La massification de l’école béninoise est-elle un facteur de développement pour notre nation ?

Du lundi 11 au vendredi 15 eut lieu le ballet des soutenances des cohortes 6 et quelques retardataires de la cohorte 4 des enseignants reversés ayant suivi une formation diplômante à l’Ecole normale supérieure.

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Cette formation qui a débuté depuis 2010 connaît enfin son épilogue et on peut décerner un satisfecit aux diverses autorités de l’école normale supérieure et à leurs supérieurs hiérarchiques ; aux formateurs que nous sommes qui avons parcouru monts et vallées pour aller constater de visu le travail effectué par ces jeunes enseignants dans leurs classes au cours des inspections. Et aussi à notre Etat qui a, avec l’aide des partenaires financiers, déboursé tant de milliards pour supporter le coût de ces formations. Mais au fur et à mesure de ces cinq longues journées où je dévorais mémoires sur mémoires, la question posée plus haut me taraude l’esprit. Je la renvoie à tous ces enseignants qui œuvrent dans la formation de ces milliers de formateurs. Surtout aux décideurs de la Nation. Au gouvernement de la RUPTURE.

Et je nous interroge : Faut-il continuer dans cette politique de scolarisation de masse si l’on sait que la plupart des écoles primaires et secondaires ne remplissent nullement les conditions d’une école de qualité prônée par l’UNESCO ?

Partout la désolation

Les impétrants sont arrivés de partout, du nord au sud du pays, en passant par l’est, l’ouest et le centre : CEG Gamia, Hlassamè , Gnizoumè,Lalo, Klouekanmè,  – CEG Djigbé , Lougba, Savalou, Bantè, Tchatchou….

C’est dire que tous vivent au contact des réalités des populations du Bénin profond et sont à même de présenter le véritable visage de notre école sur le terrain. Nous avons voulu d’une école démocratique et l’Etat nous l’a offerte. La scolarisation aussi bien des filles que des jeunes gens a été encouragée. Mais les fruits ont-ils vraiment produit en abondance ce que les fleurs annonçaient ? J’en doute fort. Quel accompagnement notre Etat a offert à toutes ces structures scolaires qui essaiment le territoire national ?

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Les intitulés des différents mémoires augurent bien des contenus où tout est désolation, échecs scolaires, déperditions, démissions parentales, débrouillardise des apprenants pour survivre… etc. D’une région à une autre, les problèmes demeurent les mêmes, intacts. A quelques différences près. Certains établissements publics jouissent de nouveaux bâtiments, souvent offerts par des élus locaux et autres notabilités de la place ;  tandis que d’autres continuent d’exposer les apprenants aux intempéries, des porcheries (je pèse bien mes mots) construites depuis les années 90 sans une brique ajoutée. Certains candidats ont illustré leurs travaux de recherche de photos assez révélateurs des salles de classe où ils officient et on se demande comment un Etat qui a pour devoir de protéger sa jeunesse peut lui imposer de passer ses journées dans des lieux aussi sinistres. Et, tenez vous bien. Il ne faut guère s’éloigner de Cotonou pour découvrir ces hangars qui servent de classes dans nos CEG : Glo 2, Tori Aidohouè ne sont que l’archétype des CEG démocratiquement ouverts pour booster la scolarisation dans notre pays.

Que fait l’Association des parents d’élèves (APE)

Vingt années de gestion d’une Association des parents d’élèves ( APE) toute puissante, qui n’a pas pitié de ses enfants et qui les laisse dans ces bâtiments pouilleux que j’ai aperçus à travers les photos exposés dans le travail de recherche des impétrants. C’est une honte ! En réalité, la plupart des membres de ces APE ont leur benjamin qui escalade déjà les bus de nos nombreuses universités publiques ou privées, quand ils ne sont pas en fonction quelque part dans une banque de la place. On comprend donc que le sort de ces pauvres enfants n’égratigne guère leur conscience  puisqu’ils doivent préserver à tout prix cette source de revenus, voire de visibilité que leur offre l’Association. Comme beaucoup d’autres associations, syndicats et partis politiques sont composés de véritables « has been » qui s’accrochent à leur gouvernail, comme à une bouée de sauvetage. Pendant ce temps, l’école se meurt.

