Elections américaines sur fond de tensions raciales et de frustrations économiques

A cinquante jours de l’élection du président qui va succéder au premier président noir de l’histoire américaine, et a la veille du premier débat entre les deux principaux candidats, l’issue du scrutin est plutôt incertaine.

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Les sondages électoraux donnent pratiquement les deux candidats à égalité, si on tient compte des marges d’erreurs (+/- 3%). La moyenne des sondages publiée par le site realclear politics qui agrège les sondages (http://www.realclearpolitics.com) donne 42.3% à Hillary Clinton et 40,1% à Donald Trump (le reste allant aux deux candidats mineurs). Cette différence de 2,2% est une des plus faibles enregistrées depuis la fin des conventions qui ont nomine les candidats démocrate et républicain.

Quels sont les enjeux de cette élection et leur impact sur l’Amérique, la communauté noire dont nous faisons partie, le monde et nos pays africains en général ?

Frustrations économiques et globalisation

La grosse dépression de 2008 a laissé des traces profondes dans l’économieet la société américaines. Le président Obama a œuvré inlassablement pour le redressement de l’économie des USA, et l’Amérique affiche un taux de chômage parmi les plus bas de l’histoire récente, nettement inférieure à celui qu’on observe dans les économies développées ou dominées (4,9% en Aout 2016 comparés a un taux de 9,9%+ en France, ou encore à un  pic de 10% après la grosse dépression de 2008 au mois d’Octobre 2009). Au cours des deux présidences OBAMA ,14 millions d’emplois ont été créés, alors qu’à son arrivée au pouvoir, l’économie américaine perdait 800.000 emplois par mois. La croissance économique est passée de -2,8% à l’arrivée du président Obama a  +2,4% en 2014 (2,1% projettes pour 2015). L’indice le plus représentatif de la bourse des valeurs américaine (Standard & Poor 500) a cru de près de 200% au cours des deux termes du  président OBAMA, passant de 865 en Janvier 2009 à 2164 aujourd’hui.

Malgré ces progrès remarquables, la population américaine, surtout sa composante blanche est frustrée au plan économique. La baisse du revenu moyen qui est passé de plus de $57.000 par an en 2007 a moins de $54.000 en 2016 est une illustration des raisons de la frustration de la classe moyenne. Pour les plus démunis, l’illustration peut se trouver dans le nombre d’assistes sociaux (bénéficiaires d’aides alimentaires) qui est passe de 34 millions en 2008 à 46 millions en 2016.

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La trame de fonds des frustrations économiques est la perte des emplois bien rémunérés du fait de la globalisation. Le transfert des emplois industriels vers les pays émergents(Mexique, Chine…) qui a commencé bien avant la présidence OBAMA est une réalité incontournable que ce dernier n’a pu changer, même si les emplois industriels (d’un nouveau genre) ont cru sous ses deux mandats. Pire, les emplois de service de la classe moyenne sont aussi sujets àdélocalisation vers les pays émergents comme l’Inde (sous-traitant majeur de l’industrie informatique), ou en émergence comme les Philippines etc…

Cette perte d’emplois qualifiés ou semi qualifies, affectant la classe moyenne, la baisse de revenus et l’insécurité financière y afférant, alors que les profits des capitalistes  des banques, des  transnationales, et leur dirigeants ne cessent d’enfler est la source principale de la frustration de millions d’américains.

Donald Trump exploite cette frustration en faisant des immigrés et de leur pays (Mexique, Chine etc…) les boucsémissaires, et en  promettant de renverser la tendance à la globalisation économique dont lui et ses soutiens sont les premiers promoteurs et bénéficiaires.

Hillary Clinton, de son coté, propose des politiques publiques permettant de corriger les effets de la globalisation, atténuer les disparités de revenus,  et doter les américains des atouts leur permettant de tirer leur épingle du jeu de la globalisation, et préserver leur mode de vie.

