«Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves». M. L. KingLa proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle française à l’issue duquel un candidat, Emmanuel Macron, véritable néophyte en politique, est en tête pour le second tour.
A cette occasion, l’ancien président Nicéphore D. Soglo a, dans une interview, fait une violente sortie contre l’article 44, alinéa 4 de la constitution de décembre 1990 ainsi libellé (lire ici) : «Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République, s’il n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature».
Selon lui, Charles de Gaulle, Nelson Mandela et Emmanuel Macron n’auraient pas pu se présenter à l’élection présidentielle au Bénin ; les deux premiers, frappés par la limite supérieure (70 ans), et le dernier, par la limite inférieure (40 ans).
D’où sa réaction : «Je veux qu’on enlève au plus vite, de la constitution béninoise, cette aberration qu’est la question de l’âge. Cela n’existe dans aucune constitution du monde». A qui est destinée cette injonction faite sur un ton aussi sarcastique ? Nul ne le sait.
Bien-fondé de la limitation
Avant tout, essayons de comprendre pour quelles raisons l’âge de tout candidat aux plus hautes fonctions de l’Etat, doit être compris entre 40 et 70 ans ?
D’abord, écarter de la compétition électorale qui s’annonçait en 1991, les vieux leaders politiques régionalistes qui avaient dominé la scène politique du pays jusqu’en 1972. Il s’agit des trois «mousquetaires» (Hubert K. Maga, Sourou M. Apithy et Justin T. Ahomadégbé) et leur «d’Artagnan (Emile D. Zinsou), considérés comme responsables de l’instabilité politique des douze premières années de l’indépendance de notre pays. L’intermède de la confiscation par les forces armées sous la lumière de la révolution marxiste-léniniste a été vécu comme conséquence de cette instabilité.
C’est la raison pour laquelle, au référendum constitutionnel de décembre 1990, il a été prévu un troisième bulletin pour le «OUI mais», pour permettre, à tous ceux opposés à la limitation d’âge, de faire entendre leurs voix. En soi, ce «OUI mais» était déjà une première car, pour un référendum, seuls les deux bulletins «OUI» et «NON» sont généralement prévus.
Ensuite, tout comme l’âge-plancher (40 ans), l’âge-plafond (70 ans) est un âge canonique. Selon le droit de l’Eglise (canon), un âge est dit canonique, parce que considéré comme l’âge minimum qui, quelle que soit la fonction considérée ou exercée, suppose également une certaine responsabilité et maturité de la part de la personne choisie pour cette fonction. C’est ainsi que pour être ordonné prêtre, il faut avoir au moins 24 ans. De même, pour qu’une femme entre au service d’un curé, elle doit avoir au moins 40 ans.
Critique des arguments de N. D. Soglo
Après tout, Emmanuel Macron est-il si jeune que ça ? Non car en France, pour briguer la magistrature suprême, il faut avoir 18 ans révolus (article LO 127 du code électoral. Mais, à supposer qu’il soit jeune, on peut rappeler la phrase de Rodrigue (Le CID de Corneille) : «Je suis jeune il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années». Or, il n’est pas donné à tous d’être des âmes bien nées, pas plus qu’il n’est donné à tous d’être nés avec une cuillère d’argent à la bouche !
Présentement, parmi les dix plus jeunes dirigeants du monde, ils ne sont que trois à être âgés de moins de 40 ans (Corée du Nord, 32 ans, Qatar, 35 ans, et Belgique, 39 ans), seul le dernier a été élu au suffrage universel. Alors, laissons Emmanuel Macron à son destin.
En France, depuis la création de la fonction en 1848, l’âge moyen est de 62 ans et les deux plus jeunes sont Louis-Napoléon Bonaparte, démocratiquement élu en 1848 et Emmanuel Macron qui vient d’être élu à 39 ans. Au sein de l’Union Européenne, il est supplanté par le premier ministre estonien (38ans), auquel il faut ajouter le premier ministre belge, élu à 38 ans.
Quant à l’âge plafond de 70 ans, que l’ancien président considère comme relativement très avancé, il faut savoir raison garder. Car, au psaume 90 (Nouveau Testament), on lit : «Les jours de nos années s’élèvent à soixante et dix (70) ans, Et pour les plus robustes à quatre-vingts (80) ans ; Et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère, Car il passe vite et nous nous envolons».
Cet âge de 70 ans est également un âge canonique qui indique que l’on est pratiquement à son apogée et c’est la raison pour laquelle l’Eglise considère qu’on a accompli son destin quand on disparaît à cet âge. Et c’est précisément pourquoi, on fait précéder de «FEU», le nom de toute personne décédée à partir de cet âge. Exemple Feu Emile Derlin Zinsou.
