DEPIGMENTATION, « AUTO RACISME » ET PERTE DE REPERES IDENTITAIRES.

Les questions de couleurs de la peau sont encore d’actualité. Communément appelée «Bodjou » au Bénin, « Dorot » au Niger, « Maquillage » au Congo, « Décapage » au Cameroun, « Xessal » au Sénégal, etc., la dépigmentation est plus qu’un problème esthétique. 

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Paradoxalement, en plein XXI siècle, l’ampleur du phénomène de la dépigmentation ne montre pas signe de stabilité.

Par exemple une petite enquête réalisée chez les étudiants africains dans trois Universités révèle que 29% d’eux dont 61% de sexe féminin s’adonnent toujours à ses pratiques. 82 % d’eux le font volontairement. 4% des 71% qui ne la pratiquent pas encore aspirent se dépigmenter tôt ou tard. Ce phénomène est complexe à analyser car :

-Primo les raisons avancées sont diverses et complexes et

-Secundo il est imbriqué dans de multiples problématiques.                 

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En effet, de nombreux facteurs peuvent justifier ce phénomène. D’abord, la littérature scientifique nous apprend que les individus qui emploient des crèmes éclaircissantes le font pour des raisons esthétiques et non pas en raison d’un désir de blancheur (M’Bemba-Ndoumba, 2004). Les concepts de complexe d’infériorité et du colonisé peuvent expliquer ce phénomène (Fanon, 1952). En effet, les Noirs auraient normalisé les préjugés de race et de couleur promus par les Blancs au fil du temps car le Noir reste toujours emprisonné dans des catégorisations raciales et ne peut espérer en sortir qu’en transformant son apparence corporelle.

Pourquoi et pour quelles raisons sommes-noirs ? Serait-ce du hasard ?

Le « pourquoi » est pratiquement connu de tous, la Mélanine. Mais le « pour quelles raisons » est relatif et la réponse pourrait paraître mystique. Une erreur serait de penser que la fonction de la mélanine serait de donner une coloration esthétique à la peau. Néanmoins la couleur de la peau due à la mélanine nous identifie culturellement et donc se dépigmenter serait de gommer consciemment ou inconsciemment ses origines culturelles.

En effet, les mélanocytes sont des cellules responsable de la pigmentation de la peau par la sécrétion de mélanine (polymère dérivé d’un acide aminé, tyrosine) et sont localisées dans l’épiderme ou le derme. Les mélanocytes sont situés soit entre les kératinocytes (cellules constituant la plus grande partie de l’épiderme), soit dans les follicules pileux (petites structures en forme de sac entourant la base des poils).

Ils sécrètent la mélanine, le pigment de la peau, sous forme de petits grains appelés mélanosomes. Ceux-ci sont ensuite transférés dans les kératinocytes voisins ; on appelle unité épidermique de mélanisation l’ensemble constitué par un mélanocyte et par les dizaines de kératinocytes qui en dépendent. La quantité de mélanine secrétée dépend da la latitude et donc la couleur de la peau diffère selon la latitude, c’est à dire selon l’intensité des rayons ultraviolets : les individus qui vivent en basses latitudes (reçoivent plus de rayons ultraviolets) ont pigmentation foncée, pendant que ceux qui vivent en hautes latitudes (reçoivent moins de rayons ultraviolets) ont une pigmentation claire.

Donc, la fonction la plus importante de la mélanine n’est pas d’apporter une coloration esthétique ou caractéristique à l’épiderme, mais protéger les profondes couches de la peau des effets nocifs des radiations ultraviolettes (UV) du soleil. L’effet protecteur de la mélanine consiste à absorber les radiations (UV) et les dissiper en forme de chaleur.

Quelles sont les vraies origines de la dépigmentation ?

Dans la société coloniale, la hiérarchisation de la société se basait sur le lignage survalorisé du Blanc et dévalorisé du Noir (Labelle, 1987). La colonisation favorisa la hiérarchisation de la société selon la suprématie des Blancs sur les Noirs. L’esclavage émerge comme l’élément précurseur d’inégalités de race entre les Blancs et les Noirs, basées sur les caractéristiques physiques.

La période coloniale associe les Noirs à la servitude et à l’esclavage. Par exemple dans les Antilles, les esclaves au teint clair jouissent d’un statut socio-économique supérieur à celui des esclaves noirs. Les périodes coloniale et esclavagiste alimentent ainsi les préjugés de race qui resteront ancrés dans les mémoires. Le système juridique mis en place dans les Antilles alimente aussi les inégalités basées sur la race (Bonniol, 1992). Ainsi, les discriminations raciales envers les Noirs avantagent les individus à la peau claire qui les précèdent dans la hiérarchie sociale. Les unions matrimoniales de même race seront alors privilégiées afin de maintenir l’hégémonie des Blancs. La gestion des rapports sociaux alimentera ainsi les préjugés de race (Bonniol, 2007).

Le blanchiment de l’apparence résulterait du désir des Noirs d’avoir des caractéristiques physiques s’apparentant aux Blancs (Hunter, 2005).

 D’où provient alors cette norme esthétique qui vise à se rapprocher des traits corporels blancs ? La construction sociale des critères de beauté s’inscrit dans une perspective historique.

Dans son ouvrage « Peau noire, masques blancs », Frantz Fanon (1952) discute des causes historiques qui expliquent les préjugés de race ayant découlé du rapport Noir-Blanc. Il mentionne que le Noir ne se verra pas comme un Noir jusqu’au moment où le Blanc le lui fera remarquer. Le Noir doit ainsi s’interroger sur son humanité parce que les Blancs vont la contester. La supériorité blanche entraîne l’infériorité noire.