Au-delà des frustrations économiques, l’enjeu de cette élection est aussi le traitement des minorités(immigrés et autochtones),  et des tensions raciales. La présidence OBAMA que certains racistes n’ont jamais pu digérer, les avances technologiques (vidéo disponibles a tout porteur de smartphone) ont mis les feux des projecteurs sur les discriminations raciales jusqu’alors mises sous le boisseau des discours  lénifiants sur le meeting pot américain.

Tensions raciales et discours anti-immigres

Ce n’est pas un hasard si Donald Trump a bâti sa notoriété politique sur le mensonge selon lequel Obama ne serait pas né en Amérique et de ce fait serait un présidentillégitime, excitant les militants du Tea Party et autres factions racistes de la sociétéaméricaine.

Plus tard, il lancera sa campagne électorale pour la présidence, par une attaque en règle contre les immigrés traités de violeurs, criminels et trafiquants de drogue, offrant une plateforme publique aux préjugés racistes les plus abjects.

Ce faisant, il caressait dans le sens du poil une frange –certes minoritaire, mais importante- de la sociétéaméricaine,effrayée par la perte inéluctable du contrôle exclusif de la population blanche sur l’Amérique.  

Cette apologie des sentiments racistes resurgit a un moment ou le racisme institutionnel est manifeste à travers les crimes répètés de policiers contre des noirs. On assiste, non pas à un accroissement des crimes racistes –notamment de policiers et autres vigiles auto-proclamés-, mais à  leur mise en lumière par le biais des révélations de vidéostournées par des citoyens témoins.

Ces vidéos offrent  des versions différentes de celles complaisamment distillées par des policiers parfois « ripoux », qui combinaient mensonges, fabrication de « preuves » et autres pratiques illégales.  Apres le crime contre Trevon Martin en Floride, le mouvement « Black LivesMatter » (la vie des noirs compte) a été créée pour dénoncer les crimes –notamment impunis- contre les noirs par les vigiles et les policiers et lutter pour la dignité et le respect des droits de l’homme pour tous –notamment noirs américains.  A son initiative des mouvements de protestations sont maintenant fréquemmentorganisés pour dénoncer les crimes racistes, notammentles assassinats de noirs par la police dans divers états(la Caroline du Nord avec Charlotte, et l’Oklahoma avec Tulsa étant les exemples les  plus récent ).

Dans ces conditions de tensions raciales renouvelées, un des enjeux de la prochaine élection est de savoir quelle direction va prendre l’Amérique en matière de traitement égal des citoyens par la police et la justice.

Donald Trump préconise une politique de harassement des noirs présentés comme un danger ( « threat ») pour la société , à travers la politique de « stop and frisk », ce, après avoir fait semblant de faire des appels du pied a la communauté noire en se présentant dans une église noire de Detroit.

Le « stop and frisk » ou « arrêter et fouiller au corps » était une politique instituée par Guiliani, alors maire de New York, consistant àsystématiquementarrêter  et conduire une fouille corporelle de tout individu répute « suspect ». Cette politique qui s’est traduite dans les faits par le harcèlement des noirs et  »latinos » pour « délit de facies » a été jugée inconstitutionnelle.

Hillary Clinton, dont le mari Bill –tout blanc qu’il est – fut appelé le premier président noir des USA- préconise une réforme des institutions et montre une certaine empathie pour les victimes des discriminations raciales dans le système judiciaire.

Une des tendances révélées par les récentesélectionsprésidentielles est le poids grandissant des minorités – noirs américains, « latinos » d’Amériquelatine, et dans une moindre mesure asiatiques- dans les calculs électoraux et la balance électorale. Des étatscomme la Floride, le Colorado, le Nevada avec de fortes populations issues de l’immigration d’Amérique latine penchent désormais vers les démocrates du fait du méprisdesrépublicains pour les immigrés et leur discours ouvertement ou subtilement anti-immigres, voire raciste.

