Le visage caché du Vih/Sida au Bénin

L’épidémie du Vih/Sida au Bénin, même si elle est visiblement stable vu le taux de prévalence resté à 1,2% depuis une décennie, connait des mouvements au niveau de chaque groupe cible de la population mais aussi des différentes axes de la riposte nationale qui reste confrontée à des défis majeurs.

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1,2%. C’est l’indice qui caractérise depuis une décennie, la physionomie de la lutte contre le Vih/Sida au Bénin, indiquant une stabilisation de l’épidémie dans la population générale. Et ce, avec une estimation à 75.268 dont 43.813 femmes et 4.589 enfants de moins de 15 ans, le nombre de personnes vivant avec le Vih/Sida (Pvvih) au Bénin en cette année 2016, selon l’Onusida.

L’invariabilité de cet indice depuis lors inquiète et suscite interrogations. Certains bénéficiaires commencent même par douter de la véracité de ce taux et estiment qu’il est question d’un indicateur flatteur pour attirer ou maintenir les partenaires dont dépend à près de 90% la réponse nationale contre cette maladie au Bénin. Pourtant, c’est la situation réelle et véridique, selon le Coordonnateur du Programme national de lutte contre le Sida (Pnls) au Bénin, Dr Ali Imorou Bah Chabi. «Ce taux ne ment pas ; les outils d’évaluation sont robustes.» défend-il et explique : «Le Bénin est le 3ème pays en matière de performance dans la couverture en Arv en Afrique de l’Ouest et du Centre. Puis, généralement, dans un pays où il y a des patients qui sont sous Arv et qui les prennent correctement, ces patients ne transmettent plus le Vih/Sida. Il y a comme au Bénin, progressivement une rupture de la chaine de transmission.»

Mais ceci ne veut pas dire qu’il n’y a plus de nouvelles infections, à l’en croire. «C’est vrai qu’il y a de nouvelles infections mais ces infections ont été divisées par deux depuis 10 ans.» De 2006 à 2015, il y a eu en effet une réduction de 32% des nouvelles infections, et de 46% du nombre de décès dû au Vih. D’après les explications du Coordonnateur Pnls, il y a donc un phénomène d’équilibre qui se créé entre ceux qui décèdent de la maladie et ceux qui s’infectent à nouveaux si bien que la prévalence est logiquement stable.

Seulement, ce taux de prévalence dans la population générale cache des disparités selon la zone, le genre et les cibles de population clés de l’épidémie. Par exemple, la prévalence dans les zones urbaines est de 1,6% tandis qu’elle est de 0,9% en milieu rural. Aussi, dans les départements du de la Donga et dans l’Ouémé, elle est de 1,4% ; 1,9% dans le littoral et supérieure à 2% dans le Mono et le Couffo. Au niveau de certaines populations clés on a en 2015, 15,7% de prévalence chez les travailleurs de sexe et 1,3% chez leurs clients, 7,7% chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, 4,7% chez les utilisateurs de drogues par voie injectable et 1,4% chez les prisonniers. Soulignons que ce sont des taux en baisse par rapport aux évaluations antérieures, dénotant d’un certain progrès dans la lutte au Bénin. Lequel progrès s’observe aussi par rapport aux objectifs 90-90-90. Il s’agit respectivement de dépister 90% des Béninois qui sont séropositifs, mettre 90% de ceux qui sont dépistés sous Arv et faire en sorte que 90% des Pvvih sous Arv aient une charge virale négative. A propos, le Bénin en 2015 a atteint respectivement 50,6%, 52% et 6%. Pour la transmission de mère à l’enfant le taux est passé de 12,14% en 2012 à 7,62% en 2015. Ici, près de 91% des femmes enceintes ont été dépistées dont 4.597 positives. 72% de ces dernières sont sous Arv contre 47,5% en 2012. Egalement 51% des enfants nés de ces femmes ont bénéficié du diagnostic précoce du Vih avant 2 mois.

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Fruits d’une longue lutte

Ce visage actuel du Vih au Bénin est à mettre à l’actif de la riposte nationale axée entre autres, sur la prévention de la transmission et la prise en charge des malades. Se rappelant encore des débuts, les acteurs de la société civile et les bénéficiaires avouent que ce fut pénible. «Le début a été très difficile, parce qu’à l’époque, il n’y avait pas les antis rétro viraux pour mettre les patients sous traitement donc il y a eu beaucoup de cas de décès » se souvient Marius Akotchou, Président du Réseau béninois des personnes vivant avec le Vih/Sida (Rebap+) qui avoue qu’il y a eu des améliorations grâce surtout aux partenaires techniques et financiers notamment le Fonds mondial, aujourd’hui premier et principal bailleur de la réponse nationale conte le sida au Bénin. La lutte à ses dires, a payé vu les acquis. En termes d’acquis, il évoque la forte réduction de la stigmatisation, de la discrimination et de la misère des Pvvih au Bénin. «Les choses ont évolué de telle enseigne que les séropositives sont aujourd’hui plus acceptées que par le passé. A l’époque, elles-mêmes s’auto-flagellaient. Mieux, les Pvvih sont quand-même à des postes de responsabilité où elles contribuent énormément au développement de leur société ou de leur secteur donné» reconnait-il. Toujours en termes d’acquis, Arsène C. Adiffon, Directeur Exécutif de l’Ong Racines et Coordonnateur national de l’Alliance nationale pour la santé (Ans), relève: « la gratuité des soins notamment par rapport aux Arv, de moins en moins de rupture d’Arv et de réactifs pour divers examens (Cd4, charge virale, Pcr), possibilité de faire le génotypage (détecter les résistances du virus au traitement), beaucoup de centres de santé accrédités Ptmee».