Présentement, rare sont les chefs d’Etat et de gouvernement en exercice et démocratiquement élus à avoir plus de 70 ans. En dehors du continent africain, il n’y a pratiquement que Donald Trump (Etats-Unis), tous les autres sont africains ; Robert Mugabe du Zimbabwe avec 93 ans, Beyi Caïd Essebi de Tunisie avec 90 ans, et leur cadet Paul Biya du Cameroun, avec 84 ans.
Or, il est reconnu par tous que le pouvoir use ; à plus forte raison ceux qui s’accrochent désespérément à leur fauteuil. Et ils sont légion en Afrique. Il suffit de citer le burundais, les deux congolais et le tchadien. Alors, on peut se demander si l’exercice du pouvoir et la responsabilité d’une nation dans le monde moderne, en particulier en ce XXIème siècle, quel que soit le régime politique et l’état d’esprit dans lequel on l’assume, peuvent être supportés durant de longues années sans que la personnalité en souffre et soit sujette à des erreurs graves voire tragique ? Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’ouvrage intitulé «Ces malades qui nous gouvernent» publié par Pierre Accoce et Pierre Rentchnick chez Stock en 1976.
Selon son épouse Eleanor, l’ancien président Franklin D. Roosevelt qui a été à la tête des Etats-Unis sans désemparer de mars 1933 à sa mort en avril 1945, n’accordait plus, aux affaires de l’Etat, le soin qu’il leur accordait précédemment.
Exercer les plus hautes fonctions dans un pays n’est pas une sinécure. C’est même selon Corwin un job assassin (is a killing job). Nous avons tous constaté que le président B. Obama a pris un coup de vieux après deux mandats de quatre ans. Il doit bien se demander comment font ses congénères africains pour tenir plus de vingt ans voire trente ans ! Certains chefs d’Eta africains actuellement en place (Angola, Cameroun, Congo B, Guinée E, Tchad et Zimbabwe) ont à leur actif quatre (4) fois les huit (8) années que Barack OBAMA vient de passer à la Maison Blanche.
La violente sortie du président Soglo contre les dispositions de l’article 44, alinéa 4 de la constitution présente d’autres faiblesses qui peuvent être brièvement rappelées.
1° L’élection de M. Macron à la présidence de la République française en ce mois de mai 2017 représente une exception depuis 1848 ;
2° Tout comme l’élection au suffrage universel direct en France en 1965, du Général De Gaulle et de Nelson Mandela en 1994 en Afrique du Sud.
En effet, pour le général de Gaulle, chef de la France Libre, il a été rappelé aux affaires lors des événements d’Alger en souvenir du rôle historique qui a été le sien après l’occupation de la France par les troupes allemandes en juin 1940. C’est ce qui lui valu d’avoir été élu au suffrage universel direct en 1965 à l’âge de 75 ans, comme président de la République Française.
Quant à Nelson Mandela, pour avoir consacré toute sa vie à la lutte contre l’Apartheid, il a été triomphalement porté à la tête de son pays à l’âge de 76 ans, aussi bien pour son sacrifice que pour avoir libéré son peuple.
Ce sont tous des destins exceptionnels et vouloir tirer argument de ces cas isolés, y compris celui d’Emmanuel Macon pour s’en prendre à la limitation contenue dans la constitution béninoise de décembre 1990, c’est tout simplement prendre l’exception pour la règle.
3° N’est-ce pas faire preuve de myopie politique que d’avoir passé sous silence la propension des chefs d’Etat africains à s’accrocher au pouvoir, quitte à fouler au pied la constitution en vigueur ou en recourant à des manœuvres du genre du K.O de Boni Yayi en mars 2011, assuré qu’il était d’être battu au deuxième tour de la présidentielle ?
4° A l’opposé, n’est-ce pas tout simplement oublier de prendre en compte, l’engouement de nos compatriotes pour les plus hautes fonctions de l’Etat le nombre excessif des candidats à l’élection présidentielle ? En 2016, pour une population estimée à dix (10) millions et 4.746.348 électeurs, leur nombre s’élevait à 33 contre 14 en 2011, 26 en 2006 et 17 en 2001.
A titre de comparaison, à la présidentielle d’avril-mai 2017 en France, avec 47 millions d’électeurs pour une population six fois plus importante, on n’a compté que 11 candidats. En 2011 à la présidentielle de la RDC, avec plus de 27 millions d’électeurs pour une population de plus de soixante millions, il n’y avait également que 11 candidats.
Depuis 2010, en Afrique, on a vu un petit nombre de candidats de plus de 70 ans briguer la magistrature suprême, tels que Léon Kendo Wa Dondo (75 ans) et Etienne Tshisekedi (79 ans) en République démocratique du Congo et Abdoulaye Wade (74 ans en 2000) au Sénégal. Sauf erreur, seul ce dernier a réussi à l’emporter à l’usure en 2000 puisque depuis 1978, il a été régulièrement et sans désemparer candidat à la présidentielle.
