Le projet de mandat unique était demeuré un engagement personnel que Patrice Talon s’était promis de respecter. Il n’était, ni lié à un projet de constitution, ni lié à une conditionnalité particulière.On l’a senti amer. On l’a senti touché. En écoutant Patrice Talon pendant les deux heures qu’a durée l’émission « A bâtons rompus » de l’ORTB, j’ai eu le sentiment qu’il porte encore en lui, sans pouvoir les masquer, les ressentis, les émotions – l’exaspération surtout – suscités par la dernière actualité politique du pays : le rejet, par l’Assemblée Nationale, du projet de révision de la constitution.
Réforme-phare de son action et qui lui aurait permis sans doute d’appliquer le mandat unique,ce projet a laissé dans l’opinion des impressions mêlées, des controverses si ce n’est de la colère. A l’entendre, il semble que des mains habiles en auraient rajouté au texte pour en faire un épouvantail, un monstre destiné à susciter le mépris et la détestation des Béninois. Plus d’une fois, le mot « intoxication » a été utilisé. Mais, à considérer que ce fut tel, qui sont les auteurs d’une telle cabale ? Comment ont-ils réussi à corrompre un texte aussi complexe que la constitution et à le faire admettre à tous, y compris au parlement ?
Autre chose qui frappe: le sentiment fort chevillé chez le Président que le peuple vit une misère indicible. Une misère déjà prégnante dans le tissu social depuis des décennies et contre laquelle, dit-il« il est venu lutter », mais que les lenteurs – et dont on ne connait pas forcément les raisons – rendent difficile à combattre. Il n’exclut pas de redéfinir les priorités du Programme d’Action du Gouvernement (PAG), déclasser l’ordre des champs d’intervention pour hisser le social comme une urgence première. Le panier de la ménagère, symbole du pouvoir d’achat du plus grand nombre, a besoin d’être meublé des produits de première nécessité, à défaut d’en être remplis.
L’autre déclaration qui soulève autant de commentaires que d’interrogations, c’est le rendez-vous pris avec les Béninois en 2021. « En temps opportun, j’aviserai », a-t-il précisé. Jusque-là, le projet de mandat unique était demeuré un engagement personnel que Patrice Talon s’était promis de respecter. Il n’était, ni lié à un projet de constitution, ni lié à une conditionnalité particulière. Depuis le 8 avril, ce principe, s’il n’est pas caduc, devient inopérant, du moins, sujet à caution. Certains y voient déjà le signe d’une nouvelle candidature pour les échéances prochaines.
D’autres prédisent même pour ses collaborateurs, ABT et PIK notamment, la fin de leurs ambitions présidentielles. Car, compétiteur né, Patrice Talon ne peut jamais se risquer dans cette aventure sans s’entourer d’un minimum de garantie de succès. Mais il se verrait dans l’obligation de se comporter contre-nature, c’est-à-dire, d’appliquer les mêmes recettes décriées sous Yayi et qu’il souhaitait voir supprimer dans la nouvelle mouture de la constitution: la pré-campagne permanente, la propagande constante, ce conditionnement psychologique et psychique de l’électorat jusqu’aux échéances présidentielles.
Cependant, cette perspective est soumise à une condition, une seule : la réussite de son mandat actuel. Il signifie que, malgré les sentiments peu amènes que ses compatriotes manifestent actuellement à son endroit, Patrice Talon doit redonner sourire et espoir aux Béninois. Cela passe par la restauration du panier de la ménagère, l’éradication de la pauvreté, la création d’emplois pour absorber les diplômés sans emplois, l’assainissement du cadre de vie, bref, l’application sans délais des mesures contenues dans le PAG. C’est dire qu’il lui faut, à Patrice Talon, faire un sans-faute jusqu’aux prochaines présidentielles. Et surtout faire oublier tous les reproches à lui faits aujourd’hui et qui nourrissent la rancœur des déçus de la Rupture.
Il paraît que les peuples se ressemblent et qu’ils peuvent, volontairement souffrir d’amnésie, pour peu qu’on lui jette en pâture la dinde en remplacement du pain qu’on lui a promis. Mais le Bénin est particulier. Pays de paradoxes, pays où tout ne se passe pas comme le prévoient les officines politiques, il a définitivement adopté la culture de l’inédit comme seule issue aux élaborations les plus sophistiquées. Et pour le Bénin de 2021, les choses s’annoncent encore plus compliquées.
Florent Couao-zotti
Ecrivain
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