Bénin : Les contradictions de Victor Topanou

Après son désistement de la course présidentielle, le professeur Victor Topanou a annoncé, il y a quelques jours, son soutien à la candidature du richissime homme d’affaires Sébastien Ajavon.

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Pourtant, le chef du département sciences politiques de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’université d’Abomey-Calavi est l’un des rares intellectuels béninois à avoir pris ouvertement position contre les candidatures de Patrice Talon et Sébastien Ajavon à cette élection. Dans une longue lettre ouverte au peuple béninois, publiée en novembre dernier notamment dans La Nouvelle Tribune, le président du parti Front uni pour la république (Fur) a démontré la perversité des ambitions présidentielles des deux grosses cylindrées du monde des affaires béninois et les menaces qu’elles représentent pour le pays. Mieux, Victor Topanou est allé très loin en suggérant que la Cour constitutionnelle exclue les deux personnalités de la course à la Marina. Curieusement, un peu plus de trois mois plus tard, il apporte son soutien à Sébastien Ajavon. Pis, le roi du coton et le magnat de la volaille dont il avait ressorti les limites des candidatures au triple plan éthique, moral et politique, deviennent ses choix de «cœur» et de «raison». La rédaction de La Nouvelle Tribune vous propose de larges extraits de sa lettre ouverte et du texte de la justification de son soutien à Sébastien Ajavon.

Topanou en novembre 2015 : les candidatures de Talon et Ajavon, un problème éthique et morale

« Le problème que posent les candidatures de Patrice TALON et de Sébastien AJAVON est un problème d’ordre éthique, voire de moralité et de probité qui met en cause les personnes même de ces deux candidats ainsi que de leurs relations tumultueuses et incestueuses avec l’Etat béninois. »

  • « Il faut juste rappeler qu’un Etat n’est pas une entreprise privée ; il est bien plus qu’une entreprise. L’Etat est englobant là où l’entreprise est catégorielle ; l’Etat englobe le politique, l’économique, le social et le culturel là où l’entreprise ne réalise que son objet social. On peut donc très bien réussir en entreprise et se révéler un piètre politique, voire un piètre Président de la République. La fonction présidentielle est une fonction éminemment politique, elle ne peut donc être dévolue qu’aux seuls acteurs politiques. Elle est la consécration et non le commencement d’une carrière politique. (…) Mieux, pour être un bon Président de la République dans un régime démocratique, il faut avoir la culture de l’Etat qui ne s’acquiert qu’à l’expérience et connaître l’administration publique et pas simplement en tant qu’usagers.  Il faut savoir être humble et accepter la contradiction, toutes qualités que ni l’un ni l’autre ne possède. »
  • « Pour ma part, je vois deux solutions de sortie, l’une juridique et l’autre politique. La juridique est préventive et la politique est curative. La première est en amont, la seconde en aval.Sur le plan juridique, il va s’agir de l’application innovante des dispositions pertinentes de l’alinéa 2 de l’article 44 de notre Constitution qui disposent que « nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il n’est de bonne moralité et d’une grande probité ». Il s’agit de deux conditions cumulatives et non alternatives auquel cas, le constituant aurait écrit« de bonne moralité ou d’une grande probité. Par ailleurs, il faut relever que ce n’est pas une simple probité qui est requise mais bien une « grande probité »c’est-à-dire « une grande honnêteté et une grandeintégrité ».

Depuis 1991, la Cour constitutionnelle n’a encore jamais invalidé une candidature à l’élection présidentielle sur le fondement de cette disposition. De plus, dans l’imaginaire collectif, « être de bonne moralité et d’une grande probité » se résume à « avoir un casier judiciaire vide ». Or, on peut avoir un casier judiciaire vierge et ne pas être « de bonne moralité et d’une grande probité » car pour avoir un casier judiciaire chargé, il faut avoir été traîné devant les tribunaux puis condamné pour des faits graves. Par ailleurs, on peut ne pas « être de bonne moralité et d’une grande probité » et ne jamais avoir été traîné devant les tribunaux ou quand c’est le cas avoir les moyens de se payer les meilleurs avocats et de bien s’en sortir.

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On ne peut pas avoir autant d’affaires avec l’Etat sans que « sa bonne moralité et sa grande probité » ne soient questionnées ; on ne peut pas avoir jonglé autant avec les ressources de l’Etat,sa douane et son fisc sans que « sa bonne moralité et sa grande probité » ne soient questionnées ; on ne peut pas avoir eu autant de relations incestueuses avec l’Etat, son patrimoine, ses financessans que « sa bonne moralité et sa grande probité » ne soient questionnées. Et on ne peut pas avoir mis en place ce vaste système de corruption d’une grande partie de la classe politique sans que « sa bonne moralité et sa grande probité » ne soient questionnées.

