De mémoire d’homme, Talon n’est jamais apparu aussi blessé dans son amour-propre, aussi frustré de se sentir incompris comme il l’a affiché le 8 avril dernier lors de son interview …Le 24 août 2015, dans sa course à la présidence du Bénin, le candidat Patrice Talon déclarait au micro de la Radio France Internationale : « le Bénin présentement est dans une passe difficile. Toutes les institutions ont perdu la confiance du peuple et le pouvoir exécutif s’est révélé à la fois, surpuissant et décadent. Dans un tel contexte, il n’est pas impertinent de souhaiter qu’un homme, ayant à la fois, les réflexes du management entrepreneurial et la connaissance du milieu politique prenne la main pour rassembler afin d’opérer les mutations qui s’imposent».
Plein d’assurance et de certitude, il avançait, tout rassuré qu’il détenait la réponse à l’énigme Bénin. Tout semblait d’ailleurs lui donner raison : businessman man à succès, il l’est !
Revenant à son discours du 24 août 2015, Talon avait raison sur un point, et sa déclaration résonne encore aujourd’hui comme une prophétie.
S’il décrivait en ce moment-là l’état du pays sous Boni Yayi, un an après sa prise de pouvoir, la situation n’est guère reluisante. En effet, le Bénin est actuellement dans une passe difficile. Le Président est soupçonné à tort ou à raison d’acheter les députés afin qu’ils votent pour son projet de révision de la constitution. Les déclarations de Rosine SOGLO affirmant avoir reçu de l’argent comme tous ses collègues députés ne sont pas de nature à infirmer cette rumeur. Les députés ont perdu tout crédit dans ce débat sur la révision de la constitution et leur soutien majoritaire au projet de Talon est perçu comme un soutien monnayé. Dès lors, des citoyens commencent par se demander s’il faille se déplacer prochainement pour aller voter aux prochaines législatives, si c’est pour qu’à la fin leurs voix soient marchandées par celui qu’ils auront choisi pour les représenter à l’Assemblée nationale. Une véritable crise de confiance entre le peuple et ses élus, du président de la république jusqu’aux députés !
Crise de confiance aggravée par la méthode Talon qui lui a valu le surnom de télécommande. Homme des réseaux, il est associé à plusieurs intrigues politiques sous ses différents prédécesseurs : financement des hommes politiques de tous bords, soutien à l’opposition au projet de révision de Yayi Boni, etc.
Une méthode de gestion entrepreneuriale en déphasage avec la gouvernance d’une république, peut-on dire ! C’est d’ailleurs l’autre point de sa déclaration du 24 août 2015 sur lequel le candidat Talon avait tout faux lorsqu’il « estime tout de même que l’entreprise est à l’image de la République » et que « les galons visibles d’un chef d’entreprise sont plutôt un atout pour la gestion du pays. » Surtout, il avait la certitude d’avoir « la main pour rassembler afin d’opérer les mutations qui s’imposent » au pays. Aujourd’hui président, il fait le constat qu’entre le discours et la pratique, c’est de la coupe à la bouche : il y a un parcours à faire.
Car, à la lecture du rejet de ce projet de révision de la constitution par une partie de l’opinion nationale et ensuite par l’Assemblée nationale, il est à penser que « les réflexes du management entrepreneurial et la connaissance du milieu politique » ne l’ont pas servi,incapable qu’il a été de rassembler le plus grand monde autour de son projet et de le faire passer au ¾ des députés de l’Assemblée nationale, alors que son ministre de la justice, géniteur putatif du projet avait juré que le mois de mars serait le mois de la révision de la constitution du 11 décembre 1990. Trop d’assurance !?
Si ce projeta révélé la fracture qui existe au sein de la population quant aux questions touchant notre loi fondamentale, son rejet affiché les failles de la méthode Talon et infirme que la république n’est pas à l’image de l’entreprise.
Un échec, et toutes les certitudes s’écroulent comme un château de carte !
