liste de candidats potentiels à soumettre au congrès dudit parti prévu pour le 20 juin 2015. Après analyse des différentes candidatures, alors qu’il a retenu la candidature de Monsieur Atao M. HINNOUHO, né vers 1976, le bureau politique de l’UFF a rejeté celle de Hermès GBAGUIDI, 3ème candidat proposé, motif pris de ce que né le 19 novembre 1976, il ne remplirait pas les conditions prévues par l’article 44, 4ème tiret de la constitution du 11 décembre 1990.

Selon Monsieur Hermès GBAGUIDI, le requérant, le bureau politique de l’UFF, qui a confondu «40 ans au moins» à «40 ans révolus au moins», a violé les articles 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 26 de la constitution béninoise.

Saisie par requête en date du 11 mai 2015, la Cour Constitutionnelle, s’appuyant sur le principe général de droit selon lequel les citoyens sont égaux devant la loi, a décidé que Monsieur Hermès GBAGUIDI, né le 19 novembre 1976, satisfait aux exigences de l’article 44, 4ème tiret de la Constitution, au motif que ledit article «indique que pour être candidat à l’élection du président de la République il faut être âgé de 40 ans au moins à la date du dépôt des candidatures ; que la date du dépôt des candidatures pour l’élection du président de la République se situe dans l’année de l’élection; qu’il en résulte que pour être candidat à l’élection du président de la République, il faut être âgé de 40 ans au cours de l’année de l’élection; que l’âge atteint par une personne au cours d’une année civile donnée, c’est-à-dire, à une date quelconque de cette année correspond à l’âge atteint par cette personne au 31 décembre de l’année en question en application de l’adage de droit français « Année commencée, année acquise », du latin, «annus incoeptus habetur pro completo», qui signifie : «L’année entamée doit être tenue pour écoulée .»

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Cette décision historique paraît intéressante tant du point de vue de sa portée qu’au regard du raisonnement utilisé par le juge constitutionnel.

Un sYLLOGISME AUX PRéMISSES  fausses

En ce qui concerne le raisonnement, la Cour constitutionnelle a fait recours au syllogisme pour valider la candidature à la candidature de Monsieur Hermès GBAGUIDI. Or pour que la conclusion issue du syllogisme soit exacte, il faut d’abord que les prémisses utilisées soient justes.

En l’espèce, la majeure décisoire du raisonnement de la Cour qui dit «que la date du dépôt des candidatures pour l’élection du président de la République se situe dans l’année de l’élection.» est critiquable. En effet, aucun texte n’oblige le président de la République à convoquer le corps électoral dans l’année de dépôt de candidature, encore moins la CENA à fixer la date du dépôt de candidature dans l’année du scrutin d’autant plus que l’article 334 du code électoral prévoit simplement que «La convocation des électeurs est faite par décret pris en Conseil des ministres.

Le premier tour du scrutin de l’élection du Président de la République a lieu trente (30) jours au moins et quarante (40) jours au plus avant la date d’expiration des pouvoirs du Président en exercice.» L’article 339 du même code précise que «Sous réserve des dispositions de l’article 50 de la Constitution, les dépôts de candidature doivent intervenir quarante-cinq (45) jours au moins avant le premier tour du scrutin.» Autrement dit, le dépôt de candidature peut avoir lieu en décembre de l’année écoulée et l’élection programmée pour le mois de février de l’année suivante. Mieux, prise à la lettre, la disposition interprétée à tort signifie que «nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République s’il n’a au minimum 40 ans et au maximum 70 ans à la date du dépôt de sa candidature.» Si, selon le petit Larousse, édition 2013, la date est «l’indication du jour, du mois et de l’année.», avoir «40 ans au moins à la date du dépôt de sa candidature» signifie que le candidat à une élection présidentielle doit avoir fêté son quarantième anniversaire au plus tard le jour, le mois et l’année retenus pour le dépôt de candidature. Pour le dire, le législateur n’a pas besoin d’utiliser cumulativement l’expression «au moins» et «révolu» dans une même disposition comme le suggère le requérant.

