L’Ecole : la mortelle déchirure

L’institution scolaire souffre d’une grave déchirure. Un mal pernicieux qui l’empêche d’atteindre ses objectifs. Objectifs en termes de promotion humaine, de développement du potentiel humain. L’école est, en effet, victime d’une triple séparation : séparation entre le cerveau et la main ; séparation entre l’apprenant et l’apprenti ; séparation entre l’enseignant et le chercheur.

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Le cerveau est aux bons soins de l’école formelle. C’est à elle que revient la mission de former des « Akowé », c’est-à-dire les cadres, les cols-blancs, les plumitifs et autres gratte-papier de nos administrations. L’école formelle serait ainsi la structure productrice de la matière noble dont a besoin le pays. On parle   d’élite, de lettré, d’intelligentsia, voire d’intellectuel.

Les mains relèvent de la responsabilité de l’école non-formelle qui pousse à l’état sauvage sur les marges de l’autre. C’est l’école des petits métiers, de la mécanique auto à la plomberie, de la coiffure à la couture. L’école non-formelle est ainsi le réceptacle, pour ne pas dire le dépotoir, de tous ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour un cursus concluant à l’école formelle. Recalés, ratés, tarés, exclus, unissons-nous !   

A l’école formelle, on dit avoir affaire à des apprenants. L’apprenant est perçu comme celui qui exerce son cerveau à maîtriser les idées et les concepts. Il peut formuler des pensées. Il peut se rendre capable d’abstraction et de généralisation. Il utilise son cerveau pour parler le français de France. On estime que celui qui bénéficie ainsi du privilège de naviguer dans les hautes sphères du savoir et de la connaissance n’a pas besoin de ses mains. Mieux, n’a pas besoin d’avoir des mains. Qui prend l’ascenseur du cerveau a-t-il encore besoin de ses mains ? Qu’il lui suffise de se laisser propulser par l’esprit, de voler sur les ailes du cerveau.

A l’école formelle, frappée dès le départ d’un lourd préjugé,   on s’occupe et on se préoccupe des mains, à l’exclusion du cerveau. Comme si on avait affaire à une masse d’écervelés ou de décérébrés. Ici, on parle d’apprenti plutôt que d’apprenant. L’apprenti, juge-t-on, n’est que l’appendice de l’essentiel. C’est l’accessoire dans l’ordre du savoir et de la connaissance. La performance, au bout de l’apprentissage, c’est savoir se salir les mains de cambouis, se laisser couvrir de ciment, barboter dans la boue. On identifie ainsi celui-là que l’on tient pour un apprenti à un ensemble d’activités ordinaires, de tâches roturières. Des tâches pour lesquelles le cerveau n’a nul besoin d’être sollicité.

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Distinguo entre l’apprenant et l’apprenti. Distinguo également entre l’enseignant et le chercheur. Selon une vision étriquée et rabougrie des choses, on conçoit et on perçoit l’enseignant comme celui-là qui est chargé, entre les quatre murs d’une salle de classe ou d’un amphi, de farcir les têtes de ses apprenants de savoir et de connaissances. Il n’a guère besoin de chercher loin, de chercher trop longtemps : le travail lui est déjà mâché, en amont, par le chercheur. Il enseigne ce que d’autres cherchent et trouvent. Ainsi évoluons-nous dans un système absurde. L’enseignant va se chercher dans le chercheur qu’il se refuse d’être. Le chercheur oublie que c’est en enseignant qu’il se donne de réelles chances de trouver ce qu’il cherche.

Affirmons-le comme une vérité. L’enseignant et le chercheur sont réunis, sont fondu en une unité pédagogique organique. C’est une faute que de vouloir faire de l’un l’élément ravitailleur de l’autre. C’est également une faute que de réduire l’un à être le perroquet de l’autre. L’enseignant cherche et doit chercher autant que le chercheur enseigne et doit enseigner.    

Au total, un cerveau qui tourne à vide n’embrayera jamais sur le sol concret des réalités. Jamais, il ne déclenchera l’action salvatrice qui fait advenir les choses. Une main non assistée par un cerveau n’est pas maîtrisée, n’est pas contrôlée. Elle divague. Un apprenant et un apprenti sont impliqués dans un même processus d’apprentissage. Même si l’un et l’autre évoluent sur des terrains d’accueil différents. Un enseignant qui refuse de chercher n’enseignera finalement que son ignorance. Un chercheur qui ne communique pas par l’enseignement la matière de ses recherches trouvera difficilement ce qu’il cherche.

La boucle est ainsi bouclée. Il nous faut réduire, pour la faire disparaître, la déchirure qui affecte notre système éducatif. Il nous faut retrouver l’unité organique de l’Ecole dans toutes ses composantes. L’avenir de l’institution en dépend

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