Le colonel Alley voulait réformer l’armée, après le coup d’état du général Christophe Soglo, pour la soumettre à l’autorité politique et la mettre au service de la Nation.Dans notre parution d’hier, nous avons montré comment Stanislas Spéro Adotévi, l’auteur de « Négritude et Négrologues », a planté pour ainsi dire le décor du paysage politico-militaire des débuts des années 60.
Une sorte de « who’swho » commençant par l’élite politique, pour finir par les hommes qui animaient le second pilier de l’Etat, qu’est devenue progressivement l’armée. La deuxième partie de son opuscule que nous avons librement intitulé « l’intégriste et le réformateur », est une peinture en profondeur du climat de plus en plus délétère qui régnait au sein de la grande muette, paradoxalement par la faute même d’Alphonse Alley, chef militaire craint et adulé pour son exploit de l’Ile de Lété, entre autres.
Le colonel Alley voulait réformer l’armée, après le coup d’état du général Christophe Soglo, pour la soumettre à l’autorité politique et la mettre au service de la Nation. Il avait le quitus du colonel Aho, ministre de la défense du Général Christophe Soglo.
Prince d’Abomey et ancien combattant des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, le colonel Aho avait de la sympathie pour Alley. Mais le vieux prince colonel voulait d’une armée forte de soldats qui savent obéir aux ordres, tandis que son chef d’état-major penchait pour une armée où règne l’ordre certes, mais un ordre librement consenti par des hommes libres d’émettre leurs avis et de formuler des critiques. Nous sommes au lendemain du coup d’état qui a chassé Maga du pouvoir, avec le retour progressif de ceux qui allaient se faire appeler plus tard « les jeunes cadres de l’armée », c’est-à-dire les jeunes officiers formés dans les écoles militaires de la métropole, et qui n’avaient pas fait la guerre. Nombre d’entre eux voulaient en finir avec la vieille garde de soudards sortis de l’armée coloniale. Le clash était inévitable. Il faut lire et relire ses beaux passages du récit émouvant de Stanislas Spéro Adotévi, pour comprendre comment ce qui semblait être au départ un simple conflit de génération, s’est progressivement mué en une guerre de clans, où les ambitions personnelles ont pris le pas sur les intérêts de la Nation. La chute du vieux général Soglo propulsera le colonel Alphonse Alley, soldat républicain s’il en fut, contre son gré, à la tête de l’Etat du Dahomey. Ce fut le prélude du cycle sans fin des coups de force improvisés et exécutés à la va-vite, parce que mal ficelés, qui ont valu à notre pays le pseudonyme ignominieux d’« enfant malade de l’Afrique ».
Quand Stanislas Spéro Adotévi, l’auteur de » Négritude et Négrologues » raconte Alley (2ème partie)
Alley disait partout et à qui voulait l’entendre qu’une guerre entre deux nations misérables ne pouvait qu’être grotesque, ubuesque et ruineuse. Au reste, des événements ailleurs en Afrique (Mali / Haute Volta : aujourd’hui Burkina Faso…) allait, quelque temps après, lui donner raison. Aussi pour lui, une armée de dix mille hommes même dans un petit pays comme le nôtre serait-elle peu dispendieuse, presque sans incidence financière marquante ; si ces hommes étaient employés à tous les niveaux de compétence à des tâches de développement. L’armée, au reste, dans son organisation en possédait les moyens. Aussi loin d’être comme dans tous les pays du monde, budgétivore,
l’armée dahoméenne serait-elle une armée qui produirait de la valeur ajoutée ; elle serait par son travail une source de plus-value pour la Nation. Probablement discutable.
Mais pour Alley, la nécessité de repenser l’armée s’imposait. Il fallait, notamment après le coup d’Etat qui avait renversé Maga, redéfinir cette armée, en faire un instrument de travail au service du peuple et non pas un corps d’aliborons qui s’engraisserait sur son dos au détour coups d’Etat répétés, de prises ou de rapts de pouvoir sous le faux prétexte d’un faux concept de changement destiné à subsumer les mille canailleries et impostures de jocrisses en mal de fange. Transformer l’armée, en faire une armée nouvelle sans que l’essentiel en fût adultéré : tâche redoutable !
