Bénin : Sortir de l’impasse, remettre le pays en confiance

Une semaine à peine nous sépare du dépôt des candidatures pour la présidentielle 2016. Aucune certitude à l’horizon, si ce n’est qu’il y aurait une pléthore de candidats. Au nombre lesquels, pour la première fois de notre histoire politique et sauf retournement de situation, un qui sera officiellement engagé dans la bataille par le président de la République sortant qui voudrait en faire son dauphin. 

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Ce qui en rajoute à l’enjeu (la partie promet d’être relevée et épicée) autant qu’aux inquiétudes (cette démarche peut être source de frustrations majeures, de fraudes, voire de conflits inédits…). Quand on ajoute à ce décor l’appétit incommensurable des hommes d’affaires pour le fauteuil présidentiel, une conjoncture économique nationale des plus critiques et un gris ciel social, c’est un doux euphémisme donc que de considérer que le pays est dans l’impasse. Il faut parer au plus pressé.

L’addiction des Béninois aux élections est connue, illustrée par un rythme électoral infernal. Corollaire, beaucoup de milliards y sont engloutis pour de piètres résultats. Comparées aux élections dans la sous-région, avec des populations et des territoires généralement plus importants que les nôtres, nos consultations électorales coûtent excessivement cher. Pourtant, elles n’ont pas souvent généré des leaders à poigne, capables de rompre radicalement avec nos mauvaises habitudes et de mettre enfin le Bénin sur orbite. La faute à des compromissions inhérentes à notre mode de scrutin, et certainement aussi à un facile renoncement de la part des personnalités élues. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? A condition d’avoir la lucidité et le courage de choisir la bonne personne. Qui n’est pas forcément parmi les plus expansives, les plus visibles, les plus fortunées… La sagesse de chez nous n’enseigne-t-elle pas que « le bien ne fait pas de bruit » ? Mais encore faudrait-il que le scrutin se tienne, qu’il se déroule à la satisfaction des acteurs, et pour le bonheur du pays…

