Débat sur les présidentiables de 2016: Talon est le «problème», le Béninois la «solution»

Lorsque, aux Etats-Unis, Michael Bloomberg, Willard Mitt Romney, Donald John Trump décidèrent de briguer la magistrature suprême, il n’avait rien à dire. Pour la simple raison que, dans un pays comme les Etats-Unis, un « inconnu », je dirai un profane de la gestion de la chose publique ne devient pas Président. Et l’histoire si riche et si immense de ce grand pays des libertés ne l’enseigne guère.

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En effet, avant sa candidature en 2012, le Gouverneur Mitt Romney dirigeait l’Etat de Massachussetts. Militant du Parti Républicain, il a pris part aux élections primaires dans ce parti, avec des candidats rivaux comme Michael Bloomberg, lui aussi militant du parti et ancien maire de la grande ville de New-York. Ils ont été tous candidats parce que le parti dans lequel ils militent le permet, par la reconnaissance de leur militantisme. Ils ont été candidats parce qu’ils ont eu des responsabilités politiques, des responsabilités en matière de gestion de la chose publique à des niveaux donnés. Ils ont été candidats à la candidature de leur parti pour les uns, pas à cause de leur nom, ni de leur fortune, mais juste parce qu’ils sont des militants ayant l’expérience de la gestion politique. Ils ont été, pour d’autres (le cas de Mitt Romney, John Mc Cain, John Kerry), choisis candidats de leurs partis après un long marathon de primaires, une sélection rigoureuse par les militants du parti. Est-ce le cas de la candidature probable de Monsieur Patrice Talon ?

Lorsqu’en France, depuis octobre 1958 où la 5e République fut instituée, seules les personnalités ayant une expérience politique avérée, un parcours exceptionnel et une connaissance solide du fonctionnement de l’Etat et de la mission de la France dans le monde, ont été sélectionnés par leurs partis respectifs et élus Chef d’Etat par les Français, ce n’est pas parce que le pays du bon vin manquait de milliardaires ambitieux et tentés par la fonction. C’est simplement parce la noblesse de la fonction, la délicatesse de la mission mais surtout le caractère sacré de la République, «res publica», «la chose publique», n’admet aucune plaisanterie et aucune complaisance.
Lorsqu’en Afrique du Sud, Thabo Mbeki, déjà membre de la ligue des jeunes de l’Anc à 14 ans, représentant local de l’Anc en Angleterre, Vice-président de la République au cours du mandat de l’immense Nelson Mandela, Président élu de l’Anc en décembre 1997, devient Président élu de la République Sud-Africaine en 1999, on ne dit rien. On respecte le parcours du militant. On constate le couronnement d’une carrière politique exceptionnelle. Quand on aime son pays, on travaille pour l’avènement de telle personnalité politique à la tête de l’Etat. Surtout que dans son cas, au cours de son second mandat, contre son gré, le parti l’a obligé à démissionner du poste du Président de la République parce que ses agissements violaient les principes et statuts du parti. Ce qui veut dire que, présider une République n’est jamais l’affaire d’un individu, mais d’une organisation politique très forte, qui choisit l’individu et qui peut le démettre alors que son mandat constitutionnel est en cours.

Les Béninois ne sont pas dupes

Lorsque Patrice Talon, fort de sa fortune a imposé presque tout seul (il suffit de réécouter son intervention du 29 octobre 2012 sur RFI) le Président Boni Yayi en 2006, dont il a assuré la réélection en 2011, et que les pans entiers de l’économie nationale lui sont légués en monopole (il détermine la politique économique nationale par son influence sur les ministres et sur l’entourage du chef de l’Etat, son poids financier dans les banques, sa présence dans les secteurs vitaux de l’Etat) les Béninois n’ont rien dit. Ils n’ont même jamais protesté.
Lorsque dans le cadre du PVI, les douaniers béninois, fonctionnaires de l’Etat, protestaient contre les modalités de la mise en œuvre du programme, leurs bureaux ont été défoncés, certains violentés sur leur lieu de travail. Mieux, la majorité parlementaire de l’époque (celle que vous traitez de tous les noms aujourd’hui) avait jugé utile de supprimer le droit de grève des douaniers. Quand la cour constitutionnelle avait pris le risque de déclarer cette loi conforme à la constitution, vous avez saisi votre plume pour qualifier cette suppression de « révision de la constitution », au motif qu’au regard de l’article 31 de la constitution, définir par une loi les conditions de l’exercice du droit de grève ne saurait aller jusqu’à la suppression du droit de grève. Dans ces faits, il ne s’agissait pas de Bill Gates, encore moins de Warren Buffet. Il s’agissait simplement de la suppression d’un élément substantiel, voire vital en démocratie qu’est le droit de grève, supprimé par une loi au profit de Patrice Talon.
Lorsque dans notre pays, des députés, des ministres, le président de la République, investissent dans le BTP, dans les télécommunications, dans le tourisme et dans l’hôtellerie, détiennent de parts importantes de marché dans des secteurs économiques majeurs tels que le coton et les véhicules d’occasion, par eux – mêmes ou par prête nom, les Béninois n’approuvent pas cela. C’est pourquoi, en faisant confiance malheureusement à la Société Civile dont vous étiez l’une des stars en 2006, ils ont sanctionné la classe politique en portant à la tête du pays « un homme neuf », une terminologie inventée à l’époque par l’actuelle galaxie « Alternative Citoyenne ». Lorsque, ceux qui en 2006 ont conduit le peuple dans la gueule du lion se pointent encore pour 2016, comme des criminels de retour sur les lieux de leurs larcins, cela pourrait poser un problème pour les Béninois. Et il faut les comprendre.
Lorsqu’un citoyen, milliardaire ou pas, homme d’affaire ou non, décide de faire la politique, cela participe à l’exercice de sa liberté d’expression et d’association. Dans ce cas, le bon sens voudrait qu’il milite dans un parti politique, ou tout au moins, comme il est de mode au Bénin, qu’il crée son propre parti politique. Ce qu’avaient brillamment fait au Bénin, Issa Salifou, Adjovi Sévérin, Séfou Fagbohoun. Quand les Béninois les ont vus à l’œuvre, ils leur ont confié des responsabilités politiques à la limite de leur capacité et toujours en tenant compte de leurs parcours. Pourquoi Sévérin Adjovi, soutenu par le Président Mathieu Kerekou en 2002, a échoué lamentablement dans son ambition de devenir maire de Cotonou ? Pourquoi, ce même Sévérin Adjovi, en 2008, s’est fait élire maire de Ouidah contre le candidat de Boni Yayi ? Pourquoi Issa Salifou et Séfou Fagbohoun n’ont jamais été ministres malgré leurs riches carrières politiques ? Pourquoi les Béninois de Cotonou, après avoir voté massivement aux législatives pour la liste Union fait la Nation portée par Azannaï et vous-même, ont opté pour un autre choix, dans l’intervalle d’un mois et dans les mêmes bureaux de vote, quand il s’agissait des élections communales ? Parce que les Béninois savent parfois faire la part des choses. Souhaitons qu’ils le fassent d’avantage pour le bonheur de la démocratie et la grandeur de notre pays.