Il se mit cependant à la rêver, la concevoir, la façonner, la décliner et puis progressivement l’énoncer sous la forme de trois principes :
– Le premier principe qui commande aux deux autres, le principe de fondement, de fondation, principe de civilisation, principe des principes qui s’exprime en lettres irréfragables et sur lequel nul ne devra pouvoir revenir, à savoir : le pouvoir est civil et appartient au peuple
En latin : ‘’ Cedant arma togae’’.
– Le deuxième principe, celui qui est au cœur de l’existence de toute armée : la discipline Ce principe, cet arrêt pour Alley comme pour Aho est ne varietur et constitue la force principale des armées.
– Mais, pour l’armée que Alley voulait définir, le troisième principe découle du projet de refondation : si nous voulons que notre armée devienne autre chose qu’une armée de prétoriens, il nous faut faire en sorte que les soucis du dernier des soldats parviennent au plus haut de la hiérarchie. Il nous faut trouver les moyens de l’écouter, de l’entendre. Il nous faut créer une structure capable de recueillir ses doléances.
Ces idées qui sentaient fort l’utopie n’étaient pas des billevesées. Elles commencèrent à germer dans la tête du capitaine au détour de discussions avec des amis, puis se fixèrent en lui comme une obsession pour devenir une réalité qui le transcendait. Mais si généreuses fussent-elles, elles n’en constituaient pas moins une apostasie dangereuse pour le futur.
Aho avait très vite perçu les insoutenables apories de telles propositions et marqua vis-à-vis du projet une résistance et un désaccord affirmés et, semble-t-il, définitifs. Pour Aho, avec de telles notions, on courrait rapidement et inévitablement au délitement de l’armée. Un délitement, source de catastrophes pour le pays et de malheurs pour le peuple.
Nous étions en présence de deux visions contradictoires qui s’exprimaient à travers deux hommes, Aho vrai soldat, intégriste, Alley vraisoldat, réformateur. Les deux visions avaient certainement un sens. Mais l’avenir allait tragiquement donner raison à Aho. Car les structures voulues et mises en place par Alley seront prises en otage par ces petits officiers dont parlait Aho, ces jeunes lieutenants ivres du tintamarre de la jactance et des rodomontades, qui s’en saisiront pour éloigner du pouvoir leur illustre aîné et l’éliminer par la suite.
Il faut s’installer dans le temps où se tenaient ces discours pour comprendre comment le second discours, celui d’Alley progressivement allait s’étendre et devenir une
vérité d’évidence, une certitude au fur et à mesure que se gâtait la politique au Dahomey.
Comprendre aussi comment l’armée est entrée par effraction dans la gestion des affaires civiles au détour de la chaude réalité des évènements qui conduisirent les militaires au pouvoir à la demande anxieuse et presque sous les acclamations d’une frange importante et délirante de la population en colère, portée par les deux autres partis en opposition au parti de Maga. Puis enfin, montrer comment les soldats dahoméens entrainés par des officiers qui croyaient qu’ils avaient leur mot à dire dans les affaires de la Nation, s’imposèrent au pays.
Et, ayant gouté au fruit défendu, s’organisèrent pour prendre le pouvoir et le garder pendant vingt ans !…
Mais pour l’heure, Alley était le chef, le chef absolu. Non seulement le chef, mais un héros irrésistible, surtout au retour de l’expédition sur l’île de Lété, que le Niger et le Dahomey revendiquaient. Chacune de ses apparitions avait le don de provoquer des sentiments de confusion extatique dans les masses qui hurlaient de délire en le voyant. Il pouvait tout faire, même un coup d’Etat « populaire », avec l’assentiment de la presque totalité du peuple dahoméen. Il faut lire les pages vivantes, les pages 49, 50, 51, les pages d’allégresse, les pages chaudes que son fils consacre à son retour de l’île de Lété pour appréhender de quel pouvoir intellectuel et moral il disposait dans l’armée et dans le pays, en ces années- là. Et comment lui, et lui seul pouvait parler au nom de l’armée. Parler en son nom et vouloir la reformer. Le vouloir et le pouvoir, poussé par l’air du temps.
Et le temps, en ces années soixante, était au surgissement ; un temps extraordinaire où tout était possible : les illusions et les rêves ; où nous croyons pouvoir, d’une seule et même décision, tout changer en déplaçant, au-delà des hommes, les signes. Temps d’hiérophanie dans l’attente anxieuse d’une épiphanie…Temps d’incubation intellectuelle où allait s’imprimer l’histoire moderne de notre pays aux premières heures de la parturition.