Situation confuse. Il y a dix ans à pareil moment, l’on entrevoyait clairement que le sprint final du scrutin se jouerait entre Me Adrien Houngbédji, l’expérimenté, et Boni Yayi, le néophyte, « l’intrus ». La partie tournera à l’avantage de ce dernier avec la bénédiction des politiciens traditionnels qui le préférèrent à leur compagnon de toujours. Il faut dire qu’il dégageait un charisme irrésistible, avec la promesse du neuf, la promesse du « changement ». Quelque temps seulement après, tous déchantèrent et crièrent à la trahison, au non respect des contrats. Dix ans après, Boni Yayi lui-même se convainc que le changement promis est loin d’être réalité et se compare à Moïse qui ne verra pas la terre promise, le soin revenant à Josué d’y conduire le peuple. S’il s’est décarcassé comme il le pouvait -son volontarisme est incontestable-, les fruits n’ont généralement pas porté la promesse des fleurs. Pis, des professions de foi aux actes, il y a loin de la coupe aux lèvres. Conséquence, en 2015 et pire qu’en 2005, les Béninois sont de plus en plus dubitatifs des capacités de leurs dirigeants et des acteurs politiques en général à les faire rêver, à les engager sur les sentiers difficiles mais exaltants du travail productif pour le développement. Sur les sentiers de l’édification du citoyen, sur le chantier de construction du Bénin prospère, le Bénin de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Et nous voilà, dix ans après l’avènement de Boni Yayi qui nous promettait « la prospérité partagée, la lutte contre la corruption » etc., à tirer le diable par la queue. La crise est partout visible sauf pour ceux qui ne veulent pas la voir. Les caisses de l’Etat sont vides. L’école béninoise s’éteint, suffoquant sous le poids des grèves et de la mauvaise qualité de l’enseignement. Le vice ne rend plus hommage à la vertu. Non, les valeurs font plutôt allégeance aux vices. Les concours frauduleux, les cas de détournement massif de deniers publics l’attestent. A la place de sanctions exemplaires, les prévaricateurs sont célébrés comme des héros aux exploits retentissants. L’administration publique reçoit une perfusion d’agents distillés par fraude systémique. Députés, ministres, directeurs centraux et généraux, conseillers, et autres acteurs directs des concours s’emploient, au lieu de donner les mêmes chances aux enfants du Bénin, à distinguer les leurs, qu’ils privilégient et placent, au détriment des autres, réduits au statut de faire-valoir. Eux ont le bon tort de ne connaître personne, la devise étant désormais « Qui connais-tu ? » au lieu de « Que connais-tu ? ». Conséquence, la plupart des concours de recrutement d’agents de l’Etat organisés ces dernières années ont été entachés de fraudes industrielles. Les dénonciations des syndicats n’y font rien. Les jeunes, dindons de la farce, sont même empêchés de manifester leur colère. Pour les amadouer, les autorités n’ont de cesse de prêcher que le chômage des jeunes est une bombe à retardement. Elles ne croient pas si bien dire… La preuve, en miniature, leur a été administrée lors des événements de mai dernier à Cotonou, quand le pouvoir a entrepris d’aller arrêter illégalement le député Candide Azannaï pour les amabilités aigres échangées avec le chef de l’Etat en pleine campagne électorale des législatives. L’énergie électrique, premier secteur d’envergure auquel le régime s’est attaqué dès avril 2006, comme le secteur coton, sont en crise. Les dizaines de milliards de FCFA ingurgitées par les centrales n’ont pas permis que les Béninois disposent d’électricité sans discontinuer, ni que les statistiques cotonnières s’améliorent substantiellement. Au contraire, c’est au rationnement de l’électricité que nous avons droit. Et tant pis pour ceux dont les petits commerces épousent la faillite. Côté coton, ce ne sont pas les querelles de l’Etat avec les anciens acteurs privés qui ont arrangé les choses. On vole même l’argent donné par des bailleurs étrangers pour fournir de l’eau potable aux populations béninoises. Sans vergogne. Quand on tombe à ce niveau de déshonneur, la crise de l’éthique est drue. Il faut désespérer de l’humain. Davantage, les institutions de la République et leurs animateurs ne rassurent plus ni de leur impartialité, encore moins de leur capacité à se surpasser pour la cause nationale. Parfois même, ils sont asservis. Le président de la République soi-même dira que « toutes les institutions sont mouillées » sans qu’aucun de leurs membres daignât protester. L’armée, depuis son retour dans les casernes, est vantée comme républicaine. Ses éléments, respectueux de leur serment, n’osent pas exprimer leur état d’âme. Les apparences sont sauves même quand le moral est dans les godasses. Nous n’en sommes peut-être pas aux crises qui, ailleurs, justifient leur irruption sur la scène pour remettre les choses en bon ordre. Mais les crises de ces dernières années, entretenues par l’amateurisme et l’entêtement des uns, comme par l’inconscience ou la naïveté des autres, ont suffisamment donné de signaux pour nous alerter qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir. En avons-nous toujours tenu compte ? Nous fonçons plutôt tête baissée, convaincus que « Dieu aime le Bénin ». Comme s’il n’aimait pas ceux qui, ailleurs, ont bâti basiliques et cathédrales géantes à sa gloire. Le tableau serait incomplet si l’on ne mentionne pas les quelques succès glanés de temps à autre dans maints domaines. Mais voulons-nous le succès ou voulons-nous la réussite ? En fait, tout ce tableau à la limite apocalyptique devrait se lire comme si nous étions en fin de cycle de l’ère instaurée par la Conférence nationale des Forces vives de février 1990 ! Comme si le consensus qui en a résulté s’est effrité au fil du temps. Et pour en rajouter au symbole, le père de cette Conférence nationale, le géniteur du Renouveau démocratique béninois et du consensus national, le Général Mathieu Kérékou, a choisi ce moment pour partir rejoindre les ancêtres. Une manière toute caméléonienne de nous dire qu’il faut à nouveau changer de couleur au pays… ? Une manière palpable de nous dire que sa partition est totalement épuisée et qu’il nous faut nous inventer un nouveau contrat social tenant compte de sa disparition ? Chose certaine, après les hommages à lui rendus, le moment de sa disparition doit nous inquiéter, nous inviter à la réflexion. Mieux, à la méditation pour en cerner tout le sens afin de nous engager dans la bonne direction…Lui a su jouer sa partition en 1972 pour arrêter la honte du Bénin devenu la risée du monde avec son « monstre à trois têtes ». Il a su constater en 1989 que son pouvoir n’enchantait plus les Béninois et l’a coulé à travers la Conférence nationale (1990) pour mieux de repêcher (1996), avant de le quitter définitivement en 2006, sans forcer les velléités révisionnistes aux fins de prolongation de son séjour à la tête du pays. Désormais qu’il n’est plus là, à nous de prendre notre part de responsabilité. Or, nous voilà bien frileux !

