Bénin: HOMMAGE à Mgr Nestor Assogba

Mgr Nestor ASSOGBA, archevêque émérite de Cotonou, est décédé le 22 août 2017 à la fin de l’Eucharistie qu’il a célébrée ce jour-là. Nous présentons nos condoléances à toute sa famille et à toute l’Eglise pour ce deuil. Dans son N° 007 du 7 janvier 2000, Chrétiens pour changer le monde (CPCM) a publié un article témoignage à l’occasion de son arrivée dans l’archidiocèse de Cotonou, le jeudi 9 décembre 1999. L’article, intitulé « Bienvenue à Mgr Nestor ASSOGBA« , nous paraît toujours d’actualité. Nous estimons que c’est ce que nous avons de mieux à offrir pour rendre un hommage mérité à sa mémoire. A la lecture de cet article, on comprendra pourquoi ce prélat est cher au cœur de CPCM et de ses amis.

Une délégation de Chrétiens pour changer le monde était à Sèhouè le jeudi 9 décembre 1999 pour accueillir Mgr Nestor ASSOGBA. Il devait partir à 8h00, ce jour-là, de Parakou dont il cessait d’être l’archevêque pour se rendre à Cotonou où allaient bon train les préparatifs de son « intronisation » sur le siège laissé vacant par Mgr Isidore de SOUZA rappelé à Dieu le 13 mars dernier . Sèhouè, quand on vient de Parakou, c’est-à-dire du nord du pays, est la porte d’entrée de l’archidiocèse de Cotonou. L’arrivée du prélat y était prévue pour onze heures. A 10h50, notre délégation faisait son entrée dans l’enceinte de la paroisse de Sèhoué et prenait sa place parmi les chrétiens rassemblés déjà et qui attendaient. Nos amis jésuites, les pères Yves Richard et Adami Pio, respectivement curé et vicaire de ladite paroisse, ont tôt fait de remarquer cette délégation et lui ont fait bon accueil. Certains aléas sont venus modifier les prévisions – entre autres, les cavaliers de la garde du roi traditionnel de Parakou ont tenu à faire escorte au prélat jusqu’à la sortie de la ville – et c’est seulement vers 12h30 que sont arrivés à Sèhouè Mgr Nestor ASSOGBA et ceux qui ont tenu à venir du nord avec lui, au premier rang desquels se trouvaient l’Imam de Parakou, le chef des cavaliers de la garde du roi de Parakou en tenue d’apparat et Mgr Marcel AGBOTON, évêque de Kandi . Le chef de la délégation de Chrétiens pour changer le monde, M. Albert GANDONOU, a eu l’insigne honneur d’être la première personne à embrasser l’archevêque et à lui souhaiter la bienvenue, après le curé de Sèhouè. Ce bref moment marqué par une évidente émotion a suffi à notre représentant pour exprimer, de vive voix, à Mgr Nestor ASSOGBA, notre sentiment à tous à Chrétiens pour changer le monde que sa nomination comme archevêque de Cotonou « est le choix de l’Esprit ». Après les cérémonies prévues pour son accueil, l’archevêque a repris la route de Cotonou et nos envoyés ont pris rang dans le cortège qui devait le conduire jusque dans l’enceinte de son nouvel archevêché, après une halte à la paroisse d’Allada et un petit arrêt au carrefour de Zinvié, un peu avant Calavi, et où attendaient sous le soleil des chrétiens portant une croix. Chaque fois qu’il a pris la parole, Mgr Assogba a touché les cœurs par des mots d’amour et d’humilité. « L’évêque n’est rien : c’est à vous les laïcs de construire l’Eglise et à moi, votre esclave, d’accompagner le mouvement, de vous assister dans votre tâche ! C’est la mauvaise éducation que nous vous avons donnée qui vous infantilise, qui vous fait dire « Monseigneur, Monseigneur » et vous rend incapables d’initiatives. Dorénavant tout cela est terminé ! » voilà, par exemple, ce qu’il a déclaré à Allada devant une foule stupéfiée, venue accueillir un grand chef – au sens mondain – dont on sait par ailleurs qu’il est descendant des anciens rois d’Abomey. Ces paroles fortes nous renvoient tout droit au cœur de l’Evangile : « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs… Pour vous rien de tel… Moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert  ». (Lc 22 : 25-26 ; Mt 20 : 17-28). Ces paroles de Mgr Nestor ASSOGBA nous rappellent que le chrétien milite bel et bien pour un nouvel ordre social. Mais, comme le souligne John H. Yoder, la nouveauté de cet ordre « ne réside pas dans son caractère a-social ou invisible, mais dans le fait qu’il se démarque des modes de pouvoir en vigueur. C’est l’esprit de service et non la « spiritualité » qui marque la rupture par rapport à la manière dont gouvernent les rois. [1]

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Mais le samedi 11 décembre, jour de son « intronisation », c’est le pays tout entier qui l’a écouté avec bonheur parler avec respect « des musulmans », « des adeptes des religions traditionnelles » et dire que les chrétiens forment une même famille avec tous les autres croyants :

« Je voudrais être un évêque rassembleur de tous les fils de Dieu en me faisant esclave de tous… Notre pays (…) est hostile à toute guerre de religion  ». Et nous avons cru rêver, à la rédaction de Chrétiens pour changer le monde, quand nous l’avons entendu faire cette citation : « Vous n’aurez jamais la paix avec Dieu. Dieu n’est pas conservateur ! »