En ce temps-là, Alley était tout puissant dans l’armée. Pour les jeunes officiers, il était l’armée. Kouandété et Kérékou sans être « inconnus au bataillon » n’avaient pas encore d’existence ; KOUANDETE encore moins que Kérékou. Ce dernier avait déjà à son actif une réputation d’insoumis. Aide de camp du Président Maga, il avait bousculé le protocole pendant une des visites officielles du Président à Parakou. Il avaitété sanctionné et remis à l’armée. Je m’étais trouvé lié à lui au camp Ghezo. Facétieux avec un sens inouï de la répartie, il avait le don de faire rire tout le monde avec un grand sérieux. On sentait au premier contact qu’il était riche d’une intelligence incroyablement féconde. Ce dont plus tard, il fera l’extraordinaire démonstration pendant les vingt-sept ans (cas unique dans les annales de notre pays) qu’il gouvernera le Dahomey qu’il transforma en Bénin. Il m’appelait « professeur l’homme » et je lui portais, en retour, une grande estime même si plus tard nos relations durent rester distantes.
A l’époque, il était dans l’armée d’Alley. Kouandeté et Kérékou étaient les petits frères du grand frère Alley qu’ils admiraient. Qu’ils continueront d’admirer au moins jusqu’à la chute du régime à la tête duquel se trouva, pour la deuxième fois, le Général Soglo.
J’ai rencontré ces trois hommes dont les destins, d’avanies en avanies allaient traverser les différents avatars de l’histoire torturée, de l’histoire bosselée de notre pays.
C’était au camp Ghezo. Nous avons été versés dans l’armée, Simon Ogouma7 , Issiakou Kouton et moi, pour selon les vœux des autorités, y être dressés. On devrait nous y former à l’observance de la discipline et à force d’exercice physique parvenir à faire de nous de bons citoyens ! A la vérité, le gouvernement, par ignorance, commettait une erreur de jugement en décidant d’envoyer dans une armée en ébullition, un professeur, un ingénieur, un statisticien, tous trois intellectuels en rupture de ban qui vont s’installer dans les baraquements de la caserne comme une manière de cheval de Troie. Sans doute les soldats, notamment leurs supérieurs, nous avaient-ils pris en sympathie plutôt par respect pour les universitaires que nous étions que pour nos faits d’arme qui étaient, il faut le reconnaitre, fantasques et risibles8.
Car le voyage qui nous conduisit de Porto-Novo au Togo et du Togo chez les militaires, s’il fut romantique n’en demeura pas moins farfelu. C’est ce qu’allait résumer Alley au premier contact, lorsqu’il nous apostropha en ces termes :
« Qu’avez-vous bandes de couillons à aller à Lomé pour tirer des tracts. On voit que vous ne connaissez pas votre pays et que vous n’avez aucune chance d’y faire une révolution ».
Ces paroles venant à la suite de celles du Commandant Sinzogan qui nous interpella à l’Etat-major où l’on nous recrutait, confirmait que nous avions encore beaucoup de chemin à parcourir et beaucoup à apprendre de notre pays. Mais, en nous révélant notre vacuité, l’on nous adoubait par la même occasion et l’on nous intégrait à ce corps qui nous était si étranger. Si étranger à nous universitaires, mais si présent dans la Cité !
Nous étions demeurés au milieu des militaires tout le temps des événements de contestation du régime de Maga qui se chevauchaient tant à Porto-Novo qu’à Cotonou, suscitant dans les baraquements du camp, de chauds débats autour du présent immédiat et du futur à venir. Notre position de marginaux nous valait une situation de privilégiés. Contrairement aux soldats ordinaires, nous pouvions, lorsqu’on nous le demandait, exprimer nos opinions. Il s’en suivit de solides amitiés parmi les officiers. Amitiés que nous conserverons une fois hors de l’armée, une fois Apithy et Ahomadegbé installés au pouvoir sous la dénomination de « régime wologuèdè ».
J’ai, quant à moi, gardé de bonnes relations, des relations suivies avec la plupart des gradés de l’armée : Aho, de Souza, Vodounon, Hachémé, Chabi, le docteur Boni… etc. Des relations plus étroites avec le gendarme Owens. Des relations de qualité et plus nourries avec Kérékou. Et enfin, avec Alley, des relations faites de grande affection, de chaude et affectueuse amitié et, jusqu’à sa mort, des relations de confiance inaltérées.