Frénésie et inquiétudes. C’est, au total, le Bénin lui-même qui est en crise, en déliquescence. C’est le pays Bénin qui est divisé contre lui-même. C’est un pays où la cohésion sociale, le désir et le sentiment du vivre ensemble sont devenus rachitiques, résiduels. Des citoyens de classe affaire, véritables privilégiés jouissant de l’Etat, de fraudes et passe-droits divers, en imposent aux citoyens ordinaires, situés en dessous même de la classe économique. Deux Bénin cohabitent mais se regardent en chiens de faïence : le Bénin des privilégiés et le Bénin des désabusés. Quand il en va ainsi, c’est que le pays est sur la corde raide et la moindre pression de trop peut provoquer la rupture, faire tout basculer. L’élection présidentielle qui s’annonce ne promet pas de nous éviter cette rupture. Au contraire, elle semble n’attendre que son heure pour nous sortir de notre attentisme, nous tirer de notre profond sommeil, nous désillusionner de nos certitudes trop évidentes selon lesquelles Dieu nous aime plus que tous ses autres fils. Car, à l’évidence, tous les ingrédients semblent se mettre en place pour nous faire vivre des moments autrement douloureux, jamais vécus encore. C’est dans ce contexte en effet que certains de nos concitoyens, les uns sans doute mus par de nobles intentions et ambitions, les autres par souci de contentement personnel, se proposent de nous diriger à partir du 06 avril 2016. Quand on scrute les intentions de candidatures, on note que quelques-unes relèvent de l’exhibitionnisme, beaucoup de l’inconnaissance du Bénin dans son état réel qui devrait faire peur, tant la tâche sera ardue, éprouvante et douloureuse. Très peu cependant peuvent justifier d’une conscience et d’une connaissance certaines de la réalité du pays, ainsi que du caractère éminemment difficile de l’après Yayi. A côté de ceux-là, certaines candidatures sont carrément une injure pour le Bénin d’aujourd’hui, quand d’autres relèvent d’une généreuse naïveté. Toutes choses qui inclinent à penser que nous avons manqué de bien nous organiser ces dernières années, que nous avons manqué de nous normaliser. Autrement, si on introduisait les prétendants à la Marina dans le couvent et qu’on leur montrait le pays réel, disséqué et dans son état premier, certains renonceraient à leurs ambitions présidentielles et prendraient même leurs jambes à leur cou… Ils auraient compris que la situation est compromise et que seules des mains expertes devraient oser s’en approcher. Quelqu’un n’a-t-il pas dit qu’il faut conduire le train Bénin au garage et le traiter « moteur à terre » ? Au lieu de cela, les intentions de candidatures se multiplient. Les élites politiques, pendant ce temps, se prostituent sans vergogne. Partis et personnalités politiques se vendent à qui mieux, mieux. On célèbre l’argent-roi. Les associations et mouvements de soutien se développent telles des cellules cancéreuses. C’est la chienlit. Le peuple, pour sa part, est saisi d’incertitude, de crainte, de peur. Il ne sait à quel saint se vouer. Quand il en va ainsi, que le peuple n’a plus de repères, qu’il ne croit plus en rien ni en lui-même, il faut tout en attendre, y compris le pire. Davantage lorsque ses élites se sont généralement montrées inconséquentes, inaptes à l’écouter et à l’entendre ; préférant se prélasser sur son dos pour l’enfoncer plus encore dans l’abîme. Et ce ne sont pas les spasmes qui parcourent le corps endolori de ce peuple qui inspirent pitié à ses bourreaux. Quand on ajoute à ce décor la hargne de certains candidats à la présidentielle, le désir de vengeance des uns, l’exaspération des autres qui croient que leur tour ne risque jamais de venir, les combines d’autres encore pour s’imposer ou imposer leur suppôt, la détermination de tous à ne pas se laisser faire, le tout dans une atmosphère où point de personnalité morale à même de convoquer les uns et les autres pour en calmer les ardeurs, leur enjoindre avec succès d’avoir à observer telle ou telle attitude, il faut craindre que les choses n’aillent dans tous les sens. Il faut craindre que le peu de conscience des uns, la volonté farouche des autres d’en découdre, celle non moins farouche encore de ceux qui donneraient tout pour faire élire leur candidat en même temps qu’ils entendent faire échec, par tous les moyens, aux ambitions de ceux qu’ils considèrent comme ennemis, n’emportent la quiétude des populations qui n’ont déjà plus que des rêves fades, des ambitions en pointillés et, par conséquent, plus de perspectives. Les populations qui, désormais, pour cela précisément, en sont même à souhaiter que le pire se produise pour qu’après, prenant conscience que nous ne saurions continuer à faire comme jusqu’ici, nous soyons obligés de nous reprendre, pour offrir encore quelque chance aux générations à venir. Autrement, tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se casser. Et lorsque des sources étrangères éminentes postulent que tout est déjà goupillé pour imposer un homme à l’issue du scrutin, lorsque nos bokonon prédisent, dans le cadre de leur Toffa 2016, « que le sort du Bénin est scellé de l’extérieur… Qu’il y aura un hold-up électoral… », le tout avec risque que le sang coule, il faut bien convenir que ce qui se trame, en tout point de vue, est inquiétant, alarmant. Mais les peuples grands, les peuples intelligents, sont ceux qui anticipent ou qui apprennent de leurs péripéties, de leurs déboires. Ils savent que c’est du plus profond du désespoir que vient la volonté d’aller plus loin. Le peuple du Bénin peut-il justifier de cette grandeur, se montrer à la hauteur de cette sagesse, aujourd’hui?