Ceci est d’autant plus important que l’autre disposition de la Constitution à laquelle fait échosl’article 44.2  est celle de l’article 35 qui dispose que « les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ». Or en la matière, la Cour constitutionnelle a développé une abondante jurisprudence depuis 1993 sur la violation de l’article 35. Il lui revient donc d’approfondir cette disposition constitutionnelle pour dire si ces candidatures sont recevables ou pas. Et elle devrait pouvoir prononcer l’irrecevabilité de ces deux candidatures. Mais si par extraordinaire, la Cour n’optait pas pour cette solution juridique préventive, il faudrait alors que la classe politique prenne ses responsabilités, même si pour l’heure, elle ne semble pas en prendre le chemin.

En effet, par solution politique, j’entends l’obligation morale qui incomberait aux partis politiques dignes de ce nom, de se coaliser pour faire triompher la candidature d’un acteur politique, quels que soient ses défauts. Il s’agira de mettre en place un cordon sanitaire partisan pour sauver la République. Ce serait une occasion historique unique de faire la distinction entre, d’une part, les vrais partis politiques prêts à défendre l’intérêt général et, d’autre part, les autres partis qui n’ont aucun sens de l’intérêt général et qui ne sont créés que pour assurer les intérêts bassement matériels et financiers de leurs principaux responsables.

Elites politiques béninoises, mobilisons-nous et travaillons pour la postérité. »

Morceaux choisis de la lettre ouverte du professeur Topanou au peuple béninois

Topanou en février 2016 : Talon, « le choix de mon cœur », Ajavon «le choix de ma raison »

« Le pragmatisme politique impose donc, non seulement de composer quelques temps encore avec la « démocratie d’argent » dans laquelle le pouvoir d’Etat se conquiert à coups d’argent et de fraude mais aussi et surtout d’identifier le ou les candidats qui sont les mieux à même, dans ce système-là, d’empêcher la victoire de Monsieur Lionel ZINSOU.

Il ressort de mes échanges approfondis avec mon entourage ainsi que de mes réflexions et analyses personnelles que Patrice TALON et Sébastien Germain AJAVON sont les deux seuls candidats capables d’empêcher l’élection de Monsieur Lionel ZINSOU : c’est devenu ma conviction, je peux me tromper.

Tout le monde connait mes positions de principe vis-à-vis de ces deux candidats mais ces positions n’ont de sens que dans le cadre d’une « démocratie d’idées » que j’appelle de tous mes vœux et qui est repoussée aux calendes grecques. Sauf à ne pas choisir, je suis obligé de choisir entre les deux. J’ai donc choisi de choisir.

Certains pourraient considérer, à tort, que je renie mes principes sur cette question-là mais je leur répondrai que l’on ne saurait devenir esclave de ses propres principes sans courir le risque d’être taxé d’imbécile, d’idiot et de stupide et qu’en conséquence, j’assume pleinement et entièrement mes nouveaux choix au nom du pragmatisme politique, de la « real politik ». (…) Pour ma part, j’ai rencontré messieurs TALON et AJAVON à la faveur de mon désistement, à leur demande, et j’ai longuement discuté avec eux. Le premier est le choix de mon cœur et le second, le choix de ma raison. J’ai choisi de faire un choix de raison et ce sera Sébastien Germain AJAVON.

Outre que mon choix a été facilité par le fait que tous les deux sont membres de « l’Alliance des candidats de la rupture » dont l’objectif principal est d’empêcher que se pérennise le système YAYI à travers l’élection de Monsieur Lionel ZINSOU, ce choix est fondé sur une série de trois critères à savoir, le premier, son engagement à intégrer mes trois préalables dans son programme de gouvernement s’il était élu, à savoir les états généraux de l’Etat, le financement public de la vie politique et l’instauration de la culture de la confiance interpersonnelle.

Le deuxième, son engagement à être actif dans l’opposition ou aux côtés de l’opposition, au cas où il ne serait pas élu.

Le troisième, le charme que dégage son modèle, celui du modèle américain, du rêve américain, dans lequel tout est possible en termes de réussite personnelle. Peu importe d’où vous partez et quel diplôme vous avez à la base, la seule chose qui compte c’est votre capacité de travail, la qualité de votre travail, vos capacités managériales et votre abnégation qui, seules, peuvent vous hisser au sommet de la hiérarchie sociale. C’est un modèle totalement différent du modèle français dans lequel l’ascension sociale est uniquement indexée sur la qualité de vos diplômes ainsi que sur la réputation des grandes universités et écoles que vous avez fréquentées : je suis en admiration devant ce modèle.  

Je soutiens et je vote Sébastien Germain Ajavon. »

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