Il était temps ! Le conservatisme poussé à l’extrême minait et défigurait lamentablement l’Eglise d’Afrique en général et celle du Bénin en particulier. Avec notre nouvel archevêque, c’est avec plus d’assurance et de confiance que nous poursuivrons notre marche vers le troisième millénaire où nous espérons que les chrétiens oseront enfin imiter l’homme-Jésus pour aider les hommes à devenir toujours plus humains, toujours plus hommes. Avec lui, on peut espérer que les chrétiens diront moins « Seigneur ! Seigneur ! Dieu ! Dieu », s’adonneront moins à la piété utilitaire, égocentrique et foncièrement païenne (vieille comme le monde) pour se faire des chrétiens, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui, aux côtés d’autres hommes, croyants ou non, savent sortir d’eux-mêmes, s’oublier, pour se consacrer, quoi qu’il leur en coûte, au service de la vérité et de la justice, au changement de notre monde où règnent l’arbitraire, l’hypocrisie et Mammon c’est-à-dire le culte des richesses souvent injustement acquises. Oui, le nouvel archevêque de Cotonou nous fortifie dans notre foi en Jésus-Christ qui n’est pas fondateur de religion mais a annoncé la fin des cultes auxquelles l’homme a tellement tendance à s’attacher. A la mort de Jésus, le voile du temple qui cachait le Saint des saints, l’enceinte du Temple la plus sacrée, s’est déchiré par le milieu, depuis le haut jusqu’en bas, pour signifier qu’il n’y a plus de sacré ni de peur à en avoir, mais, comme chacun sait, ceux qui profitent ou vivent du sacré se sont dépêchés de recoudre ce voile ! Grâce à Mgr Nestor ASSOGBA, nous croyons plus fermement qu’au troisième millénaire de l’ère chrétienne, les chrétiens accepteront enfin d’être des chrétiens, c’est-à-dire d’écouter Jésus, de suivre la voie d’homme qu’il est venue nous montrer par l’exemple, la seule qui fasse de nous des hommes dignes de ce nom et nous mène au Père : « C’est ici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, v 12-13). « Celui qui aime sa vie la perdra, mais celui qui refuse de s’y attacher la gardera. » (Jn 12, v 25). « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, à l’amour que vous avez les uns pour les autres » (Jn 13, v 35) et non pas au nombre de messes auxquelles vous assistez, au nombre de fois que vous récitez le chapelet par jour ou au montant des sous que vous donnez aux prêtres : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. » (Jn 4, v 21). Oui, « l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité. » (Jn 4, v 23-24). « Gardez-vous du levain…. de l’enseignement des pharisiens et des sadducéens. » (Mt 16, v 11-12). « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. » S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. » (Jn 15, v 18-20). Car nous disons avec Jean Sulivan : « Je puis suivre Nietzsche quand il écrit : « L’Eglise est exactement ce contre quoi Jésus a prêché – ce qu’il enseignait à ses disciples de combattre. » »

Pour notre part, nous faisons nôtre l’étonnement de John H. Yoder dans son ouvrage Jésus et le politique : « N’est-il pas surprenant qu’aujourd’hui les hommes d’églises cherchent à recruter de nouveaux membres en s’adressant de manière attirante au plus grand nombre, alors que Jésus, lui, se tient en retrait des aspirations de la foule ? (…) Etre disciple, c’est prendre part à cette vie dont la croix est l’aboutissement. [2] » Et l’auteur américain ajoute à juste raison cette vérité qu’il fait bon rappeler : « Pour le croyant, « porter sa croix » ne signifie pas une acceptation de n’importe quelle souffrance, de n’importe quelle maladie, ou de n’importe quelle contrainte. Sa croix doit être, comme celle de son Seigneur, le prix de son non-conformisme social. Elle n’est pas, comme la maladie ou la catastrophe naturelle, une souffrance inexplicable et imprévisible ; elle est l’aboutissement d’un chemin librement choisi et dont le coût a été estimé. Elle n’est pas, comme chez Luther, Thomas Müntzer, Zinzendorf ou Kierkegaard, une lutte intérieure de l’âme sensible avec elle-même et avec le péché (Anfechtung) ; elle est la réalité sociale anticipatrice de l’ordre à venir au sein d’un monde qui n’en veut pas. [3] » Oui, nous pensons très fortement, avec Yoder, que « le ministère et les affirmations de Jésus sont plus compréhensibles lorsque nous reconnaissons qu’il propose aux hommes, non pas d’éviter toute option politique, mais bien de s’engager dans un choix éthique et socio-politique spécifique. [4] » .

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Dès lors, il est clair que la tâche du chrétien est des plus exigeantes, que l’appel qui lui est adressé est des plus dérangeants. Nul n’est à l’abri d’une chute, d’une défaillance. Mais il est essentiel de ne pas réduire la Vérité de l’Evangile à ses petites vérités à soi, à ses petits intérêts à soi. Et c’est dès Sèhouè que Mgr Nestor ASSOGBA nous a mis en garde contre lui-même : « Je veux compter sur vous, je veux m’appuyer sur vous pour mener à bien ma nouvelle mission. Mais s’il m’arrivait de faillir, ne me regardez pas, regardez Jésus, suivez l’homme-Jésus, et priez pour moi  ». Et nous avons reçu cinq sur cinq ce message de grande humilité, conscients, au moins autant que lui-même, des limitations que pourrait imposer à sa bonne volonté et à sa généreuse ouverture d’esprit le poids des habitudes, des intérêts et des institutions de notre Eglise d’aujourd’hui. – Voilà tout simplement notre façon à nous de souhaiter la bienvenue au nouvel archevêque de Cotonou et de le remercier de nous avoir adressé, depuis Parakou, dans une lettre d’encouragement, ses bénédictions à l’occasion du premier colloque international organisé au Bénin, en février 1999, par notre mouvement Chrétiens pour changer le monde.

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