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Sortir de l’impasse. Le Bénin est un peuple qui étonne car, généralement, quand tout semble compromis, que les tensions sont vives, les acteurs se ravisent et remettent les choses à plat, les uns faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ou se sacrifiant pour sauver l’essentiel. Le problème, désormais, c’est que certains acteurs majeurs n’hésitent plus à affirmer qu’ils ont assez fait de sacrifices et qu’ils ne sont pas prêts à en faire davantage. Ils ont le sentiment d’être les éternels dindons de la farce. Jusqu’à quel point sont-ils encore capables de se sacrifier ? Nul ne saurait le dire. Surtout qu’ils peuvent légitimement prétendre avoir trop joué les cons. Pourtant, il faut faire quelque chose. Si le Bénin est un grand peuple, c’est du plus profond de ses tripes qu’il doit le démontrer, notamment lorsqu’aucune perspective ne semble se dessiner. Aussi convient-il de saluer la lucidité de ses filles et fils qui, observant attentivement la situation qui dégénère sans cesse, qui promet d’exploser, et la méditant, proposent depuis quelques années que soient organisées des assises nationales, ou depuis peu, que l’on pense à la possibilité d’engager une transition menant à une rupture consensuelle, dès la fin du mandat du président en exercice, ou encore des concertations nationales voire des états généraux. Le président Boni Yayi s’étant fait hostile à l’idée de dialogue national, sous prétexte que ses adversaires en profiteraient pour lui arracher le pouvoir, il devrait alors, ayant épuisé ses deux mandats, ayant disposé du pouvoir jusqu’à l’utilité marginale, se faire à l’idée de l’opportunité et de la nécessité de cette démarche, en faciliter la réalisation, pour faire au Bénin l’économie d’une crise voire d’une déflagration qui en menacerait la quiétude. En effet, si les élections se déroulent dans les conditions qui s’annoncent, contrairement à 2011 où les acteurs, ceux de l’Opposition notamment, ont dû contenir leur colère, rien ne présage qu’ils soient prêts à faire pareil actuellement. Plus encore s’ils ont le sentiment qu’on leur impose un autre président après qu’ils ont dû s’accommoder du second mandat de Boni Yayi. Or, tout se déroule actuellement comme s’il s’agissait d’imposer un nouveau président au Bénin, ce que les autres candidats ne voudront certainement pas gober, après leurs déboires de ces dernières années. Faudrait-il ajouter à cela les risques djihadistes qui nous guettent possiblement, en fonction des choix qui pourraient être faits ? S’il fait donc le choix responsable consensuel de s’économiser la crise qui lui est promise, et qui pourrait bien être douloureuse, violente ou sanglante, en engageant une inédite transition, notre pays aura peut-être déplu aux théoriciens de la démocratie, aux conquistadores des temps nouveaux, mais se serait donné une nouvelle chance de repartir sous de nouveaux auspices, ceux-ci prometteurs de lendemains qui chantent. Seulement, les élites politiques et sociales devraient le vouloir, le décider et y travailler. C’est à elles que l’histoire tend le stylo avec lequel elles doivent écrire cette belle page. C’est à elles d’accepter de se soumettre à leurs obligations vis-à-vis de la nation béninoise. En sont-elles capables ? Nous osons l’espérer. Si les Etats ont la compétence de leur compétence, c’est que tout leur est possible à condition de le vouloir, de le décider et de s’engager à fond. Une transition, c’est, dans les conditions actuelles qui nous garantissent l’impasse, la solution la meilleure. A défaut, si élection présidentielle, les uns et les autres devraient se convaincre d’avance qu’il leur faudra, une nouvelle fois, avaler des couleuvres et pas des moindres. Ils auront choisi. Pour éviter cela, la solution est en nous, elle nous est proposée. A nous de la saisir. De l’éprouver. Et le Bénin revivra. A condition de le sortir de l’impasse qui le menace pour lui donner une nouvelle chance. Nous y sommes invités…Saurons-nous répondre à l’appel du devoir ? De l’histoire ? Vivement.

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