Trou de mémoire ou mémoire trouée

« Un immense fleuve d’oubli nous entraîne dans un gouffre   sans nom ». Nous venons de citer Renan. Comme s’il nous jetait à la figure ce que nous feignons de ne pas savoir. Comme s’il nous contraignait à nous regarder, à nous voir tels qu’en nous-mêmes.

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Face à l’histoire qui n’a pas de gomme, nous voici interpellés après que nous eûmes gommé tous nos lieux de mémoire. Faute grave s’il en est, l’errance étant devenue notre compagne. Et nous surfons, sans but ni destination, sur les vagues de la mer de la vie, le souvenir aphone, la mémoire atone.

Nous nous sommes mis en devoir de repérer, à Cotonou, quelques lieux de mémoire. Que sont-ils devenus ? Constat aussi amer que dramatique. La plupart sont passés par profits et pertes. D’autres sont à jamais bradés. Tous sont enfouis dans les profondeurs abyssales de l’oubli.

Nous entendons monter le concert des critiques. Quel intérêt a-t-on à s’attacher, à l’ère du numérique, à des antiquités et à des vieilleries ?  Pourquoi, alors que la mondialisation frappe à nos portes, cherche-t-on à insuffler vie à des objets inanimés ? Que gagne-t-on à déranger, alors qu’ils sont morts de leur plus belle mort, ceux qui sont admis à faire valoir leur droit au repos éternel ?

Tout le monde connaît l’Unafrica à Cotonou. Beaucoup s’étonnent qu’un point aussi névralgique de la ville continue d’abriter les restes miteux d’un vieux bâtiment sans relief. Ils verraient bien, en lieu et place, une tour de verre flambant neuf. Ce fut, du reste, le rêve caressé par un groupe d’investisseurs. Ils accoururent le projet d’un casino ultra moderne en bandoulière. Mais les mânes de nos ancêtres ne dormaient pas. Le vieux bâtiment continue de résister aux épreuves du temps, de défier, avec succès, ceux qui cherchent à l’enterrer sous une chape de magot et de béton.

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Au cas où nous l’ignorerions, l’Unifrica est l’un de nos hauts lieux de mémoire. Epargnons-lui l’oubli dont nous   l’enveloppons. Libérons-le des affronts que nous lui infligeons. Ce bâtiment a retenti d’éminentes voix de l’élite béninoise, africaine. Celle qui supporta la marche de nos pays vers l’indépendance. Celle qui porta la charge de nos jeunes souverainetés. Pour mémoire, ce fut l’Unafrica qui abrita, du 25 au 28 juillet 1958, le congrès constitutif du PRA (Parti du regroupement africain) avec Léopold Sédar Senghor, Lamine Guèye, Emile Derlin Zinsou…et bien d’autres. L’indépendance immédiate fut revendiquée à cette occasion.

Un autre lieu de mémoire, c’est le PLM Alédjo. Ce fut le berceau de la conférence des forces vives de la nation. Le concept de « Renouveau démocratique » y était né. Un concept qui a essaimé et prospéré depuis dans toute l’Afrique. La Constitution du 11 décembre 1990, celle qui nous régit depuis plus d’un quart de siècle, y a trouvé l’esprit et l’intuition qui l’animent.

Que devient-il, aujourd’hui, le PLM Alédjo ? Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est abandonné aux fantômes. Il est enveloppé de ténèbres. Il vibre des voix d’outre-tombe. Il n’y a guère longtemps, le PLM Alédjo a été mis en vente. Des multinationales de l’immobilier et du tourisme se précipitèrent, les poches pleines d’offres en pièces sonnantes et trébuchantes. Mais, encore une fois, les mânes de nos ancêtres veillaient. Les prédateurs sont partis, mais le bâtiment se meurt, enveloppé du souffle vitreux de l’oubli.

Connaissez-vous la place Lénine ? Nous l’avons dépouillée de la statue de celui qui lui a donné son nom. Aurions-nous honte de notre passé de révolutionnaires ? Renierons-nous une époque de notre histoire, l’époque où le marxisme-léninisme était notre guide philosophique et le socialisme scientifique, notre voie de développement ? La place Lénine, sans la statue de Lénine, est amputée d’une partie de sa mémoire. Retrouver et restaurer l’objet perdu, cela revient à rendre à cette place un bien qui lui a été volé.

Enfin, qu’est-elle devenue, à Cotonou, la maison d’Hubert Maga, le premier Président du Bénin indépendant ? Dans un pays africain, la maison du premier Président a été rachetée par l’Etat et transformée en musée. Pourquoi les Béninois n’ont-ils pas pensé faire de même ? Parce que, ici, c’est le Bénin !

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