La présidentielle et la responsabilité des cadres bien pensants de la nation

L’imminente élection présidentielle se singularise par, entre autres, l’immixtion de plusieurs facteurs qui ne répondent point à ceux auxquels nous sommes  habitués jusqu’alors, et qui, à notre sens, interpelle à quelque titre, la responsabilité des cadres de la Nation. Pourquoi devrait-il en être ainsi ?

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Le niveau intellectuel populaire

Nous sommes en démocratie formelle, certes ; et l’une de ses manifestations, sinon l’ultime, est le dépôt  du bulletin de vote dans l’urne aux fins de choisir  celui à qui le citoyen souhaite déléguer ses pouvoirs pour le diriger, assurer son bien -être et gérer, sainement, pour une durée de cinq ans,  les affaires de la Cité. Le citoyen a même l’autorité, que lui confère sa carte d’électeur au-delà de cette période, de confirmer ou d’infirmer son vote, sanctionnant ainsi, à la fin du mandat qu’il lui aura concédé,  les actions et les comportements de celui qu’il aura élu. Ces attributs impliquent, cependant, pour leur exercice en toute lucidité, que celui qui les détient ait une compréhension claire des enjeux politiques du moment, une capacité d’analyse des situations et, partant, celle de projection sur le futur pour lequel il vote finalement. Mais tous les électeurs ont-ils cette faculté et comment vont-ils aux urnes en réalité ?

Une démocratie des urnes par paliers

La réalité, c’est que la majeure partie de la population n’a pas grande capacité d’analyse, faute de connaissances fondamentales et de référence. En raison de cela, ils peuvent décider de leur vote, malencontreusement, pour toutes  raisons autres qu’objectives  induisant le développement économique du pays. En revanche, il est plus aisé  aux cadres de la Nation d’appréhender et d’apprécier les situations politiques en raison de leur capacité d’approfondissement des sujets politiques ; ils devraient alors, endosser la responsabilité morale d’assister ceux qui n’ont pas cette facilité, à orienter leurs réflexions sur les éléments du vote qu’ils n’appréhendent pas clairement d’autant que l’élection à venir  renferme beaucoup de paramètres qu’il n’est pas aisé de décrypter. Mais que devront-ils expliquer aux autres, précisément dans le cadre de cette élection présidentielle ?

Mes questionnements préalables

Cette élection est frappée de la touche historique parce qu’elle installe le flou dans les esprits de tous, à commencer par ceux des leaders des partis politiques eux-mêmes, qui peinent encore  à désigner leurs candidats, à seulement  deux mois de l’échéance électorale ; ou tout simplement renoncent à ce faire.  Elle est déroutante en raison de la flopée d’intentions de candidatures à nulle autre période électorale pareille.

Mais elle est particulièrement déroutante en raison du fait  que, pour la première fois de notre histoire politique, des hommes d’affaires, de grande envergure et de stature internationale, entrent dans la course présidentielle avec pour  bagage essentielle, leur fortune personnelle. Leur intrusion en force et si soudaine  dans l’arène politique continue de nous laisser pantois et nous amène à nous poser des questions.

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Particulièrement déroutante, elle l’est aussi d’autant  que la mouvance présidentielle n’a pas pu dégager un candidat au sein des multiples partis qui la composent et que son Chef a été amené à désigner une personnalité, récemment encore de la diaspora béninoise en France, très proche, dit-on, des milieux politiques  de ce pays. C’est donc en raison de la spécificité qu’impriment ces paramètres à la prochaine élection présidentielle, que nous faisons notre réflexion en nous limitant à lui donner un caractère plutôt pédagogique faisant abstraction du politique.

Les hommes d’affaires cherchent-ils à accéder au pouvoir d’Etat pour se régler des comptes entre eux sur fond de lutte d’influence ? C’est ce que donnent à penser le fait que c’est la candidature de l’un qui a entrainé, par réaction dit-on, celle de l’autre ainsi que les déclarations auxquelles  ils se prêtent, nous laissant nous autres électeurs, conscients des enjeux nationaux, en position de dindon de la farce. Viennent-ils s’enrichir ? Probablement, non ; ils n’en auraient, en principe, pas besoin. Viennent-ils au pouvoir politique parce qu’ils en ont assez de soutenir les politiciens, les partis politiques et les autorités dirigeantes et, qu’au finish, ils ne trouvent pas leur compte ;  préférant, alors, monter au créneau eux-mêmes ? J’ai fini par me convaincre que c’était la raison la plus plausible.

