Bénin: Pour un nouveau contrat social et une politique inclusive

Il y a vingt-sept ans se tenait la Conférence Nationale du Bénin. Cette conférence au-delà des objectifs connus ou inavoués des initiateurs et des parrains, a eu pour résultat de consolider et codifier les acquis démocratiques obtenus au prix de sacrifices , et de donner le signal de ce qu’il est convenu d’appeler le renouveau démocratique.

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Vingt-sept ans plus tard, le Bénin se retrouve à la croisée des chemins avec un gouvernement qui clame à la face du monde ses ambitions -ou ses rêves- pour le pays, ambitions et rêves qu’il entend réaliser à la hussarde, envers et contre tout et tous, convaincu qu’il est de savoir mieux que tous et toutes ce qu’il leur faut.

Vingt-sept ans après que les participants à la conférence nationale eurent juré comme les survivants de l’holocauste « plus jamais ça ! » on retrouve dans les rues de Cotonou des gendarmes et policiers dispersant des fidèles réunis en prière à Cadjèhoun.

Vingt-sept ans après que les années blanches à l’Université eurent achevé de révéler les poutres vermoulues du régime Kerekou, le gouvernement Talon interdit les associations d’étudiants et transforme le campus en quasi camp retranché avec présence permanente de forces de l’ordre.

Vingt-sept ans après que Kérékou –président depuis 27 ans- s’est abstenu de lancer la troupe contre les manifestants à Cotonou, le président Talon coiffant 10 mois de règne, lance la troupe contre les étudiants réunis en dehors du campus et disperse la conférence de presse qu’ils s’apprêtaient à organiser.

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Vingt-sept ans après les immenses espoirs que les Béninois avaient fondé dans l’avènement d’une démocratie participative, le président Talon leur signifie que la recherche de consensus est superflue (voir les propos tenus devant les dignitaires musulmans).

A lire Bénin: Verbatim des propos de Talon, devant les dignitaires musulmans

Vingt-sept ans après avoir proclamé dans le préambule de sa constitution  « la détermination du Peuple Béninois à rechercher dans son génie propre, les valeurs de civilisation culturelles, philosophiques et spirituelles qui animent les formes de son patriotisme »,  ce peuple se voit traiter de « pagailleur » devant chercher son modèle dans les pays d’Europe du Nord ( voir les propos du président Talon devant les dignitaires musulmans) après avoir été traité de globalement incompétent (« désert de compétence »).

L’Etat de droit loin d’être une réalité

Vingt-sept ans après avoir proclamé dans le préambule de sa constitution vouloir « créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable… »,on assiste à l’instrumentalisation progressive de l’appareil d’Etat dans des affaires à relent de vendetta personnelle ou de bénéfices personnels : citons pêle-mêle

  • Retrait de divers agréments et facilités à CAJAF sans qu’il y ait eu condamnation judiciaire et alors que l’appel est en cours
  • Retrait de concession du Bénin Marina Hôtel à Martin Rodriguez sans décision de justice
  • Dénonciation de contrat de fourniture de service sans décision de justice (sécurité aéroportuaire)
  • Marché de gré à gré après consultation restreinte (Safran Morpho et autres…)
  • Tentative de museler la presse par des interdictions fantaisistes (Soleil FM..), des pressions pour le retrait de l’offre télévisuelle (Sikka TV), des contrôles fiscaux ciblés d’organes de presse écrite
  • Retour aux pratiques claniques de nomination aux fonctions publiques faisant entre autres fi d’une des motions de la conférence nationale qui stipulait « la diplomatie aux diplomates de carrière »
  • Tentative d’acquisition à titre personnel de domaine privé de l’Etat sans décision de vente et sollicitation publique d’offres
  • Règlement prioritaire des dettes de l’Etat aux compagnies du président et du « cartel » d’entreprises qu’il présidait (AIC) au détriment des centaines de créanciers de l’Etat

Au vu de tout ce qui précède, on est en droit de se poser la question de savoir si notre pays avance ou recule en matière de construction d’un Etat de droit ?

Dans les conditions  de crise de fin de régime connues sous le gouvernement YAYI, avec des excès et déviances dont certaines ne sont pas éloignées de celles auxquelles on assiste actuellement, la majorité de la population, la plupart des classes et couches sociales de notre pays formulaient l’espoir de relance d’un nouveau cycle vertueux, d’un nouveau contrat social, prenant en compte les besoins et attentes de tous