Cette proximité ou promiscuité9 au sens littéral du mot, me permit d’être aux premières loges d’où je pouvais observer l’accélération vertigineuse de l’histoire qui se faisait dans notre pays. L’armée en étant le cœur et le poumon, je pouvais aisément, de ma position, en percevoir ou en appréhender la respiration et les pulsations. Ainsi, je voyais comment les réformes qui se mettaient en place dans l’armée étaient en congruence ou connivence/convivence étroite avec le tourbillon qui agitait le pays. Ces vents violents qui déracinèrent en une nuit le régime d’Apithy et d’Ahomadegbé. Et après avoir évacué le régime de Soglo provocant une tornade qui pendant sept ans, balaie les partis politiques et les hommes qui les composent ; brûle au galop toutes les formes institutionnelles expérimentées au Bénin (Triumvirat, parenthèse Zinsou, Conseil Présidentiel…) ; renverse meubles et immeubles et n’aura de cesse qu’avec l’avènement en 1972 d’un régime révolutionnaire né d’une collusion de civils marxisants et de militaires portés au pouvoir par les réformes mises en place par Alley.
On sait quand prit corps le projet de réforme, qui depuis des lustres, germait dans la tête d’Alphonse Alley. On sait aussi comment la conjoncture qui prévalait au moment de sa matérialisation aussi bien que les insuffisances conceptuelles que les contradictions qu’il portait en germe le poussa, dès le premier contact avec la réalité, vers une irréparable autolyse.
Alley, désormais chef d’Etat-major Général de l’armée, voulait une armée républicaine c’est-à-dire, je le cite :« une armée apolitique qui se consacre à ses tâches traditionnelles de protection de l’intégrité territoriale et de développement au service du Dahomey… ». Très bien ! Mais qu’avait-il à ajouter : « l’armée se doit d’être l’arbitre du jeu politique » ? Ouvrant ainsi la voie à toutes sortes de dérives dans l’immédiat, et surtout dans le futur. Dans l’immédiat, puisque l’armée est appelée à intervenir dans la Nation, on y introduira des prétendues règles démocratiques par lesquelles les décisions les plus importantes concernant aussi bien l’armée que la Nation, seront prises à l’unanimité ou à la majorité. C’était, et point n’est besoin d’être grand clerc pour le percevoir, ouvrir la Boîte de Pandore. Et par là « porter atteinte à la Discipline dans l’armée 11 ». Et dans la même foulée, installer au cœur de la Nation le désordre.
Il serait sans doute difficile d’ignorer le côté conjoncturel du texte ; les circonstances particulières au cours desquelles il vint au jour. Mais, était-il de droite raison de vouloir résoudre un problème en en créant d’autres ? Il fallait, disait-on, éviter que le régime militaire du Général Soglo ne dégénérât en régime dictatorial. Aussi, contre cette menace de caporalisme, organisait-on dans l’armée des séances de concertation afin, nous dit Eric Alley, de « permettre à chaque militaire d’apporter sa pierre à la construction nationale en vue de sauvegarder l’Unité de l’armée 12 ». Tout cela sous la direction du chef d’Etat-major de l’armée. Un chef d’Etat-major prêt à « enregistrer (les) critiques de toute part…car le vrai chef est celui qui écoute les conseils et qui sait reconnaître ses erreurs et tirer les leçons des fautes commises ».Parfait !
Mais qu’adviendra-t-il lorsque le chef d’Etat-major ne sera plus Alphonse Alley ? Lui, le vrai soldat républicain qui accepte des compromis pour sauver l’essentiel ; mais lui aussi qui connut un refus abrupt au moment où, pour permettre un dessaisissement progressif du pouvoir par l’armée, proposa un Conseil Supérieur de la République dont feraient partie les trois leaders historiques ? Qu’adviendra-t-il donc de toute cette architecture lorsqu’il ne sera plus là : soit parce qu’appelé à d’autres fonctions pour nécessités de service ou absent du pays pour les mêmes raisons ? Plus banalement ou ad rem et plus tristement « lorsqu’Alley ne sera plus Alley », c’est-à-dire lorsqu’il cessera d’être une référence pour l’armée ?