Toujours selon lui, le Noir dénigré se blanchira pour obliger le Blanc à reconnaître son identité, son humanité. Des discriminations envers les Noirs découleront alors des relations entre les Noirs et les Blancs. La société coloniale donne lieu au développement du complexe du colonisé chez les Noirs, c’est-à-dire un sentiment d’infériorité basé sur le lignage survalorisé du Blanc et dévalorisé du Noir. Les Blancs alimenteront cette infériorité pour préserver leur supériorité.

La couleur de la peau étant le signe le plus visible qui détermine la race, elle apparaît comme le critère principal distinguant les individus et duquel ils se basent pour se juger entre eux (Burns, 1949).

En raison de son apparence, le Noir se dévalorisera lui-même sur la dimension esthétique, celui-ci ne possédant plus de repères identitaires. Les préjugés de race et La dévalorisation physique du Noir deviennent alors des marqueurs identitaires que les Noirs intériorisent eux-mêmes, entraînant des sentiments d’infériorité et des pertes de repères identitaires. Au fil du temps, ces sentiments d’infériorité se normalisèrent chez les Noirs. C’est pourquoi le sentiment d’infériorité développé par les Noirs encouragea un désir de blanchiment de l’apparence, en raison d’un besoin d’acceptation et de valorisation sociale. Ainsi, l’ascension sociale basée sur les traits physiques du Blanc servira à la définition des normes de beauté. Fanon parle d’inconscient collectif. « Mais l’inconscient collectif, sans qu’il soit besoin de recourir aux gènes, est tout simplement l’ensemble de préjugés, de mythes, d’attitudes collectives d’un groupe déterminé ».

Selon Le Breton, le corps devient un « enjeu social », où l’individu est susceptible d’adapter son corps selon les contextes. Les individus projettent alors une image spécifique selon les enjeux auxquels ils font face. Ces mêmes raisons sont celles avances par les participants à l’enquête.

Le corps sert d’outil pouvant être modelé selon les situations, il est alors l’objet d’un jeu social. Dans le but d’être accepté socialement, l’individu n’a d’autre choix que de se conformer aux normes de la société, par exemple lors d’un casting pour participer à une danse musicale ou Film ou lors d’une entrevue pour un emploi. En effet, l’association entre clarté de la peau et compétence sur le marché du travail est toujours véhiculée dans nos communautés. Cette perception serait un facteur d’influence dans le cadre du blanchiment de l’apparence, auquel il faut ajouter les influences populaires et du milieu de la mode. L’accessibilité aux moyens de communication facilite la diffusion des critères de beauté nord-américains. À travers les médias et la publicité, les influences populaires et de la mode influent sur le désir des individus de se conformer aux normes de beauté en vigueur.

En effet, l’industrie cosmétique exerce une forte pression sur les consommateurs. Le Breton mentionne à ce propos la facilité d’accès aux transformations corporelles. La science biomédicale a facilité l’utilisation des techniques du blanchiment de l’apparence, notamment avec la découverte dans les années soixante d’agents blanchissants commercialisés dans plusieurs produits (crèmes, laits, savons, etc.). Par contre, avant l’avènement de la science biomédicale, plusieurs techniques étaient utilisées pour blanchir l’apparence (utiliser du citron pour blanchir la peau ou se couvrir du soleil). Il s’agit ici d’affirmer que la science biomédicale a mis à la disposition des consommateurs des produits et des pratiques auparavant peu accessibles et parfois même inexistants.

Ainsi les pratiques du blanchiment de l’apparence s’imposeront comme une solution à des besoins d’estime de soi, de valorisation identitaire et d’acceptation sociale.

Le sentiment d’infériorité et le complexe du colonisé vécus par les Noirs depuis la période esclavagiste et coloniale sont toujours d’actualité à travers les critères de beauté. Les séquelles de la période esclavagiste sont toujours présentes dans la communauté noire à travers les définitions et les représentations sociales de la beauté. Le phénotype caucasien est toujours synonyme de supériorité, motivant ainsi les pratiques du blanchiment de l’apparence et entraînant de nombreux enjeux identitaires tel que le besoin d’acceptation sociale.

Le blanchiment de l’apparence prend forme à l’échelle mondiale et n’est pas que le fait des Noirs. Différents pays font face à de nombreux problèmes de santé publique reliés à ces pratiques. C’est pourquoi ce phénomène mérite d’être approfondi, et ce, sous de multiples angles. Par exemple, la dimension sanitaire, peu abordée ici, pourrait être traitée de façon à mieux documenter les effets néfastes des produits blanchissants et ainsi aider les campagnes de prévention. Ainsi, plusieurs projets de recherche peuvent émerger de l’usage des pratiques du blanchiment de l’apparence, afin d’assurer une meilleure compréhension du phénomène.

 

Dassouki TEGNAMI (Bénin) Etudiant en Médecine (Ecole Latino-américaine de Médecine)

Ismaël OUMAROU (Niger) Etudiant en Médecine (Ecole Latino-américaine de Médecine)

Aboubacar IRO (Niger) Etudiant en Médecine (Ecole Latino-américaine de Médecine)

Djalilou Abdoulaye TEGNAMI (Bénin) Etudiant en Médecine (Université de Saint Petersburg)

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