De la nécessaire expérience des candidats en matière de gestion des affaires publiques

Nous estimons, en premier lieu, que sans expérience de la gestion des affaires d’Etat à quelque titre, l’on ne saurait plus prétendre, de nos jours, à la Magistrature Suprême. Il est vrai que l’histoire politique de notre pays a enregistré plusieurs cas où des personnalités ont accédé au pouvoir d’Etat sans expérience ni en politique ni en gestion des affaires publiques, soutenues qu’elles avaient été néanmoins, par des partis politiques. Mais aujourd’hui, nous avons  plusieurs candidats qui, à divers titres, ont de l’expérience tant en matière de gestion des affaires publiques qu’en politique. Sans préjuger du libre arbitre de  tout un chacun, la dynamique politique nous impose, en principe, le choix parmi eux.En tout état de cause, il nous est bien difficile d’accepter, qu’après plus d’un demi-siècle d’exercice du pouvoir d’Etat, nous revenions en arrière avec un Chef d’Etat sans expérience préalable aucune, de la gestion de la chose publique. Les hommes d’affaires, tout comme le candidat émané de la diaspora  sont dans cette situation alors que diriger un pays n’est tout de même pas  un coup de poker ni un champ d’expérimentation.  Il est vrai cependant, qu’en ce qui concerne les hommes d’affaires, ils  n’étaient pas totalement étrangers à la scène politique, puisqu’il se confirme, au grand jour, que  c’étaient eux qui, depuis leurs bureaux, finançaient et actionnaient les partis et le pouvoir politiques, faiseurs de rois qu’ils étaient, alors.  

Et, pour aller droit au but, je dirais avec mes respects à tous ceux que mon raisonnement pourrait affecter, que l’on ne peut, de toute évidence, aspirer à diriger un pays en se fondant sur le rayonnement de sa seule fortune personnelle ; tout comme l’on ne peut le faire correctement en n’étant pas familier avec les réalités sociologiques du pays. Nonobstant la notoriété qu’elle confère, la fortune ne saurait être raison suffisante pour briguer la Magistrature suprême ; encore qu’elle l’est pour recruter à sa cause et pour acheter les consciences. L’Etat et l’entreprise privée n’ont ni les mêmes objectifs ni les mêmes motivations ni les mêmes modes de fonctionnement. Les expériences dans un cas ne valent pas dans l’autre. Et c’est parce qu’ils ont, eux-mêmes, la pleine conscience de leurs insuffisances à diriger le pays, que les hommes d’affaires en lice pour la Présidence de la république font, avec des fortunes diverses,  feu de tout bois pour obtenir le soutien des partis politiques, quitte à les disloquer sous le poids des billets de banque.

L’objection de l’expérience préalable sied, également, à la personnalité venue en droite ligne de la diaspora de France ; outre le fait qu’avec lui,  nous courons le risque de faire politiquement,  un retour en arrière et de renouer avec les temps sombres de la politique baptisée françafrique si tant est qu’en réalité, la France était impliquée, de quelque manière, dans sa désignation comme candidat de la mouvance présidentielle. Les cadres de la nationse doivent d’expliquer aux citoyens ordinaires, en toute objectivité, la primauté de l’expérience en matière de gestion des affaires publiques.

Un homme d’affaires n’est pas un altruiste

Contrairement à ce qu’on laisse le citoyen lambda croire, l’homme d’affaires ne mettra, au grand jamais, sa fortune personnelle à la disposition de l’Etat. Il ne créera pas et ne pourra créer de l’emploi pour seule raison de miséricorde. Il ne créera pas non plus d’infrastructures avec sa fortune et si, pour une raison ou une autre, il le faisait dans le cadre de la gestion des affaires publiques, ce serait marque de mauvaise gouvernance où s’enchevêtreraient argent personnel et argent public.