En enfermant l’accession aux plus hautes fonctions de l’Etat dans la tranche d’âge allant de 40 à 70 ans, le constituant béninois a tout simplement entendu écarter aussi bien la juventocratie que la gérontocratie. Alors, ce serait lui faire un mauvais procès que de vouloir le lui reprocher aujourd’hui, comme le fait le président Soglo. Selon ce dernier, cette limitation n’existe dans aucune constitution au monde. A ce propos, on est tenté de lui répondre que le Bénin est le seul pays au monde dont la Constitution….fait obligation au président de la République élu de prêter serment, avant d’entrer en fonction, «Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres…, et devant le Peuple, seul détenteur de la souveraineté», affirmait Frère Melchior il y a moins d’un an, à la page 51, dans « ICI, c’est le BENIN ! (un peuple inattendument DEBOUT !).
Par ailleurs, faut-il le rappeler, trois (3) bulletins pour un référendum constitutionnel comme celui par lequel notre constitution a été adoptée, est déjà en soi du jamais vu !
Peut-être même que le constituant de 1990, en fixant la limite supérieure au-delà de laquelle, nul ne pourra se porter candidat à une élection présidentielle, pour permettre à ceux de nos compatriotes qui ont eu le grand privilège d’avoir occupé les plus hautes fonctions à la tête de notre pays, de rédiger leurs mémoires, afin de laisser pour la postérité, les expériences bonnes ou mauvaises qu’ils ont vécues.
C’est pour cette raison, que je souhaite vivement que le président Soglo qui a quitté, depuis deux décennies, les plus hautes fonctions à la tête de notre pays, nous laisse, avant de tirer sa révérence, ses mémoires sur le premier quinquennat du renouveau démocratique qu’il a eu l’honneur d’inaugurer.
Cette somme d’expériences permettra certainement aux jeunes qui veulent s’engager dans la politique de tirer leçons de leurs expériences. C’est dans cet ordre d’idées, que votre serviteur a eu à grogner sur les antennes de Radio Golf-FM, contre feu Emile D. Zinsou qui, visiblement très également fatigué, portait une mallette derrière le chef de l’Etat d’alors dont il était le conseiller spécial. C’était en septembre 1999, au retour du sommet de la Francophonie tenu à Moncton (Canada), la délégation béninoise avait fait escale à Syrte pour y être reçue par feu M. Kadhafi. Si mes souvenirs sont bons, c’était Mademoiselle Raïssa Gbédji qui était de service.
Comment cet homme d’Etat, ancien ministre des affaires étrangères, ancien ambassadeur en France, ancien président de la Cour suprême, ancien représentant permanent près les Nations Unies à New-York (Etats-Unis) et ancien chef de l’Etat de juillet 1968 à décembre 1969, pouvait encore tenir une mallette derrière le chef de l’Etat en fonction, au lieu de se consacrer à la rédaction de ses mémoires ?
Au terme de cette réflexion critique, il ne reste plus qu’à donner raison au constituant béninois de 1990 pour avoir retenu cette limitation. Car, ce faisant, il a entendu renvoyer dos-à-dos, la gérontocratie comme la juventocratie.
Voici à peine un mois, je disais que la révision de notre constitution était devenue un problème de la quatrième dimension qui ne peut être réglé par un homme de la quatrième dimension. Pourtant, je fais partie de tous ceux qui pensent que le président Patrice Talon ne doit pas renoncer à son projet de révision. C’est le lieu d’ajouter qu’il doit, à tout pris éviter de toucher entre autre au double verrou que constituent les articles 42 et 44 qui, en tout état de cause, ne peuvent faire l’objet d’une révision. Mais en raison de la double dialectique (avocat/client d’une part, et chef de l’Etat/ministre de la justice), qui unit Patrice Talon à Joseph Djogbénou, ce dernier ne pourra pas mener à bonne fin une telle révision. Pour autant, il ne faut pas désespérer et croire que la constitution ne pourra pas être révisée un jour car, «Les peuples savent très bien qu’une chose déclarée vérité par une génération est invariablement reconnue fausse par la génération suivante. Alors, il est enfantin de supposer qu’en politique il en va autrement».
C’est pourquoi, je reste persuadé qu’un jour ou l’autre, tôt ou tard, on finira bien par la réviser cette constitution, sans qu’il soit nécessaire d’acheter des députés. Car, maintenant que nous savons qu’ils sont vendables et/ou achetables depuis que leur doyenne l’a affirmé au sein même du parlement, un parlement dont la première caractéristique est sa majorité à géométrie variable. Sinon, une révision obtenue en achetant des députés, ferait définitivement de la démocratie béninoise, une démocratie Canada-Dry !
Le 13 mai 2017
Emilien d’Almeida
Politologue (Paris)
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