Dans des états du Sud comme la Caroline du Nord ou la Virginie, ou les républicains contrôlaient la vie politique ces cinquante dernières années,  la combinaison de forte minorités de noirs américains et d’immigrés –asiatiques, « latinos »- change également la donne électorale.

La coalition jeunes-noirs-immigres-progressistes qui a porté OBAMA au pouvoir en 2008 et 2012, pourrait-elle faire échec à Donald Trump ? Il est trop tôt pour le dire ! Le vainqueur des électionspourrait-ilrésoudre les problèmesliés aux frustrations économiques et aux tensions raciales ? Difficile à dire, tant les racines de ces problèmes sont profondes et leur contours complexes.

Et l’Afrique dans tout cela ?

Présidence américaine et politique africaine

L’Afrique n’est pas au cœur des préoccupations des américains moyens et de ce fait n’est pas un thème majeur des débats présidentiels.  Il ne s’ensuit pas que l’Afrique n’a pas d’intérêt géostratégique pour les USA, ni que les choix des candidats sont sans importance pour nous.

L’Afrique est au cœur des préoccupations des dirigeants américains pour plusieurs raisons :

  • La lutte contre le terrorisme qui est un phénomène global, avec une présence des organisations terroristes comme Daesh au Mali et au Nigéria avec Boko Haram. Les efforts de l’administration américaine pour établir de têtes de pont en Afrique vont certes se poursuivre quel que soit le candidat élu.
  • L’approvisionnement en matières premières et énergie. Les transnationales américaines, majors du pétrole,  sont présentes sur le continent, fortement représentés en Guinée Equatoriale, en Angola, au Nigeria, en Egypte, Algérie etc…Dans les domaines minier et agro-alimentaire également, l’Amérique étend ses tentacules en Afrique. Le système financier américain s’implante également sur le continent avec Citai, JP Morgan et autre banques d’affaires.

Le racisme professe par Donald Trump et ses partisans s’accommode parfaitement de l’expansion des intérêts américains sur notre continent. Par contre, une conséquence quasi certaine d’une présidence Trump serait l’interruption des programmes d’immigration sélective par les visas de diversité (Diversity Visa) par loterie privilégiant les pays dont les ressortissants sont sous représentes aux USA. Les programmes comme AGOA, ou l’accueil et formation des jeunes leaders africains souffriront probablement sous Trump, si comme il le professe, il se tourne vers une politique protectionniste et quasi-isolationniste. Mais des discours à la réalité, il y a souvent une fosse.

La présidence Hillary promet d’être une continuation de la présidence OBAMA avec un accent sur les infrastructures et la correction des inégalités de revenus et de traitement des minorités.  Il devrait y avoir peu de changements dans la politique américaine à l’ endroit de l’Afrique de ce point de vue.

A l’échelle mondiale, Trump rêve d’ un retour a une hégémonie sans partage de l’Amérique sur le monde, alors que Clinton, au fait des changements  intervenus dans le monde, veut aider son pays à maintenir sa position dominante mais non hégémonique

Au total, on peut dire que les USA sont à un carrefour, ou ils peuvent choisir de tenter d’inverser à leur profit le cours de la globalisation, dans l’espoir de reconquérir une position ultra-dominante et préserver un mode de vie et des  niveaux de revenus largement supérieurs à ceux des autres populations, tout en générant des superprofits pour leur capitalistes, ou alors de reformer la société et l’économie des USA pour une meilleure répartition des richesses -encore phénoménales – produites dans leur pays, et une meilleure adaptation de leur population a un monde en changement, ou les rapports de force sont en constante évolution.

Se tourner vers l’avenir avec confiance en utilisant ses atouts, ou tenter de restaurer un passé glorieux -construit sur de profondes inégalités- que les changements mondiaux ont ébranlé ?

Jean Folly
Atlanta, GA

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