Il faut remettre les pendules à l’heure

Du moment où l’Etat a voulu que l’école aille à la rencontre des apprenants et qu’on a demandé aux populations d’accompagner l’école dans les communautés, il urge de faire l’état des lieux, pour savoir s’il faut continuer cette politique de massification de l’école. Si cette politique constitue un facteur de développement de notre pays. Est-il opportun d’ouvrir encore des établissements secondaires par ci par là, des écoles sans bâtiments dignes du nom, véritables sinzalas, sans électricité et eau. D’ailleurs, ceci représente un luxe, puisque Tangbo Djévié à quelques encablures de Calavi n’en possède pas. Qu’en est-il alors de la plupart des établissements cités plus haut ? Faut-il laisser toute latitude aux élus des différentes régions de continuer à ériger des bâtiments électoraux, alors que le basique de l’école n’est pas résolu ? C’est-à-dire de bons maîtres dans les classes pour offrir une bonne formation à nos apprenants ?

L’impact de l’environnement social a représenté le thème redondant sur lequel les postulants ont planché. Comment accompagner un enfant dans sa formation lorsqu’il parcourt chaque jour 5 , 7 ou 10 km pour venir chercher la connaissance ? Qu’il reste à l’école à midi et ne possède même pas 50 francs pour se sustenter ?

Que dire de ceux-là qui désertent les classes à Klouekanmè pour aller vendre les fruits de saison dès qu’apparaissent oranges, mangues, tomates… ? Et ceux d’autres régions qui sont attirés par les produits manufacturés achetés par leurs camarades qui s’adonnent à la vente du carburant, à l’artisanat et toutes autres activités génératrices de revenus ? Comment retenir dans les classes ces milliers d’apprenants de parents alcooliques, ou polygames pour qui beaucoup de femmes et d’enfants représentent une main d’œuvre à exploiter. L’école n’étant pas un endroit qui produit la richesse. A Klouekanmè, a dit un impétrant, il existe peu de cadres. Les paysans sont très riches et ont tellement de biens au soleil que les pères se demandent à quoi bon envoyer les enfants jusqu’au collège.

Et puis, cerise sur le gâteau la maîtrise de la langue française, notre langue de travail est une gageure qui décourage plus d’uns. Dans la région de Bantè, les élèves, dans le cadre de l’APC (Nouveaux Programmes) s’expriment en « tcha », langue du terroir pour mieux comprendre les consignes de l’activité proposée par le professeur. La sémiosyntaxe de Vigosky et Piaget devraient servir peut-être à nos enseignants pour mieux aborder leurs leçons au cours. Malheureusement, tout se fait en français chez nous et, vivement la généralisation de l’apprentissage des langues nationales au collège. Et puis très peu d’établissements possèdent des bibliothèques en leur sein. Certains possèdent des milliers d’ouvrages, mais par manque de bâtiment pouvant servir à ce centre de recherche, les livres sont entassés sur des bancs, dans des cartons ou à même le sol. Si les élèves de Tori Aidohoué étudient dans des salles non terrassées, ce n’est pas aux livres qu’on offrira des salles bien cimentées.

Le dénuement total

Des écoles à gogo, des élèves par containers très mal lotis. Un directeur nous a raconté, aux membres du jury comment un jour,  apercevant un élève en train de se battre avec le fil de fer qui retient sa sandale « djimakplon », de peur qu’il ne se blesse, lui a demandé d’aller percevoir cinq cent francs chez la secrétaire pour remplacer ladite paire. Quelques minutes plus tard, trois élèves arrivèrent présenter leurs sandales plus dépenaillées que celle de leur camarade. Le directeur très ému les envoya eux aussi chercher les sous pour remplacer la seule paire qu’ils portent pour franchir la dizaine de kilomètres qui les déposent chaque jour au CEG de Tori Aidohoué. A combien de kilomètres de Cotonou se trouve ce CEG chers décideurs ? A Klouékamè, professeurs et élèves arrivent régulièrement en retard. Pourquoi un tel comportement ? La distance très éloignée de leur établissement en est certes pour quelque chose. Mais la politisation à outrance du système a généré une race d’enseignants reversés, de contractuels plus puissants que les directeurs. Et quand le prof est régulièrement en retard, pourquoi l’élève se dépêcherait à se rendre aux cours ?

