Face à un pouvoir de nomination exorbitant, quelles solutions ?

En France comme dans les pays d’Afrique francophone, le président de la République dispose d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de nommer des personnalités à des postes de responsabilité, sans devoir rendre compte à qui que ce soit (ni aux institutions de contre-pouvoir, ni au peuple). Dans ces pays, tous les ministres de la République sont ainsi nommés.

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« L’avantage » du pouvoir discrétionnaire de nomination est qu’il fait, apparemment, « gagner du temps ». L’inconvénient est énorme : le président peut nommer qui il veut, quand il le veut, et ce presque à n’importe quel poste de responsabilité. En effet, ce pouvoir discrétionnaire va bien au-delà du choix d’une personnalité pour diriger un ministère: il autorise le président à créer autant de postes ministériels qu’il le souhaite.

Certains politologues Béninois, n’y voient-là aucun problème, persuadés qu’ils sont que le président saura nécessairement faire preuve de discernement dans le choix de ses collaborateurs.

Que faire, justement, lorsque le chef de l’État manque de mesure et de discernement ? Que faire des gouvernements pléthoriques, souvent qualifiés de gouvernements « de combat », où une trentaine de ministères (une cinquantaine au Cameroun) engloutissent les maigres ressources de l’État ?

Je me propose de répondre ici à deux questions :

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1/ À quoi sert un ministère ?

2/ Que faire aujourd’hui des ministères qui ne répondent à aucun besoin?

Un atelier pour proposer des solutions

Le mercredi 11 novembre 2015, se tenaient à Cotonou les deuxièmes entretiens politiques, un atelier organisé par l’Association béninoise de droit constitutionnel (ABDC) sur le thème « Gouvernance : Diagnostic et solutions ».

Du compte rendu publié dans la presse  on peut retenir que les participants à cet atelier ont déploré l’ampleur de l’instabilité institutionnelle dans notre pays, le Bénin: depuis son accession au pouvoir le président Boni Yayi aurait procédé à une vingtaine de remaniements ministériels, autant d’occasions pour lui d’ « essayer » « neuf Gardes des Sceaux, neuf  ministres de l’Intérieur, neuf ministres du Commerce et six ministres des Finances… » 

La principale difficulté de cet atelier était bien d’envisager des solutions viables permettant de juguler cette instabilité devenue chronique. Les deux pistes proposées étaient les suivantes:

  • Le rééquilibrage des pouvoirs des institutions, « mais sans toutefois trop rogner ceux du président de la République » ;
  • L’éducation des élites politiques.

L’une des questions objet des débats était celle des dimensions adéquates d’un gouvernement. Intéressons-nous donc à l’élément de base du gouvernement : le ministère.

Le ministère – revenir aux principes fondamentaux

Le ministère est un outil essentiel de gouvernance politique. Il a pour objet la gestion d’un domaine spécifique de la vie publique. Les domaines de la vie publique reflètent les besoins essentiels des hommes en société, car un gouvernement existe pour satisfaire les besoins essentiels des hommes. Ces besoins essentiels sont facilement identifiables car peu nombreux ; en conséquence, le nombre de ministères d’un pays de bonne gouvernance devrait lui aussi être peu important.

Certains pays ont des gouvernements composés d’une quinzaine de ministères, sans qu’il leur soit besoin d’en créer de nouveaux. L’Afrique francophone, dans son ensemble, a adopté un style de gouvernance qui favorise l’instabilité politique, source non seulement de bénéfices politiques immédiats, mais d’incertitude.

Notre définition du concept de « ministère » requiert deux précisions.

D’abord, il faut bien comprendre que le gouvernement n’est pas la société civile, et que les activités des ministères ne sont pas identiques à celles que mènent les organisations de la société civile.

Bien trop souvent, nos dirigeants politiques estiment qu’il leur revient de servir les communautés à la place des associations et organisations non-gouvernementales. Le comble est que la Décentralisation, effective dans notre pays depuis 2003, n’a en rien réduit le train de vie de l’État : toujours plus de ministères ! À la faveur de la « politisation excessive de la gestion communale » , un ministère de la Décentralisation, autrefois simple direction du Ministère de l’Intérieur, a vu le jour en 2007.

Or, un des préceptes principaux de la bonne gouvernance est que le gouvernement doit se contenter d’appuyer la société civile, lorsque cet appui est nécessaire et réalise ce que les organisations de la société civile sont dans l’incapacité d’entreprendre par elles-mêmes. C’est le principe de la Subsidiarité : ainsi par exemple, une organisation de la société civile est dans l’incapacité de concevoir et mettre en œuvre une politique nationale de Santé publique ; par contre la Culture et les Loisirs sont bien du ressort des collectivités locales et des associations, par définition, plus proches des individus (combien de nos pays ont-ils créé des ministères de la Culture, sans qu’il leur soit possible d’élaborer une politique nationale de la Culture ?).