De mémoire d’homme, Talon n’est jamais apparu aussi blessé dans son amour-propre, aussi frustré de se sentir incompris comme il l’a affiché le 8 avril dernier lors de son interview par trois journalistes lors de l’émission « à bâtons rompus ».
Le regard dépité, le cœur meurtri, face à ses interlocuteurs, Talon n’a pu contenir sa déception, sa colère qu’il a eu du mal à dissimuler. Cette colère s’est d’ailleurs exprimée sur la radio France internationale accusée d’avoir contribué [aux] évènements de ces derniers temps [qui] justifient bien ce qui s’est passé (NDLR : l’échec du projet de révision).
L’homme, autrefois serein lorsqu’il s’agissait de se projeter vers le futur, parler de ses projets, s’est montré plus humain. Lui que ses soutiens laissaient pour quelqu’un qui réunirait à lui tout seul l’intelligence de tous les béninois n’a pas vu venir l’échec de son projet. « Je ne pensais pas que je n’obtiendrais pas la majorité. Cela m’a surpris »
C’est qu’en vérité, la République n’est pas à l’image de l’entreprise, et il l’a compris, après un an d’exercice de pouvoir. « Le Bénin, c’est l’ensemble des volontés (…) », avoue-t-il, réaliste !
Ce qui semblait échapper au président de la république, alors faiseur de roi, c’est qu’à la touche, on est bon joueur. Mais, une dois sur le pré, les donnes changent. Des pans du jeu échappent au joueur sur le terrain, des actions lui échappent. Pour voir la totalité des actions du jeu, le joueur devra visionner les vidéos pour tout voir. Talon lorsqu’il était faiseur de roi, maîtrisait tout ou presque. Il pouvait tout prévoir à l’avance sur les intrigues politiques. Mais, désormais qu’il lui-même roi, plus rien ne sera comme avant, comme quand il était dans l’ombre et tirait les ficelles. Qui va à la chasse perd sa place.
Marqué par cette épreuve, il a d’ailleurs donné le ton de ce que sera désormais sa gouvernance. « Désormais, je ferai la politique », a-t-il laissé entendre! L’homme qui semblait ferme et précis sur la question du mandat unique est devenu évasif et promet désormais aviser en 2021 s’il sollicitera à nouveau le suffrage universel pour un second mandat.
Le 1er août 2016, à l’occasion de la commémoration du 56ème anniversaire de l’accession du Bénin à la souveraineté internationale, l’homme s’est prêté aux questions des journalistes, acteurs de la société civile, étudiants, commerçants, enseignants et autres.Face à l’assistance qui voulait connaître sa position en cas d’un éventuel rejet du mandat unique proposé dans le cadre des réformes politiques et institutionnelles, il répondit sans hésiter « Dans tous les cas, je ne ferai qu’un seul mandat ».
Aujourd’hui, rien n’est plus certain. Il lui faudra attendre 2021 qui est désormais loin avant d’aviser s’il se représentera.
« Je n’ai pas d’aversion pour la fonction présidentielle », se justifie-il., avant de conclure que « comme mon projet de révision n’est pas passé, je ne vais me soustraire à la règle générale ».
En vérité, ce n’est pas facile le pouvoir. Mais cela donne des envies d’y rester plus longtemps que promis (et prévu).
Si on se rappelle tous ses arguments et toutes ses déclarations sur les mérites du mandat unique et les effets pervers du renouvellement de mandat, sa position actuelle est la preuve que le pouvoir peut transformer des convictions en illusions.Laquelle transformation conduit de plus en plus de présidents à vouloir s’éterniser au pouvoir en sautant le verrou constitutionnel de limitation des mandats.
En se justifiant que comme le projet de révision de la constitution pour instaurer le mandat unique n’est passé, il ne va pas se soustraire à la règle générale autorisant deux mandats dans la constitution de 1990, Talon donne raison à ceux qui, après 2 mandats constitutionnels, envisagent de sauter le verrou pour y demeurer à vie. Car, réviser la constitution pour sauter la limitation des mandats devient aussi une règle sur le continent africain.
A l’épreuve du pouvoir, les masques sont tombés !
Césaire Sèdagondji (contribution)
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