Si «Ici c’est, le Bénin» comme l’affirme le journaliste Marcel Zoumènou dans une de ses chroniques éponyme de l’ouvrage lancé il y a quelques jours par le professeur Albert Tévoêdjrè, c’est grâce à ses peuples dont les Xwla et Xwéla.
Vaillants peuples connus pour leur agilité dans les activités maritimes et lacustres, les Xwla et Xwéla sont depuis 95 ans l’incarnation d’une valeur de plus en plus rare sur terre, la fraternité. Illustration ce dimanche 15 mai à Grand-Popo la ville balnéaire du sud-ouest du Bénin où se célébrait le 95ème anniversaire de la fête Nonvitcha, «les frères réunis». Reportage.
Une solution aux grincements de dents, violences et guerres dans le monde. Nonvitcha, entendez «les frères réunis», fraternité en un mot. Il s’agit d’une retrouvaille des peuples Xwla et Xwéla célébrée depuis des lustres dans la ville balnéaire de Grand-Popo au Bénin dont la 95ème édition a été couronnée par tout un programme à la gloire de la fraternité ce dimanche 15 mai. Alors qu’elle se fait rare avec le foisonnement de foyers de tension aux quatre coins du monde, la fraternité s’est trouvée une terre de culture dans cette partie de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. Il sonnait un peu plus de 9H (08H Gmt) quand l’équipe de La Nouvelle Tribune quitte Cotonou pour se rendre sur les lieux, environ 80km. Tout le long du trajet, difficile de ne pas remarquer ces personnes habillées dans leurs divers modèles avec un pagne sur lequel sont perceptibles, deux mains se serrant fortement et chaleureusement au milieu d’un cercle avec, écrite en grand caractère d’imprimerie, l’inscription «ASSOCIATION NONVITCHA, GRAND-POPO». De quoi savoir où ils se rendent, parfois à trois et visiblement toute une famille de papa, maman et enfant sur une même moto.
Fraternité
Ça grouille dans tous les sens. Çà et là, des cris de joie. Des salutations en Mina et xwla, langues du terroir. Après 90 minutes de route, Nous y sommes, à Grand-Popo, la ville rayonnante dans ses apparats de terre de retrouvaille fraternelle. Déjà près de 11h. A cette heure, au programme, la grande messe à la paroisse catholique St Joseph archibondée de monde. Aux yeux, s’offre un merveilleux spectacle de communion d’hommes et de femmes, d’enfants, adultes et personnes du troisième pour la plupart dans le pagne imprimé avec tous les renseignements sur l’évènement qui les rassemble. Sur le pagne, on lit aussi, « Fraternité-Solidarité… », ce qu’à première vue on appellerait le slogan de la fête. Mais non, c’est plus. A l’intérieur de l’église devant le collège des prêtres concélébrant avec à leur tête Victor Agbanou l’ évêque du diocèse du Mono, se trouvent, participant à la célébration eucharistique, des têtes couronnées, des gardiens de traditions Vodoun des Xwla et Xwéla connus également pour leur attachement aux mânes de leurs ancêtres. Ce tableau, un jour de Pentecôte apparaît comme un signe de tolérance religieuse chez ces peuples à un moment où les conflits religieux sont d’actualité dans le monde. Alors qu’ailleurs, la lutte des classes éloigne pauvres et riches, on retrouve dans le même pagne coûtant le même prix, des richissimes hommes d’affaires béninois natifs Xwla et Xwéla et ceux d’entre eux qui sont au bas de l’échelle sociale. Sébastien Ajavon, riche opérateur économique arrivé troisième à la dernière élection présidentielle, Jean-Baptiste Satchivi, son concurrent dans le secteur de l’importation des produits congelés et de la production d’œufs frais, de même que d’autres hommes d’affaires, des intellectuels, des hommes politiques, des personnalités dont Robert Dossou l’ancien Président de la Cour constitutionnelle avec sa serviette blanche au cou, Professeur Dorothée Akoko Kindé Gazard, plusieurs fois ministre de la Santé y sont présents entourés de jeunes étudiants, ouvriers de tout genre, tous comme les membres d’une même famille dans le même pagne recevant la bénédiction divine avant l’ultime étape à la place Nonvitcha , place de la fête, près de la mer. Au terme de la messe prenant fin après midi, cette petite paroisse ne pouvait plus contenir les scènes d’accolades, les petites discussions et les taquineries qui ne manquent jamais quand de véritables frères se retrouvent. Me Robert Dossou explique qu’à ce rendez-vous les divergences disparaissent : «Quelles que soient nos déviations, divergences ou autres, quand ce jour arrive, chacun rentre pour voir où se trouvent ses racines et comment il fraternise avec les autres».