Deuxième point : chaque domaine de la vie publique que gère un ministère (Santé, Défense, Affaires étrangères…) est exclusif. L’espace d’un ministère ne doit pas empiéter sur celui d’un autre. Au Bénin, curieusement, nous avons aujourd’hui un ministère de l’Intérieur, un ministère de l’Urbanisme et un ministère de la Décentralisation ; nous avons eu dans un passé récent un ministère de l’Environnement et un ministère dont l’objet était la Lutte contre l’Érosion côtière.

Ce second point repose sur deux principes essentiels de gouvernance : la Nécessité et la Proportionnalité. De la Nécessité vient le caractère exclusif du mandat des ministères; le principe de la Proportionnalité, quant à lui, interdit qu’un sous-domaine de la vie publique (l’érosion côtière par exemple) soit érigé en ministère.

Étudiés, intégrés et appliqués de façon rigoureuse, ces trois principes permettraient à l’Exécutif de mettre sur pied des gouvernements infiniment plus harmonieux, excluant le superflu. Par ailleurs, c’est en observant ces principes de base que nous pourrons répondre à cette question fondamentale des dimensions idéales d’un gouvernement : pourquoi faut-il créer douze, vingt-quatre ou même trente-six ministères ? Quels sont les domaines essentiels de gestion des affaires publiques ?

Il apparaît qu’aucune des solutions proposées à l’issue de l’atelier du 11 novembre ne permettait de répondre à ces questions ; or, les dimensions d’un gouvernement doivent être fondées non pas sur des besoins politiques ponctuels, mais bien sur une théorie de gouvernance.

Que faire des structures « superfétatoires » ?

La mesure la plus évidente est d’ordre législatif :

  • modifier les dispositions constitutionnelles qui accordent au président de la République ce pouvoir discrétionnaire dont on voit qu’il n’est pas toujours utilisé à bon escient ;
  • fixer dans une loi organique les domaines d’intervention des ministères, en tenant compte des principes de Nécessité, Proportionnalité et Subsidiarité.

Il nous faut cependant être réalistes et prévoir que la simple proposition d’une « modification de la Constitution » fera immédiatement couler beaucoup d’encre et de salive.

Dans certains des pays les mieux gérés au monde, comme la Suisse ou les États-Unis, le président n’a pas le pouvoir de créer des ministères ; aux États-Unis, le pouvoir de nomination du président est limité par le fait que les candidats ministres ne peuvent exercer leur mandat que s’ils sont agréés par le Sénat, dont les membres sont élus par le peuple. Nous savons que l’agrément du Sénat américain n’est accordé qu’après que le candidat-ministre ait répondu de façon satisfaisante aux questions des sénateurs au cours de séances diffusées par les médias. Si aux États-Unis la transparence en matière de composition des gouvernements, n’est pas totale, elle est de loin supérieure à ce que prévoit notre Constitution.

L’Afrique francophone a, malheureusement, choisi de ne pas accorder au peuple le droit de rejeter les choix du président de la République. Chez nous, la participation populaire s’arrête précisément au sortir du bureau de vote. C’est ainsi que la liberté d’action dont jouit le chef de l’Exécutif a permis un certain nombre d’excès regrettables lourds de conséquence.

Transformer le fonctionnaire en entrepreneur

 Faute donc de pouvoir réviser la Constitution et consolider par là la bonne gouvernance, le Chef de l’État pourrait choisir d’élaborer un plan qui organise les remaniements ministériels de telle sorte que deux ou trois fois par an, un ministère entier disparaisse de la nomenclature gouvernementale. Sur cinq ou sept années, ce plan pourrait nous permettre de rationnaliser l’ensemble qui pourrait passer de vingt-sept à quinze ministères. Ceci dynamiserait la société civile qui, autrefois amorphe et assistée, deviendrait acteur principal et incontournable du développement suite à la rétrocession de compétences jusque-là confisquées par le gouvernement.

Quant aux agents des ministères jugés inutiles, s’ils l’acceptent, ils pourraient bénéficier d’un programme de réorientation professionnelle leur offrant outre une part importante de leur salaire (peut-être 80%), une formation de six, douze ou dix-huit mois, selon la filière professionnelle choisie. Au terme de cette formation, ces agents cesseraient de percevoir leur salaire « Fonction publique » et pourraient donc intégrer le secteur privé.

Bien entendu, d’autres solutions sont possibles. Il semble bien cependant que, l’explosion démographique aidant, le Bénin, comme toute l’Afrique subsaharienne, devra nécessairement inventer des solutions innovantes pour réduire l’espace, le poids et l’impact négatif sur la croissance du pays, d’un secteur public hypertrophié et trop largement improductif.

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