Certains esprits fort généreux se laissent à penser et à nous dire qu’avec des hommes d’affaires,  déjà fortunés donc, nous ne risquons plus de faire face à des détournements de deniers publics ni à des actes de corruption de grande envergure. Elles sont bien généreuses, ces âmes-là, mais je ne sais ce qu’il en sera dans la réalité si tant est que l’argent appelle l’argent ; c’est ce que  chantait l’artiste congolais, le temps jadis. Et les intellectuels devraient, pour raison citoyenne, aider le petit peuple à se débarrasser de ces mythes qu’entretiennent les politiciens dans son esprit.

Des actions sociales de l’homme d’affaires

Nous avons, par ailleurs, le devoir moral d’expliquer à la population que lorsqu’un homme d’affaires entreprend des actions sociales, telles la construction de salles de classe ou de latrines ou encore d’autres utilités, l’argent qu’il y consacre est, en principe, déductible des impôts qu’il doit payer à l’Etat. En d’autres termes,  il est fondé à soustraire des impôts sur son chiffre d’affaires, ce qu’il a investi dans les actions sociales au profit de la  communauté. Ce disant, nous ne cherchons qu’à informer l’électeur, le cas échéant ; loin de nous donc, toute idée de déprécier les actions sociales des hommes d’affaires. Je pense, personnellement, que ce sont de bons patriotes attachés à leurs affaires certes, mais contribuant, en définitive, au développement du pays ; et qu’à ce titre, ils ont droit à un meilleur traitement que celui qui leur a été réservé jusqu’alors.

Peut-être ont-ils fait le meilleur choix en procédant par financement d’actions sociales plutôt que de payer directement à l’Etat tout ce qu’ils lui doivent. Il me souvient, en effet, qu’au cours de la Conférence qui a réuni, il y a trois années de cela, les opérateurs économiques autour du Chef de l’Etat, pour, notamment, décrisper la situation qui prévalait entre les deux parties, ces derniers avaient déclaré, sans ambages,  qu’ils savaient bien que la majeure partie de ce qu’ils payaient au titre du fisc n’allaient pas  dans les caisses de l’Etat. C’est bien ce qu’ils avaient dit au Chef de l’Etat, et l’on peut comprendre, alors, qu’ils cherchent à ne pas reverser à l’Etat, tout leur dû. Il convient, alors,  que la population soit informée sur le mécanisme du financement des actions sociales par les hommes d’affaires afin de pouvoir faire la part des choses et prendre leurs options conséquemment. En tout état de cause, pour louables qu’elles soient, leurs actions ne ressortent pas, prioritairement,  de l’esprit de partage, si tant est que la fortune personnelle n’a jamais été facteur de rassemblement, contrairement à ce que véhiculent les formations politiques qui  soutiennent les hommes d’affaires. Toutes ces considérations ne sont  pas accessibles aux citoyens ordinaires. Alors, nous autres qui savons lire et écrire, devrions les aider à y comprendre quelque chose. C’est un devoir citoyen.

Incompatibilité des fonctions d’homme d’affaires de grande envergure et de Chef d’Etat

Nous nous devons, en outre, d’expliquer à la population qu’il va falloir que les chefs d’entreprise en lice pour la Présidence de la république nous disent comment ils comptent concilier et exercer effectivement les fonctions de Chef d’Etat et  d’homme d’affaires ; les deux fonctions  n’étant pas de même nature et se présentant même, comme diamétralement opposées. L’une est au service de l’ensemble de la population ; l’autre sert un intérêt privé. Les affaires se font au jour le jour et ne peuvent souffrir d’être mises en parenthèse, un moment ; le temps d’exercer, alternativement, une fonction publique. Il ressort de cela qu’un homme d’affaires de grande envergure, une fois au pouvoir ne pourra, ni matériellement ni humainement, exercer cumulativement les deux fonctions.

