Commission Djogbénou : inquiétudes sur l’indépendance de la future Cour des comptes

La Commission Djogbénou a déposé mardi 28 juin dernier son rapport au Président de la République Patrice Talon. Au-delà de controverses suscitées par la question du mandat unique, une autre réforme pourrait faire objet de grands débats dans les jours à venir.

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Il s’agit de la création de la Cour des comptes comme institution constitutionnelle, indépendante et affranchie de la tutelle de la Cour suprême mais la proposition faite par la commission Djogbénou ne semble rien arranger dans ce sens

L’une des principales raisons qui ont justifié les velléités de révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 pendant la décade 2006-2016 reste la création de la Cour des comptes pour satisfaire aux exigences de l’Uemoa et des partenaires techniques et financiers. Qu’il vous souvienne, le retrait de la coopération danoise de notre pays est motivé par l’absence de la Cour des comptes dans l’ordre institutionnel de notre pays. Chargée prioritaire d’auditer les comptes de l’Etat et des institutions de la république, son affranchissement de la tutelle de la Cour suprême et son indépendance favoriseront à coup sûr son efficacité tant souhaitée dans un pays où la corruption prend des proportions inquiétantes.  

Cette nécessité voire cet empressement à voir la Cour des comptes dans notre arsenal institutionnel ne saurait justifier aucune précipitation dans sa conception. C’est donc à juste titre que, dans le cahier des charges que le Président de la République Patrice Talon a confié à la Commission technique chargée de la réforme constitutionnelle, la création de la Cour des comptes figure en bonne place.

Précédemment incorporée à la Cour suprême en tant que Chambre des comptes, la juridiction financière est appelée à s’autonomiser pour mieux prendre en charge et exercer les attributions qui sont les siennes. La présence de la juridiction financière au sein de la Cour et par ricochet la tutelle du Conseil Supérieur de la Magistrature étant devenues peu efficaces pour l’exercice convenable de ses activités puisqu’elle ne lui permet pas de se doter de moyens suffisants à cause de la lourdeur de ses procédures qui ne sont pas compatibles avec les exigences et les procédures financières..

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Les nombreux succès et le rayonnement actuel de la Cour constitutionnelle du Bénin qui a su maîtriser les crises politiques et ainsi préserver notre stabilité politique sont les conséquences positives du meilleur ancrage constitutionnel conféré à cette nouvelle et haute juridiction. Il était donc urgent de faire des réformes.

Une tutelle de la Csm envisageable

Selon l’article 68 du Traité de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), il  importe donc qu’elle dispose de la plénitude de ses attributs. Mais selon le rapport présenté par le Professeur Frédéric Joël Aïvo, la Cour des comptes ne semble pas garantir cette plénitude de pouvoir pour le nouvel ordre juridique financier qu’elle devra incarner. En effet, selon un extrait de ce rapport, « la Commission est d’avis qu’il est envisageable de soumettre au CSM la discipline des membres de la Cour des comptes ». Ce point du rapport pose un problème d’indépendance des juridictions financières notamment de la Cour des comptes vis-à-vis du pouvoir judiciaire lui-même. En effet, selon la même commission dont le rapport est déposé le 28 juin dernier, le Conseil supérieur de la magistrature est appelé à être dirigé par le président de la Cour suprême en lieu et place du président de la République. Lequel président de la Cour suprême est élu par ses pairs, c’est-à-dire les magistrats, réunis en Assemblée générale.

Il va de soi qu’au sein du Conseil supérieur de la Magistrature, le président de la Cour des comptes ferait profil bas devant son homologue de la Cour suprême. Ce qui pose un problème déjà un problème de hiérarchie putative entre les deux institutions.