Des directeurs et censeurs reversés

Lorsque ces jeunes n’ayant même pas encore obtenu leur parchemin sont bombardés directeurs, censeurs… etc comment peut-on espérer cultiver l’excellence sur le terrain. Pendant ces dix dernières années, l’école a été un véritable champ d’ambitions politiques. Il est temps que la rupture s’opère à ce niveau ; que les pendules se remettent à l’heure. En attendant de freiner quelque peu cette massification de notre école qui, en opérant un bond quantitatif à la scolarisation des jeunes, surtout des filles a généré beaucoup d’autres problèmes qu’il faille circonscrire désormais, pour espérer avoir chez nous une école de qualité.

La nouvelle corde au bout de l’ancienne

La dernière promotion de l’Ecole normale supérieure, derniers APE recrutés (1986) fait ses valises pour faire valoir ses droits à la retraite le 1er octobre prochain. Pourront-ils partir à la retraite le cœur en paix, après avoir lu, entendu et vu les prestations de ceux-là qui vont prendre notre relève sur ce chantier difficile qu’est l’enseignement ? Je ne dis pas que tout est mauvais ; bien au contraire. J’ai toujours défendu le fait que cette formation ardue à laquelle nos enseignants reversés ont été soumis à partir de 2010 a permis de relever le niveau de leurs prestations en situation de classe. Les interventions des encadreurs (inspecteurs, conseillers pédagogiques et autres personnes ressources en inspections diplomantes) sur le terrain en témoignent. Mais il faut dire que la baisse de niveau dont tout le monde se plaint est remarquable également au niveau de nos jeunes collègues. Car, l’enseignant n’enseigne que ce qu’il connaît. Et, lorsque le jury de soutenance entend des incongruités de la bouche des impétrants et relève des fautes inouïes à chaque page du mémoire de fin de formation (BAPES et CAPES), j’exagère à peine, il y a lieu d’être inquiet. Et de s’interroger sur la suite à donner à cette massification de l’école béninoise. Trop d’écoles qui ont besoin d’enseignants. On en a recruté, en veux-tu, en voilà ? Et il en manque toujours.

Mais les ministres de l’éducation doivent fouiller avec le concours de leur collègue de la fonction publique pour voir si tout ce monde mérite vraiment la place que le diplôme obtenu en fin de formation leur permet effectivement de prester en tant que professeur dans nos établissements secondaires. Et je peux d’ores et déjà annoncer à tous ceux-là qui sont pressés de renvoyer leurs aînés au Musée de l’Homme que les doyens ont encore de beaux jours devant eux pour mieux outiller les jeunes collègues, si nous ne voulons pas jeter notre jeunesse en pâture. Et puis comme l’a dit ce grand homme, pour ne pas le nommer, Jean Pliya ne nous a –t-il pas appris que c’est au bout de l’ancienne corde qu’il faut tisser la nouvelle !

Que la Rupture intervienne dans ce secteur clé de l’éducation pour une école résolument nouvelle et apte à relever les défis du développement de notre pays. Il est important que la rupture s’opère partout pour un mieux être de tous. Et en cela, nul ne sera de trop. Une pensée que je partage avec vous afin que chacun comprenne désormais combien important est son rôle dans la cité : « Réformez votre caractère et vous réformez votre vie. Réformez votre vie, vous réformez celle des autres. Réformez la vie des autres, vous hâtez la réalisation d’un monde meilleur »

Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Ecrivain

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