Encore du chemin face à un plateau technique défaillant

En dépit de ces performances, beaucoup de défis restent à relever. C’est déjà, la prise en charge médicale encore marquée par endroit, par des pannes d’appareil CD4 qui durent plusieurs mois, l’impossibilité de réaliser des analyses biochimiques pour évaluer l’efficacité des traitements, l’indisponibilité du personnel psycho-social, le retard dans le payement des médiateurs, l’indisponibilité voir l’inexistence de médecins, le défaut de l’énergie électrique, la rupture de Bactrim, etc, selon les données de l’Observatoire de veille sur l’accès aux services de santé en matière de sida (Ovas). «Ce sont des problèmes cruciaux ; nous avons le plateau technique qui est défaillant et il faudra faire un état des lieux pour savoir où est-ce qu’il faudrait mettre tel ou tel appareil pour que cela puisse fonctionner et servir le plus grand nombre. » relève Marius Achotchou. Car, raconte-t-il, «Lorsqu’on fait un prélèvement sur le site de Dogbo par exemple, on est obligé de demander aux médiateurs de se rendre à Lokossa pour aller les traiter. Et c’est avec des motos qu’ils y vont. C’est le cas même sur certains sites à Cotonou. Ils sont obligés de se référer sur d’autres sites.»

Le Coordonnateur Pnls pour sa part, reconnait que déjà, la situation de l’épidémie dans certains pays limitrophes du Bénin constitue une menace pour la réponse nationale au Bénin et il faut en tenir compte pour protéger la population béninoise. C’est pourquoi, à ses dires, il y a le renforcement depuis 6 mois, du programme sur les routiers. Pour le coordonnateur de l’Ans, parlant de défis, il s’agit de «la possibilité de passer les patients en 3ème ligne si besoin est, la disponibilité d’Arv pédiatrique, le renforcement des actions de prévention, l’effectivité de la prise en charge globale du Vih, la prise en compte effective des populations clés dans les politiques». Outre cela, le président du Rebap+ préconise l’urgence de relancer les activités de sensibilisation pour un changement de comportement, les sensibilisations vers les cibles les plus vulnérables mais aussi les actions de veille citoyenne au niveau des associations de Pvvih. Car, déplore-t-il, «les bénéficiaires ont baissé la garde ; ils n’ont plus le pro-activisme ; chacun est dans son coin ; on ferme les yeux et les oreilles. Quand c’est comme ça, il y a beaucoup de dérapages qui se passent en sourdine mais qui vont nous rattraper tôt ou tard si on ne se réveille».

En termes de chiffres, les défis pour 2020 sont de manière globale, augmenter le dépistage de 4.000 à 69.700, faire passer de 34.525 à 62.700 Pvvih pour la prise en charge en Arv et atteindre 52.400 Pvvih pour la charge virale négative contre 4.000 en 2015. Pour le dernier point qui parait impossible, le Coordonnateur du Pnls affirme qu’il s’agit du plus facile à atteindre. «On a les malades sous Arv, nous les voyons tous les mois, et nous avons les équipements, donc c’est une question d’organisation pour que le malade ait accès à l’équipement et pour qu’on lui fasse sa charge virale.» explique-t-il. Mais à ses dires, il se pose un problème d’ordre technique. «Quand on prélève un malade, le sang ne peut pas faire plus de 6 heures avant qu’on ne fasse cet examen. Quand un malade est à Malanville alors que le premier appareil est à Parakou, ce n’est pas facile» rapporte-t-il mais rassure : «Nous travaillons avec ceux qui nous ont vendu les appareils pour les paramétrer de sorte qu’au lieu d’amener du sang total, on amène du sang séché. Egalement, le Coordonnateur souligne l’implication du secteur privé comme l’autre défi majeur dans la lutte contre le Vih/Sida au Bénin. Aujourd’hui, les statistiques sont basées sur un dénominateur 70 parce que les 30% vont dans les privés qui, ne veulent pas faire la prise en charge Vih parce qu’elle est gratuite. Mais aux dires du Coordonnateur du Pnls, le processus est en cours pour contourner cette difficulté ensemble avec les responsables des cliniques privées de sorte que tout le monde puisse avoir accès aux soins Vih. C’est le chantier de l’année 2016, à en croire le Coordonnateur visiblement très confiant surtout avec le leadership qu’il dit avoir senti chez le Président de la république. «C’est sûr que le leadership a de beaux jours devant lui. S’il a décidé lui-même de s’informer sur le Vih, de connaitre nos problèmes et de nous aider, c’est sûr qu’il souhaite vraiment donner un coup de fouet à la lutte. Et avec tout l’intérêt que la première dame accorde à la cette lutte, je pense  qu’on a de beaux jours devant nous et on va tout droit vers l’atteinte des trois 90» se convainc-t-il

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