  • Pour les entrepreneurs nationaux, les artisans, les commerçants, petits et grands, ce nouveau contrat social apporterait entre autres, une transparence des marchés publics, la fin des contrôles fiscaux à la tête du client, une égalite de traitement des petits et grand entrepreneurs, une préférence pour les entrepreneurs nationaux : A quoi assiste-t-on ? Les marchés publics sont attribués à des groupes étrangers souvent liés au cercle présidentiel, les petits commerces délogés sans ménagement des zones commerciales attractives et poussés à la périphérie, les avantages fiscaux construits pour favoriser les riches entrepreneurs (par exemple suppression de frais de douane pour les transporteurs achetant des véhicules neufs, excluant de fait les petits entrepreneurs réduit aux voitures d’occasion…)
  • Pour la jeunesse, ce nouveau contrat social signifiait formation qualifiante et emplois. Il est certes trop tôt pour  connaître les effets de la politique gouvernementale dont les contours demeurent un mystère dont un coin de voile est levé dans un conseil de ministres sur dix… Mais les discours du représentant du gouvernement tendant à rendre les zems responsables de leur sort de sans domicile fixe, et menaçant de les renvoyer dans les « campagnes » ou rien ne les attend, en dit long sur l’empathie du gouvernement envers cette jeunesse réduite aux petits boulots. Les méthodes autoritaires du recteur et le silence approbateur –voire complice- du gouvernement, l’inflation des coûts à la charge des étudiants, la militarisation des campus et la tentative à peine voilée de caporaliser les associations estudiantines  ne sont pas de bonne augure pour le succès d’une politique de l’égalite des chances et de l’excellence au service de la créativité et de l’économie du savoir.
  • La paysannerie attendait de ce nouveau contrat social, une agriculture lui permettant de vivre, se soigner, éduquer ses enfants et assurer ses vieux jours sans se tuer à la tâche avec des méthodes d’un autre âge, accéder à l’éducation et se former aux techniques nouvelles. En dépit des discours, l’agriculture est toujours et avant tout le coton cher –et rentable- pour le présiden t(objet d’une demi-douzaine de conseils de ministres et on n’a pas fini…), mais qui peine à nourrir le paysan et le pays. Le résultat palpable de dix mois de gouvernance Talon, ce sont nouveaux sigles et nombre de travailleurs des structures opérant dans l’agriculture mis au chômage.
  • Les travailleurs attendaient d’un contrat social, la restauration et la protection de leurs libertés syndicales, la stabilité de l’emploi, desrémunérations leur permettant de vivre, se soigner, éduquer leur enfants, développer leurs capacités et carrières sans être soumis à des patrons et /ou chef despotiques bafouant leur droits et dignité avec la protection ou la complicité des gouvernants, et avoir un droit de regard sur la production. A ce jour les restrictions des libertés syndicales par YAYI sont maintenues, les négociations salariales au point mort.

Il n’est évidemment pas possible dans un article de définir les contours exacts de ce nouveau contrat social car il doit être le résultat d’une œuvre collective.  Le pays –pas seulement ses élites ou les « sachant »- a besoin d’évaluer la marche des 25 années dernières années –ou la pauvreté s’est accentuée,  les écarts de richesse agrandis, la démocratie mise au défi- et tracer les sillons des 25 prochaines , raffinant et mettant à jour les réflexions antérieures au vu des changements intervenus dans le monde et chez nous. Qu’on ne nous dise pas que la débauche d’argent qui tient lieu de campagne électorale, ou les programmes liminaires jamais discutés des candidats rendent cet effort superflu.

Pour un nouveau contrat social

Ce nouveau contrat social dont les populations exprimaient diversement la demande, le gouvernement aurait pu en organiser l’expression ouverte et systématique, la définition précise des contours à travers une forme d’assises nationales. L’opposition en avait fait la demande sous Yayi qui s’y était refusé. Les candidats avaient laissé entendre qu’ils étaient à l’écoute. Au lieu de cela on a eu droit à un conclave de soi-disant experts –grassement payés contrairement aux participants de la conférence nationale- réunis pour donner une caution technocratique aux réformes politiques du candidat Talon.

Au lieu d’un nouveau contrat social qui engage et mobilise le peuple pour des objectifs partagés, le gouvernement nous a gratifié–a prix conséquent- d’une mise en scène théâtrale à l’image des tournées de vente pré-IPO(Initial Public Offering) qui précèdent l’introduction en bourse de nouvelles sociétés aux USA.

Espère-t-on vraiment mobiliser la population pour la réalisation d’un programme à la définition duquel il n’aparticipé en rien, ni elle-même en direct, ni ses élus au parlement ? Que fait le gouvernement des lois programmes prévues à l’article 99 de la constitution , s’il ne veut laisser la parole au peuple « ignorant » ?

Il est temps que nos gouvernants comprennent qu’un pays n’est pas une entreprise où on peut donner des ordres et espérer qu’elle se mette en branle. Aujourd’hui, même les entreprises –quand elles sont efficaces- puisent leur force dans  la participation et  l’implication des salariés depuis l’étape de la planification à long terme jusqu’aux plans mensuels et le contrôle qualité…

Il est temps que nos gouvernants comprennent que gouverner c’est gérer le bien public dans l’intérêt commun et que sans un contrat qui lie gouvernant et gouvernés pour la réalisation d’objectifs partagés, le succès est à tout le moins aléatoire.

Il est temps que nos gouvernants comprennent que comme le dit JJ Rousseau « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maitre, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir »

Notre pays ne se peut permettre le luxe de nouveaux échecs, de nouveaux reculs sur la voie du progrès économique et social, dont la liberté est la condition et un des moyens.

 

Jean Chrisostome F. Houessou

Consultant Atlanta (Usa)

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