Le Bénin n’est sous l’emprise ni de la sécheresse ni de la famine. Pourtant, le pays a soif et faim. De quoi donc ? De choses et d’autres qui font douter les hommes, plombent tout effort de développement. La soif et la faim du Béninois ne sont donc pas forcément au fond d’un verre ou au creux d’une assiette. L’une et l’autre sont au tréfonds du Béninois lui-même.
Le Béninois a soif et faim de sécurité. Pensez à une main secourable et protectrice. Celle qui mettrait sa vie à l’abri des soucis et des déconvenues. La paix du cœur. Voilà, pour le Béninois, tout l’art du bonheur. Au-delà de toutes commodités pour satisfaire ses petits besoins. Au-delà des biens matériels qui provoquent chez plus d’un l’ivresse et l’illusion de la richesse. Le Béninois troquera contre tout l’or du monde une nuit tranquille et paisible dans un lit ou sur une natte. Il fera de même pour mériter d’aller et de venir librement, avec des escales « stratégiques » le long de ses week-ends. La sécurité, pour le Béninois, est prioritairement synonyme de paix.
Le Béninois a soif et faim de justice. La politique de deux poids deux mesures, il n’aime pas. Prendre à Zinsou ce qui lui revient pour le remettre indûment à Dossa, cela l’énerve. Tirer avantage de sa position sociale pour l’écraser, pourrait l’engager à parier sa vie. Avec cette mâle assurance qui ferait bondir un Fon, lui faisant dire « Nan non gbè bo mon han » !
Cette aspiration forte à la justice peut, à tout moment, transcender le Béninois, en faire un justicier, le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Aussi se surprend-on de voir cet être généralement « Cool », comme diraient les Anglais et qui, d’ordinaire, coule comme un fleuve tranquille, se transformer en un torrent dévastateur. On ne réveille pas le chat qui dort !
Le Béninois a soif et faim de savoir. Personne, aujourd’hui, au Bénin, n’est prêt à faire grève contre l’Ecole. Même si l’Ecole continue d’être perturbée par des grèves. Le Béninois, des villes et des campagnes, toutes catégories sociales confondues, va à l’école comme d’autres entrent en religion. Tout le monde se bat, les femmes notamment, pour s’ouvrir les portes de l’Ecole. Elle offre au moins le vernis nécessaire de savoir pour prendre pied dans la vie moderne. Elle aide à conquérir des diplômes sans nombre. Fini le temps où le Béninois fuyait l’Ecole. Voici venu le temps où le Béninois est heureux de tout fuir pour l’Ecole.
Le Béninois a soif et faim d’emplois. Parce que le pays est coincé entre deux phénomènes contraires : sous-emploi et manque d’emploi. Des emplois attendent des travailleurs qui ne sont pas disponibles. Des travailleurs disponibles attendent des emplois qui ne s’offrent pas ou qui font défaut. Résultat des courses, une masse critique d’hommes et de femmes, des jeunes notamment, font douloureusement tous les jours l’expérience de leur incapacité et inutilité sociale. Il ne reste plus qu’à se réfugier dans l’informel, à gagner des galons dans la délinquance, à se détruire et à détruire sa société.
Le Béninois a soif et faim d’informations. Qu’on n’érige pas en secret d’Etat ce qu’il estime le concerné, ce qu’il a le droit de savoir. Il subodorerait un complot contre ses intérêts. Comme si l’on cherchait à lui cacher quelque chose, à le flouer, à l’entuber. Pour le Béninois, hier comme aujourd’hui, l’information et la communication n’ont jamais été de vains mots. Un ministre de la République, dans les années 60, de retour d’un voyage en France, a assuré les travailleurs en grève qu’il n’était pas revenu « les mains vides ». La France, avait-on cru, avait favorablement actionné le tiroir-caisse. Mais après, plus rien. Silence radio. Il n’en fallait pas plus pour précipiter le gouvernement dans les abimes de sa communication plutôt fantomatique. Le minimum souhaité par le Béninois, c’est que l’autorité dise ce qu’elle fait et fasse ce qu’elle dit.
Le Béninois a soif et faim de paraître. Bien sûr qu’il s’agit là d’un défaut. Le Béninois veut compter à tout prix, à n’importe quel prix. L’atteste à suffisance la rage qu’il met à se donner un toit, « son chez » comme il dit. Quitte à l’ériger sur des terres improbables, au prix d’incroyables acrobaties. Mais c’est lors des manifestations publiques – funérailles, mariages, baptêmes, diverses cérémonies et fêtes – que le Béninois laisse éclater, dans des dépenses somptuaires, son ego boursouflé. Le « Yen wê » par lequel il pense exister et se valoriser aux yeux des autres l’entraine dans d’inacceptables compromissions. Mais quand cessera-t-il d’avoir soif et faim ? Seul peut y répondre le Béninois lui-même
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