Il faut dire  que l’un des deux hommes d’affaires vient de tirer son épingle du jeu en nous annonçant, dans une envolée pathétique, à la limite de la diatribe contre la fortune, qu’il renoncera, s’il était élu, à sa vie d’hommes d’affaires pour se consacrer à l’exercice du pouvoir d’Etat. Touchant n’est-ce pas !  Il ne nous reste qu’à y croire et à attendre la profession de foi de l’autre homme d’affaires pour savoir à quoi nous en tenir. En tout état de cause, nous savons bien qu’un homme d’affaires devenu Président de la République, bien qu’ayantdémissionné de son poste de responsabilité, pourra en toute légalité, mettre ses entreprises en gérance et y conserver ses actions;  de cela, nous ne sommes pas dupes.  Mais il n’est pas certain que la majorité des citoyens comprenne quelque chose à tout cela; nous nous devons d’être à ses côtés.

Le conflit d’intérêts

Lorsque quiconque, homme d’affaires ou non, aspire à accéder à la Magistrature suprême et au pouvoir d’Etat, il nous semble impérieux qu’il n’ait aucun contentieux financier de grande importance avec l’Etat, que ce soit parce que l’Etat lui doit des prestations ou qu’il doit des redevances à l’Etat, à quelque titre ; par exemple, suite à un redressement fiscal. Dans un cas comme dans l’autre, la tentation des hommes d’affaires, une fois  au pouvoir sera, comme je n’ai pas besoin de la dépeindre, de se faire justice  d’autant plus rapidement que l’un d’eux a déclaré de manière, on ne peut plus péremptoire, ne vouloir du pouvoir  d’Etat que pour une période de cinq ans.  En tout état de cause, la renonciation à la vie d’hommes d’affaires  au cours de la période d’exercice du pouvoir ne devrait pas éluder la question du conflit d’intérêts au cours de ladite période.

 Conflit d’intérêts, il n’y a pas qu’entre l’Etat et un national devenu Chef d’Etat, qu’il peut  en avoir ; il peut  en avoir, également, entre deux Etats, par un national interposé,  si tant est que l’un  a  apporté un soutien effectif à sa candidature. Conflit entre Etats sur les plans tant économique que culturel ; conflit dans la perception des choses de  la vie, tout court ? Et c’est Blaise Pascal qui disait ; « Vérité en deca des Pyrénées, erreur au-delà »  

Deux fonctions de nature incompatible et de cumul impossible d’une part ; conflit d’intérêts évident et déterminant dans la bonne gestion des affaires publiques, d’autre part. Le tout en déphasage avec l’esprit de  bonne gouvernance et le sens commun politique. Si, en dépit de tous ces handicaps, augmentés de l’inexpérience de la gestion des affaires d’Etat, un des deux bommes d’affaires parvenait au sommet de l’Etat, je me demande comment les partis politiques  pourraient animer la vie politique du pays  de manière  indépendante et sereine. C’est en effet secret de polichinelle que, jusqu’alors, nos partis politiques sont redevables aux hommes d’affaires dans un système partisan où les adhérents ne cotisent pas et en l’absence de tout financement public desdits partis. Comment s’affranchiront-ils  de leur tutelle ?

En ce qui concerne la personnalité  récemment encore de la  diaspora, ce n’est point lui manquer d’égard, que de souligner qu’à l’instar des hommes d’affaires, lui font défaut tout à la fois, l’expérience en matière de gestion des affaires publiques, l’expérience politique et celle de la conduite des hommes. Il gagnerait, en outre, à acquérir le plus rapidement possible, autant que faire ce pourra, la connaissance du milieu et l’expérience du terrain  sans préjudice toutefois, de ses capacités d’adaptation judicieuse aux réalités locales, le cas échéant. Mais, à vrai dire, la communauté internationale honore un Chef d’Etat d’autant qu’il est bien élu et politiquement bien ancré  dans son pays.

Lorsqu’un intellectuel garde le silence sur des situations qu’il aurait pu expliquer au peuple, il commet une faute morale grave et hypothèque la bonne gouvernance, sans s’en douter. La transmission du savoir, à quelque niveau que ce soit, est un devoir civique et le partage des connaissances, un acte de solidarité.

Ambassadeur Candide Ahouansou

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