Faut-il invoquer l’article 19 de la constitution pour désobéir à Talon et Toboula ?

Le ministre de la justice, Joseph Fifamin Djogbénou, jetant par-dessus bord ses prétentions de démocrate, a révélé le vrai visage du gouvernement de la rupture au travers de propos rapportés par la presse, édictant –sans recours à loi – une interdiction générale d’usage des espaces publics pour des manifestations à caractère religieux.

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Pour l’instant, le ministre agrégé de droit privé, ne se prononce pas sur l’utilisation des espaces publics à des fins politiques, comme les marches, les sit-in, ou des fins socio-culturels comme les regroupements autour de tams-tams, à moins que cela aussi ne soit assimilé à des manifestations religieuses. Il est clair que c’est la prochaine étape dans l’attaque systématique contre les libertés publiques, en particulier, le droit de manifester.

On eut aimé que le ministre de la justice, avant de faire des déclarations urbi et orbi, prenne des textes règlementaires ou qu’un relevé de conseil des ministres stipule clairement les nouvelles dispositions afin que celles-ci puissent être attaquées devant les juridictions administratives et la cour constitutionnelle.

En l’absence de telles dispositions et recours, les citoyens n’ont d’autre recours que la désobéissance civile, face à la furie des engins et gendarmes déployés par le gouvernement, sans injonction de justice, sans arrêté préfectoral publié ( à notre connaissance), ou autre acte administratif légal.

Le devoir de désobéissance gravé dans du marbre

La constitution dans son article 19 stipule « Tout individu, tout agent de l’Etat qui se rendrait coupable d’acte de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi.

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Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques »

Il appartient au juge constitutionnel de décider en dernier ressort, de ce qui constitue un traitement inhumain, cruel, ou dégradant chez nous au Bénin, mais l’opinion des nombreuses victimes de la furie de Toboula et du gouvernement Talon saurait faire l’ombre d’un doute.

On ne saurait de façon légitime limiter la portée de l’article 19 aux actes de torture et sévices corporels (spécifiquement mentionnés), la conjonction « ou » utilisée par le constituant ouvrant de façon explicite le champ des traitements couverts par cet article clé de notre constitution.

Si on examine la jurisprudence internationale, aux USA , en matière de divorce, « traitement cruels et inhumains » incluent les attaques physiques, les insultes, les cris, quand tout ceci affecte l’équilibre matériel et moral du partenaire…

Dans son rapport sur les droits de l’homme, le département d’Etat américain cite les humiliations en Israël (ou on manie beaucoup le bulldozer contre les palestiniens…) comme exemples de traitement inhumains, dégradants et cruels…

Dans sa jurisprudence, la cour suprême américaine se réfère au principe de la proportionnalité, entre l’infraction et les mesures punitives pour définir le caractère inhumain, cruel, et dégradant.

Dans sa jurisprudence, la Cour Européenne des Droits de l’Homme fait explicitement référence a l’humiliation des victimes (humiliation perçue par celles-ci et non l’auteur des humiliations) comme traitement dégradant.

Clairement les pratiques du gouvernement TALON et son préfet, bafouant la dignité des citoyens, voire des forces de l’ordre, le caractère répété de ces pratiques fonde à notre avis le refus d’obéissance reconnu par la constitution.

La liberté de culte, tout comme la liberté de manifester sont des droits fondamentaux reconnus par la constitution. Le gouvernement, en particulier le ministre de la justice a le devoir de protéger la constitution, y compris contre le président. Mais c’est peut être trop demander à l’avocat personnel du président !

Rappelons quelques articles de notre constitution que le ministre de la justice et son président semblent oublier, ne voyant que la liberté de circuler ( sur les trottoirs) comme libertés essentielles du citoyen !

-Article 23 : « -Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’Etat.

Les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome.»

Article 25 : « -L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation.»

Le Bénin pays de traditions ouvertes

Si le gouvernement veut encadrer la liberté de manifestation, de cortège, de réunion, y compris les manifestations religieuses comme le chemin de croix des catholiques, les séances de tam-tam chez les pratiquants du vodoun, il doit introduire des lois à l’assemblée nationale. L’ensemble des citoyens, – et pas seulement les «akowé» de Cotonou qui nous parlent de ville « propre » -pourront participer au débat. Notre pays est un pays de traditions ouvertes ou les places publiques sont les lieux des regroupements et des manifestations publiques a caractère social et ou religieux. De même que Paris vit a ses terrasses, Montréal dans ses sous terrains en hiver, la tradition africaine est une tradition de vie dans la rue.

Au nom de quoi Talon et son gouvernement veulent ils nous imposer un style de vie -et les contraintes associées- étrangers à notre culture ?

Dans une démocratie, le gouvernement ne fait pas les lois ( même s’il peut en avoir l’initiative), c’est le parlement qui vote les lois.

Dans une démocratie, les infractions à la loi et les remèdes sont décidés par la justice, et non le gouvernement ( sauf flagrant délit et menaces immédiates ).

Le gouvernement TALON au prétexte d’embellir les villes, s’est lance dans une attaque en règle contre les pauvres et les gagne petits.

Maintenant, il passe à la vitesse supérieure en tentant de limiter la liberté de manifestation et de réunion.

Qu’est ce un espace public, si ce n’est un lieu réservé à l’utilisation du public, des citoyens ? Certes l’utilisation de cet espace par les différentes communautés doit se faire de façon harmonieuse, et c’est le rôle des autorités municipales élues d’organiser ce partage de l’espace public.

Au lieu de cela, on a un gouvernement autocratique, se drapant dans des rêves chimériques de faire de nos villes des vitrines sans vie réservées au spectacle de prétendus touristes étrangers, qui énonce des édits sans base légale, et inflige aux populations des traitements inhumains et dégradants.

Il est temps que les démocrates s’élèvent contre ces tendances autocratiques et la violation déguisée des droits constitutionnels des citoyens, en utilisant tous les moyens que leur donne la loi et la légitimité populaire ! Nous n’avons pas consenti des sacrifices pour établir un socle démocratique pour laisser des apprentis dictateurs briser ce socle pour assouvir leur vanité personnelle.

La désobéissance civile peut être un droit et un devoir civique.

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