Au surplus, si «l’année entamée doit être tenue pour écoulée», il suit que 39 ans + 01 jour=40 ans et 69 ans + 01 jour =70 ans. Autrement dit, si le citoyen béninois qui a 39 ans + 01 jour peut être candidat, a contrario, celui qui a 69 ans + 01 jour ne peut l’être. Mieux, l’enfant né le 1er janvier et celui né le 31 décembre d’une année quelconque ont selon la Cour le même âge. Par ailleurs, l’expression «être tenue pour» veut dire «censée = supposée = considérée comme probable». Conséquence, par l’assimilation de l’année entamée à l’année consommée, la Cour a régi l’avenir et le destin de tout un peuple par des probabilités, des conjectures et des suppositions.

Des faits fictifs

En ce qui concerne la mineure du raisonnement de la Haute juridiction, il importe de relever qu’aux dires des responsables du parti Reso Atao, Monsieur Atao M. HINNOUHO n’a jamais pris part à une réunion du parti UFF consacrée à la désignation des candidats à la candidature dudit parti. Il en résulte que le requérant Hermès GBAGUIDI n’a pas pu être victime de discrimination orchestrée par le bureau politique de l’UFF. Il ne peut donc à bon droit pas saisir la Cour d’un quelconque recours pour dénoncer la violation de l’article 26 de la constitution. Puisque ses décisions sont sans recours, la Cour aurait pu, par l’organe du conseiller-rapporteur, auditionner Monsieur Atao M. HINNOUHO, en application des dispositions de l’article 27 de son règlement intérieur aux fins de vérifier la réalité des faits allégués. Se faisant, elle aurait pu démonter cet artifice, qui n’est en réalité qu’une demande d’avis, et déclarer le recours formalisé par Hermès GBAGUIDI peu sérieux ou sans objet. Malheureusement, la Cour s’est prononcée sur des faits fictifs et inventés et a consacré une solution qui déstabilise l’ordre juridique béninois.

En effet, la jurisprudence Hermès GBAGUIDI emporte de lourdes conséquences pour le système juridique de notre pays.

Insécurité juridique

Au plan pénal, la Cour Constitutionnelle instaure l’insécurité juridique. Ainsi, les délais de prescription, de détention, d’instruction, la majorité pénale et les condamnations pénales sont désormais dans une insécurité juridique sans précédent. Plus précisément, une personne condamnée à trois ans peut, en application de cette jurisprudence, estimer après deux ans un jour avoir fini de purger sa peine; les délais de prescription d’un an, de trois ans et de dix ans respectivement pour les contraventions, délits et crimes peuvent désormais, en application du principe l’année entamée équivaut à l’année écoulée, être ramenés à un jour, deux ans un jour, neuf ans un jour.

Quant à la majorité pénale fixée à 18 ans, elle semble être abrégée désormais à 17 ans 01 jour. Conséquence, est pénalement désormais majeur tout citoyen béninois âgé de 17 ans 01 jour. La liste des dangers juridiques de la décision de la Cour n’est pas exhaustive. Elle peut être étendue à toute disposition où la loi ou le règlement prévoit des délais ou conditions d’âge supérieur ou égal à un an, notamment en ce qui concerne les lois n°86-014 du 26 septembre 1986 portant code des pensions civiles et militaires de retraite et celle n°86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat.

Avec la décision DCC 15-156 du 16 juillet 2015, la Cour constitutionnelle a non seulement révisé la constitution, mais constitutionnalisé l’adage «annus incoeptus habetur pro completo». Etant difficile d’estimer globalement l’impact de cette réforme sur le système juridique béninois, il est néanmoins évident que la Cour a conduit le peuple dans un piège juridiquement sans fin

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