L’indignation : droit et devoir

Le Béninois est-t-il heureux ? La question mérite d’être posée. Il s’oblige à porter quotidiennement un lourd fardeau. Il s’impose de subir en continu des désagréments sans nombre.

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Le Béninois, dans cette posture, a tout l’air d’un martyr. Il est matraqué sans pitié par sa propre société. On pense à un « punching-ball ». Il s’agit de ce ballon d’entrainement sur lequel s’acharne et se défoule à loisir le boxeur.

La « grogne », sur tous nos médias, fait état des misères quotidiennes du citoyen béninois. Aller d’un point à l’autre se révèle vite un parcours du combattant. Quand les trottoirs ne sont pas envahis par des occupants parasites, les voies elles-mêmes sont semées de nids de poule, sinon de véritables cratères lunaires. L’encombrement est général. Les ordures ? Bien sûr ! Mais également une flopée de mendiants en tous genres. La pollution sévit sous toutes ses formes. L’air est irrespirable. Le bruit est insupportable. La nourriture, exposée le long des rues, est inconsommable. Nous avons affaire à un cocktail détonnant de poisons foudroyants. Des vastes espaces, au cœur des cités, sont rendus inhabitables. L’inondation oblige. Des quartiers entiers sont infréquentables. Ils ploient sous les frappes répétées d’une insécurité permanente. Des zones résidentielles sont méconnaissables. Elles vibrent, de jour et de nuit, des nuisances de gros camions qui n’ont pourtant rien à y voir, rien à y faire. Quant au délestage, il vaut mieux ne pas en parler. Seul Dieu est grand.

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Ailleurs, c’en est assez pour que le « trop, c’est trop » de la révolte sonne comme un tocsin. Alors questions. Devons-nous parler d’une exception béninoise ? De quelle matière est-il donc fait le Béninois pour qu’il semble si différent des autres ? Pourquoi reste-t-il souvent bras croisés alors qu’il se trouve au creux de la vague ? Pourquoi montre-t-il tant de passivité, étale-t-il tant d’indifférence face à une montagne de questions sans réponses, au cœur d’une forêt dense d’équations à multiples inconnues ? Pour tout dire, pourquoi ne s’indigne-t-il pas quelque peu ?

L’indignation, c’est un plancher. C’est le niveau zéro de la révolte. C’est le niveau d’une sainte et légitime colère face à l’inacceptable et à l’intolérable. L’indignation, c’est le pas minimal. Et pourquoi le Béninois se refuse-t-il à le franchir ? Personne ne peut soutenir l’idée selon laquelle le Béninois n’a aucun intérêt à défendre, aucun droit à revendiquer, aucune ambition à affirmer. Alors, pourquoi tout semble aller, au Bénin, avec les Béninois, à rebrousse-poil des logiques ordinaires, des normes universelles ?

On peut invoquer la résignation. Le dictionnaire la définit comme « le fait d’accepter sans protester, la tendance à se soumettre, à subir sans réagir. » A Porto-Novo, la ville capitale, on l’exprime avec une touche d’humour savoureuse : « Eko man milê ». Pour dire, littéralement, que nous sommes blindés contre le mal, que nous nous sommes accommodés au mal, devenu le vaccin qui protège du mal, qui guérit le mal.

On peut pointer du doigt la fuite en avant. On pose son regard de biais pour ne pas avoir à aborder, de manière frontale, le problème posé. On sort du temps présent pour se projeter dans un futur improbable. On remet tout à demain. On accepte, par avance, la probabilité de trouver malheur en chemin. Face au mal qui prospère et prolifère, étendant partout ses tentacules, on s’emmitoufle dans une espérance aussi vague que possible. On peut alors aller, en fongbé, d’un sonore « Ena wa gnon ». A traduire par « ça ira ». C’est la méthode du Dr Coué en mode fon. Voilà comment la bêtise, innocemment affirmée, ouvre la voie à une irresponsabilité gravement étalée. Mais ne partez pas. La corrida de la bêtise se poursuit.

On peut noter le dédouanement irresponsable de soi. C’est ce qui permet à l’homme de décliner toute responsabilité dans tout ce qui lui arrive. Il n’a part à rien et dans rien. Dès lors qu’on admet que c’est Dieu qui fait tout. Dès lors qu’on s’oblige à tout ponctuer de « Dieu fera », une expression ainsi sacrée et consacrée. La messe est dite. Il ne reste plus qu’à attendre, tout en se grattant le nombril : la volonté de Dieu se fera coûte que coûte, « Dandan », « Tchoco-tchoko » ». Invitons-nous à présent, à la grande prière de l’irresponsabilité. Formulons des vœux ardents. Chantons avec ardeur : « Dieu fera », « Ca ira », « Mahu kêdê »,  » Nu bi do mahu si ». Amen !

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