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…le problème, c’est Talon !

Lorsque vous caricaturez toutes critiques portées sur la candidature probable de M. Patrice Talon de «problèmes», est-ce que vous parlez de tous ces Béninois qui, dans une opinion constante, dans une détermination affirmée et dans un engagement sans précédent ont soutenu le citoyen Patrice Talon contre le monstre que lui-même il a fabriqué et dressé contre le peuple, mais qui s’est retourné contre lui ? Est-ce une marque de reconnaissance et de gratitude que de traiter de « problèmes » tous ceux qui s’interrogent sur la pertinence de la candidature de Patrice Talon pour la consolidation de la démocratie et la survie de l’Etat ?
Dans le fond, pourquoi avons-nous tant d’exigence dans notre ville, dans notre quartier, dans notre milieu professionnel, dans notre famille ? Alors que, quand il s’agit de l’Etat, nous sommes prêts à toutes sortes de légèretés et de complaisances. Dans une faculté, un docteur nouvellement admis, malgré son engagement scientifique constant, peut-il devenir doyen de la faculté ? De même, un enseignant du supérieur peut-il commencer sa carrière universitaire par le poste de recteur ou président de l’université ? C’est impossible, et vous le savez bien. Dans la profession d’avocat, un avocat ayant prêté nouvellement serment peut-il devenir Bâtonnier, c’est-à-dire présider et diriger le barreau ? Non. Car, il faut à tout avocat, animé par une telle ambition, une expérience certifiée dans la profession et un parcours irréprochable au regard de l’éthique et de la morale professionnelle. La morale et la leçon qui se dégagent de ces faits, c’est que celui qui n’a pas été digne dans de petites choses ne saurait jamais l’être dans de grandes choses. Aujourd’hui, quel a été le poste de responsabilité publique occupée par M. Patrice Talon, responsabilité publique à travers laquelle il a démontré que le peuple peut lui faire confiance à un niveau supérieur, voire au niveau suprême ? NEANT ! Grave, sa légitimé, au-delà de sa citoyenneté, vient d’une conversation privée entre lui et le chef d’Etat : le président de la République lui aurait demandé (en privé) de sponsoriser une révision opportuniste de la constitution, il s’est opposé. Par conséquent il doit devenir le prochain Président. Si un Béninois se hasarde à critiquer une telle ambition, il devient un « problème » et Talon la « solution ».
Dans le fond, parler ainsi des Béninois, c’est leur manquer de respect. Car les Béninois sont un peuple de travailleurs. Ils n’envient rien à un milliardaire. Le Béninois, c’est l’artisan soudeur ou mécanicien qui s’échine dans son labeur pour se donner un toit à Hèvié ou à Djeffa. Le Béninois, c’est la bonne dame du marché, qui sous le soleil accablant, défie le destin pour payer les frais de scolarités de ses enfants. Le Béninois, c’est le jeune brave qui par sa soif du savoir, doit se livrer à toutes les gymnastiques de la vie, parfois dans les conditions les plus humiliantes, pour pouvoir payer ses études doctorales dans le souci d’allumer une flamme scientifique de plus dans la cité. Le Béninois «solution», ce n’est pas que le milliardaire ayant l’ambition de devenir Président de la République.
Dans le fond, si l’avocat d’un homme d’affaires souhaite que ce dernier devienne Président de la République, cela parait logique et compréhensible. Mais si, dans une démocratie moderne et partisane, un député élu sous la bannière d’un parti politique, président d’honneur d’un autre parti politique (jeune parti politique), président de la prestigieuse Commission des Lois d’un Parlement, fait la promotion d’une candidature d’un non politique à la magistrature suprême, à défaut de rechercher ses motivations ailleurs, il faut rentrer dans le domaine de la psychanalyse pour le comprendre. Peut-être !
Portons plus haut la République, par la pensée. C’est ce que vous nous avez enseigné.
Avec tous mes respects et admiration. Excusez ma fougue, cher professeur.

(Réponse à la tribune de Me Joseph Djogbénou dans notre parution de ce mercredi 25 novembre 2015)

 Djidénou Steve Kpoton, citoyen engagé

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