Tous ces cas de figure se vérifièrent avec une tragique acuité. Les uns après les autres. Les uns avec les autres. En cascade. Les uns débordant les autres comme une trombe.
D’abord, son départ en France à l’Ecole d’Etat-major fit voler en éclat le rôle fondamental de médiateur qu’il jouait entre civils et militaires. Quatre civils14 démissionnèrent du premier gouvernement de Soglo. En outre, au fur et à mesure que rentraient des jeunes officiers formés dans les Ecoles militaires étrangères, la mentalité au sein de l’armée se modifiait. Ces jeunes militaires accusaient leurs supérieurs de carence, d’incompétence et de corruption. Le même Alley était, là aussi, celui qui servait de courant de transmission dans ce conflit de générations. Son départ fixera les tensions cristallisées et soufflées par de cyniques et ambitieux chefs de corps pour les raidir jusqu’à la rupture. Ces jeunes officiers voulaient opérer une révolution au sein de l’armée. Sur ce point, ils se sentaient en phase avec le colonel Alley. Ils avaient encore et toujours de l’estime pour lui. Il était encore le seul chef qu’ils jugeaient digne de les conduire. Leur but : se débarrasser des « vieux d’Indochine ». Et, Alley dès son retour de l’École d’État-major, de se remettre en devoir de donner l’alarme auprès de ses chefs hiérarchiques. Ce, d’autant plus que l’époque était, en Afrique, aux multiples coups d’Etat militaires. Eric Alley a su brillamment résumer cette époque dans des pages d’histoire qu’il faut lire. Il fut également très disert sur les veillées d’armes qui conduisirent à la chute sans doute justifiée et prévisible, mais inopportune du Général Soglo.
Alley aussi voulait le départ du Général Soglo ; mais un départ en douceur comme une sorte de mise à la retraite anticipée. Il le voulait sous cette forme-là, non seulement parce qu’il avait donné sa parole d’officier aux autorités françaises, mais pour éviter l’éclatement de l’armée et la confusion dans le pays. Il réprouvait l’idée d’un putsch. Mais, le commandant Maurice Kouandeté connaissant son aura auprès des jeunes officiers de Ouidah comme dans l’ensemble du pays et aussi bien à l’extérieur, mit en place un stratagème pour mobiliser les militaires en leur faisant croire que le chef d’Etat-major, le lieutenant-colonel Alley était menacé par le gouvernement ; que sa vie étant en danger, il se voyait, lui, dans l’obligation de prendre le pouvoir . Ce qui permit aux jeunes militaires de suivre Kouandeté et de manifester plus tard leur étonnement lorsqu’Alley refusa catégoriquement d’accepter la mission que ses camarades voulaient lui confier. Alley rendit son directeur de cabinet le Commandant Maurice Kouandété, responsable de toutes les conséquences qui découleraient de ce coup d’Etat, non seulement pour l’armée, mais aussi pour le peuple dahoméen . Alley maintiendra sa position de fermeté. Et le jour où les fameux jeunes officiers qui suivirent Kouandeté et se faisaient appeler « Jeunes cadres de l’armée » firent à la radio leur déclaration embrouillée, Alley allait, en ce même décembre 1967, fièrement déclarer dans le langage qu’on attendait d’un vrai capitaine : « je demeure toujours leur chef. Quand ils auront fini de faire leur bêtise, ils reviendront me rendre compte ». Ce langage qui avait toujours, jusqu’ici, été le sien lui valut un surcroît de popularité aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Plus encore à l’extérieur où les commentaires des médias étaient désobligeants et surtout hostiles à l’endroit de l’armée dahoméenne qui, pendant trois jours, était incapable de se doter d’un chef d’Etat.
A l’intérieur, l’espace était au vide juridique ; l’atmosphère psychédélique dans l’armée, et sous la cendre, la braise des revendications sociales se transformait en imbroglio politico-social. Bref, un vent de folie qui fit, dit-on, perdre la tête à Kouandeté au point de le pousser à envisager une fuite dans les montagnes de son Atakora natal.