Par ailleurs, en conférant la discipline des magistrats de la Cour des comptes au président de la Cour suprême présidant le Conseil supérieur de la magistrature, de facto, la Cour des comptes et les autres juridictions financières se confondent aux services judiciaires dont la Cour suprême devra assurer l’inspection. Ce qui correspond à la situation déguisée d’une chambre au sein de la Cour suprême. Cette situation met indubitablement la cour des comptes sous tutelle de la Cour suprême et rend malaisé son efficacité car elle est habilitée à auditer la gestion de toutes les institutions de la république dont la Cour suprême. Certaines procédures comme celle de la faute de gestion ou le contrôle des opérations électorales appellent une collaboration entre les juridictions financières et celles judiciaires. Il convient de préserver la bonne qualité de cette relation pour la sauvegarde de la démocratie si chère au Bénin en évitant d’exposer les uns à la domination et à la crainte des autres. C’est pourquoi, un corps de magistrats financiers devra être créé à l’instar de celui des magistrats judiciaires pour animer ces nouvelles juridictions financières. Cela participe de l’équilibre des pouvoirs tel que prôné par le Président de la république comme alternatives pour rassurer les doutes qui pèsent sur le mandat unique présidentiel. En un mot, il faut percevoir la magistrature comme un pouvoir autonome aux plans statutaire, organique et financier, un pouvoir public entier, source de crédibilité de notre démocratie.

Au demeurant, il convient de rattraper cet écueil qui ne baisse pas le mérite des éminents juristes, praticiens, politiques et hautes personnalités qui, en un temps record ont fourni un travail d’une rare densité pour éclairer la procédure de révision de la loi fondamentale du Bénin, celle qui a assuré au Bénin sa paix tant enviée. Un seul regret, c’est l’absence de juriste financier de haut niveau au sein de cette commission. Cela aurait évité cette débauche d’énergie qu’appellera la retouche qu’implique cette omission.

En plus, il lui faudra  assurer l’inspection par la Cour des comptes des Cours ou Chambres régionales des comptes appelées à s’installer dans le cadre de la décentralisation de la juridiction financière.

Quand on sait que l’intérêt d’avoir une juridiction financière opérationnelle, n’est pas seulement une exigence des citoyens béninois mais aussi des bailleurs de fonds, il y a lieu de restaurer à cette institution la plénitude de son pouvoir pour qu’elle ne connaisse le sort de la Haute Cour de Justice (Hcj) dont le fonctionnement est bloqué à l’épreuve des dispositions juridiques qui en régissent le fonctionnement. L’efficacité des structures répressives est le gage de la lutte contre l’impunité qui est de plus en plus décriée par les citoyens béninois ici et ailleurs.

Solutions

C’est pourquoi il importe de détacher la Cour des comptes et les juridictions financières de l’emprise du pouvoir judiciaire. Selon les acteurs de cette juridiction, il faut créer un Conseil Supérieur de la Magistrature financière pour prendre en charge les attributions du Conseil Supérieur de la Magistrature en ce qui concerne les juridictions financières. Au demeurant, ces propositions qui s’inspirent des modèles sénégalais et français figurent déjà dans les projets de textes initiés par les précédentes commissions qui se sont penchées sur la question lors des deux quinquennats précédents. Car, le défi actuel de notre temps est celui de la transparence, de la bonne gouvernance et de la responsabilité dans la gestion publique. Le juge financier juge avant tout le bon emploi des fonds publics constitués des recettes prélevées et à prélever sur les citoyens d’ici et d’ailleurs. Dans ce cadre, il juge les comptes des comptables publics, sanctionne les gestions de faits et les fautes de gestions. En matière politique, elle reçoit et contrôle la déclaration de patrimoine du président de la République, des membres du gouvernement, des Présidents d’institutions (y compris celui du président de la Cour suprême appelée à diriger le Conseil Supérieur de la Magistrature). Sa compétence est donc transversale et s’exerce sur toute entité publique ou privée recevant des deniers publics. Au regard de l’importance de sa mission, la Cour des comptes doit être un acteur privilégié de l’instauration et de la préservation de la bonne gouvernance aux côtés des autres pouvoirs publics. C’est donc une institution juridictionnelle qui reste professionnelle de par la qualité de ses animateurs qui doivent être de formation financière ou de gestion et expérimentée. Pour cela, l’ancrage juridique notamment constitutionnel doit être la première garantie pour ne pas rater la réforme en cours. C’est pourquoi, l’avis de la commission sur cette future institution suscite des interrogations

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