Communion et partage
Nous sommes dans l’après-midi. De l’église à la place Nonvitcha , sise en face de la grande place de l’Association Nonvitcha où est érigé le mémorial symbolisant la fraternité retrouvée des frères Xwla et Xwéla qui est également imprimé sur le tissu. Ici on aperçoit en grandeur nature toute l’importance que revêt cette fête au Bénin. S’y est installé un grand podium pour les discours officiels et les prestations artistiques. Plusieurs tentes installées pour le pique-nique. L’ortb, la télévision publique béninoise y a déployé les grands moyens pour le direct et tous les grands médias du pays y ont envoyé des reporters. Tout le long de la voie menant à cette place, est débordée de monde, les bars, les débits de boissons n’ont plus de place, encore moins les hôtels alentours. Tout autour, un marché d’objets divers s’anime avec des podiums géants de deux grandes sociétés Gsm au Bénin. Plus que les Xwla et Xwéla de l’intérieur, ceux de la diaspora sont aussi arrivés et des drapeaux signalent des gens venus de la France, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Togo… à l’abri sous les tentes, on attend que l’ouverture de la réjouissance collective. Avant cela, les discours. Alors avance sur le podium, Norbert Kassa, Président du Bureau Exécutif Fédéral de l’Association Nonvitcha accompagné de quelques autres membres. Comme on pouvait s’y attendre, il a choisi de faire à l’assistance l’historique de cette fête. «En 1919, notre patriarche, feu Adolphe Gnassounou-Akpa, un Xwéla originaire du village Doyi, entreprit un long voyage dans plusieurs pays de la sous-région… Il rencontra au cours de son périple, de nombreux compatriotes, notamment Xwla et Xwéla, mais il en revient meurtri par un constat à savoir : l’absence de chaleur, d’amitié et de collaboration fraternelle agissante…», conte-t-il. C’est alors, poursuit M. Kassa, que le patriarche feu Adolphe Gnassounou-Akpa eut «l’heureuse initiative d’une association qui créerait des occasions de rencontres et de contacts afin de sauvegarder l’unité et promouvoir l’épanouissement des populations Xwla et Xwéla». Ce qui avec le concours d’autres donnera naissance en 1921 à l’Association Nonvitcha. De cette année à cette édition, l’association œuvre globalement pour «le développement socio-économique» de la région. «Entretenir et resserrer les liens naturels de fraternité et de solidarité», «faire revivre les valeurs spirituelles, culturelles et historiques propres aux deux communautés sœurs», œuvrer pour «le progrès réel des populations dans tous les secteurs de la vie» sont selon M. Kassa les objectifs que très tôt, l’association s’est fixée. Depuis, elle a déjà plusieurs réalisations, dont des bourses d’études, des constructions de biens publics socio-sanitaires, des hangars dans les marchés, rechargement de voie de contournement. Et pour l’avenir l’actuel bureau qu’il dirige compte entre autres, bâtir «un musée de Nonvitcha à inaugurer en 2021», faire « le dragage du fleuve Mono et du lac Ahémé et de ses chenaux».
Au-delà des Xwla et Xwéla, une fête nationale
Les discours terminés, place à la réjouissance. Des buffets, çà et là pour tout le monde. Et dans le beau monde, il n’y avait pas que les Xwla et Xwéla. «Ce n’est plus une fête des Xwla et Xwéla seulement» a déclaré à cet effet, Me Robert Dossou. Des sympathisants, des amis et autres ont adopté cette fête annuelle. Le Gouvernement s’y est fait représenter par deux ministres. Celui de la culture et du Tourisme Ange Nkoué et celui de la jeunesse et des sports Oswald Homéky. Parmi les groupes d’animation sur le podium, on retrouve la compagnie Tèkê de Parakou, venue agrémenter la fête avec un tableau de ce rythme du septentrion béninois. Il y a aussi le groupe «Les tambours du Togo» et le grand artiste togolais King Mensah dont la prestation a reçu la ferveur du public. Pour les personnalités venues à cette fête, il faut retenir le symbole de la fraternité pour l’unité nationale au Bénin. «Chacun doit savoir que pour faire grandir une nation, il faut que tout le monde se considère comme frère dans cette nation et pour cette nation» souligne l’ancien Président de la Cour constitutionnelle qui explique que «Si cette association a duré aussi longtemps, c’est parce que les fondateurs ont placé à la base, l’amour. La fraternité n’étant qu’un aspect de l’amour, que chacun considère l’autre comme son frère». Le milliardaire Sébastien Ajavon est du même avis que lui. « Nous sommes un pays pauvre mais nous avons la joie. Nous allons tout faire pour que cette joie se maintienne dans tout le pays» a-t-il dit après avoir exprimé sa «fierté d’être Béninois». Il faut dire que d’autres viennent à cette fête pour s’inspirer des peuples Xwla et Xwéla. «Il y a des fêtes du genre dans d’autres communautés béninoises mais celle-ci est particulière. Nous sommes venus nous inspirer de l’exemple des Xwla et Xwéla pour améliorer la pratique chez nous» a confié l’ancien conseiller politique Alexandre Hountondji. Comme quoi, les peuples Xwla et Xwéla peuvent se réjouir d’être un modèle de fraternité.
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