L’histoire ne connaît pas de Nations désespérées. Seuls sont aux abois les hommes, qui, à un moment du destin, les conduisent. Pour Kouandeté et les siens, la situation était sans issue. Aussi, après l’entremise de plusieurs personnalités dont Pascal Chabi Kao, toujours Ministre des Finances et le chef de la mission d’Aide et de Coopération Francis Plateau, les auteurs du putsch furent-ils contraints de libérer du Petit Palais où ils avaient été mis en « résidence surveillée », Sinzogan et Alley. Au premier, on offrait le ministère des Affaires Etrangères et on priait très humblement le « Grand frère » Alley d’accepter d’être Président de la République.
Suite et fin dans notre prochaine parution
Notes de bas de page
7 Simon OGOUMA jouera plus tard un grand rôle dans la politique dahoméenne. Pendant presque tout le premier règne de KÉRÉKOU, il sera pratiquement le no2. Statisticien de talent, mélomane (féru de musique classique et de jazz) avec un mélange de Saint Just et du CHE, il est un homme d’une rigueur sans concession. Il aurait pu être un dogmatique étroit, si la nature ne l’avait doté d’une grande capacité à ausculter et à analyser les signes annonciateurs de bouleversements sociaux. Il contribuera à effacer du paysage dahoméen le mythe de l’irremplaçabilité des trois leaders.
8 Nous avions constitué un parti révolutionnaire et nous nous réunissions souvent pour faire des « analyses de la situation ». Les débats, tout en gardant leur caractère amical et fraternel, étaient houleux, car certains camarades pensaient, contrairement à d’autres, que le Dahomey n’était pas mûr pour une révolution. Nous étions cependant, tous d’accord pour des actions beaucoup plus humbles : information, discussion dans notre entourage et tracts, etc. Mais en octobre, le parti au pouvoir, le PDU devait tenir un congrès qui sera une sorte de congrès de la « renaissance ». Nous avions donc décidé de faire un ‘’grand tract’’ pour expliquer aux « larges masses populaires »la situation ‘’réelle’’ du pays. Et c’est ainsi que commença l’aventure rocambolesque qui consistait à aller chercher au Togo une machine à écrire et une photocopieuse ! Avec l’aide, au demeurant infructueuse, de notre regretté camarade et ami Yves Brenner alors Conseillé technique à l’Information dans ce pays ‘’cousin germain’’ Ce qui, derechef, nous situait hors de la réalité de ce Dahomey que nous avions la prétention de transformer ! Nous serons au retour arrêtés à la frontière d’Hilacondji, menottés et conduits au commissariat de police de Cotonou où nous serons battus comme plâtre, avant de nous retrouver au camp militaire pour un service militaire obligatoire qui était censé assurer notre régénération !
9 Nous nous voyons souvent chez les uns et les autres pour déjeuner ou dîner et naturellement pour discuter.
11 Eric ALLEY: page 67
12 Eric ALLEY: page 69
13 Colonel Jean HACHEME cite par Eric ALLEY : page 69
14 Moise MENSAH, Nicéphore SOGLO, Christian VYERA. Je démissionnerai à leur suite quelques mois plus tard
15 Il usa, à mon endroit, de la même chafouinerie la nuit même du coup d’Etat. A 23 h de cette nuit-là, le gendarme OWENS alors capitaine, vint chez moi me proposer de l’accompagner au camp Ghezo où ses camarades avaient besoin de moi pour quelques conseils. En cours de route, je lui ai demandé si ALLEY était dans le coup. Sa réponse fut vague : « nous n’avons pas voulu le mouiller pour le moment ». Au camp, je rencontrai KOUANDÉTÉ qui me proposa le poste de ministre des affaires étrangères. Je lui posai la même question qu’à OWENS. Il me répondit que pour les soldats, ALLEY était dans le coup, mais que ce dernier ne tardera pas à les rejoindre. Me rendant compte que j’étais en face d’une dangereuse musarderie, j’ai tenté de faire comprendre à KOUANDÉTÉ comme à ses camarades qu’une opération fondée sur le mensonge et la ruse n’avaient, non seulement, aucune chance de réussir, mais serait lourde de conséquence pour l’avenir du pays. Je leur fis également savoir que je réservais ma réponse jusqu’à ce que j’aie rencontré ALLEY. En me présentant chez ce dernier, je me rendis compte que les jeunes soldats s’étaient livrés à une farce sinistre et pleine de risques. Je leur fis parvenir par message une réponse qui ne pouvait qu’être négative.
16 Voir témoignage du commandant Romuald KITOYI recueilli par Eric ALLEY
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