Comme annoncé dans notre parution du jeudi 21 septembre dernier, nous vous livrons ci-dessous la suite et la fin de l’interview que le président de l’ONG ALCRER nous a accordée. Dans cette seconde partie (lire ici la première partie), il parle de son engagement, de son retrait progressif de la scène, de la relève et de son appréhension du gouvernement de la rupture.
La Nouvelle Tribune : S’il vous était donné de proposer au chef de l’Etat quelques noms de ministres à sortir du gouvernement, qui seraient-ils ?
Ne me faites pas faire cette gymnastique intellectuelle. Je ne veux pas être l’oiseau de mauvaise augure pour certains. Parce que je ne sais pas sur quels critères le chef de l’Etat a nommé ceux qui sont là. C’est lui qui juge de leurs performances par rapport aux cahiers de charges. Depuis qu’il les a nommés, c’est lui qui sait qui va sortir et qui va faire son entrée. C’est à lui de juger. Il peut arriver qu’il garde des gens pour tout son quinquennat comme il peut lui arriver d’en changer, lorsqu’il verra que leur cahier de charge n’est pas bien rempli.
LNT : En revanche, il y a t-il des ministres dans le gouvernement que vous admirez ?
Je suis un observateur lointain. Je ne saurais le dire. Si le chef de l’Etat avait vu qu’il y’en a de contre-performants, il n’allait pas les garder jusqu’à présent. Il les aurait déjà sortis du jeu. Ça signifie que jusque-là ceux qu’il a mis dans son équipe lui donnent satisfaction et respectent leur cahier de charge, sauf celui qui vient de sortir. Celui qui est parti avant, de lui-même, a dit sortir pour des convenances personnelles. C’est lui qui sait ce qu’il met dans «convenances personnelles». Et depuis qu’il est sorti, il n’a jamais fait de déclaration. J’ai lu dans des journaux que tous ceux qui s’approchent de lui pour demander à ce qu’ils fassent ensemble l’analyse de la situation économique, sociale et politique du pays en tant que politicien de renom, qse font débouter. Donc c’est pas moi qui vais parler à leur place.
LNT : Certains vous accusent à tort ou à raison d’avoir perdu la langue. Sauf que là vous décidez de vous confier à nous. Est-ce dire que vous parlez toujours ou que vous parlez par moments ?
Je parle quand j’ai envie de parler. Personne ne peut m’obliger à parler. Je ne peux pas être tout le temps «le seul fou de la république». Et puis l’âge avance, autre temps autres mœurs. Moi j’ai fait une lutte précise pour qu’il n y ait pas pour un chef d’Etat un troisième mandat, et j’ai réussi cette lutte-là avec beaucoup d’autres personne. Je me suis dit qu’il faut que je m’arrête pour le moment, et que c’est de manière sporadique que je vais parler, quand un sujet m’intéresse et que je veux opiner dessus. Et que je ne suis pas d’accord. J’ai une autre façon de voir les choses. N’oubliez pas que le prédécesseur du nouveau locataire à bel et bien dit : « je vais rendre la vie difficile à celui qui viendra me succéder ». Et tout a été fait en conséquence. Et celui qui est là maintenant a dit : « moi mon programme, c’est de faire des réformes ». Nous sommes tous réfractaires aux réformes, c’est ça le problème. Prenez certains villages aujourd’hui. Allez leur construire des «HLM» et dites-leur que leurs habitations sont dépassées. Ils n’iront pas dans ces nouvelles habitations, parce que c’est une forme de réforme. Vous comprenez ? La pilule est amère. Quand nous réclamons beaucoup d’argent, beaucoup d’avancements, ceci et cela, est-ce que nous travaillons assez pour mériter tout ça ? Je suis allé dans une administration aujourd’hui qui relève du ministère de l’enseignement supérieur. Un citoyen y a déposé son dossier et a payé les frais nécessaires. Il y retourne un an après, et on lui dit que son dossier est perdu. Vous voyez une telle administration ? Et ceux-là veulent qu’on leur augmente les primes et les salaires ? Ce n’est pas possible. Moi je ne parle plus aussi, parce qu’il y a de nombreux compatriotes aujourd’hui, qui au nom de la démocratie et de la politisation à outrance, résonnent au lieu de raisonner.
Dans notre pays, les gens résonnent au lieu de raisonner, parce qu’on veut entendre sa voix mais pas dire des choses cohérentes, des choses qu’on a analysées, des choses objectives. On veut parler pour parler on faire du PPRD (Parler pour ne rien dire). Moi ca m’énerve. Je ne peux dire que la gouvernance patrice Talon est une gouvernance nickel. C’est une gouvernance qui a aussi ses tares, et qui à la longue aura ses avantages.
LNT : Martin Assogba a fait le combat contre un troisième mandat et bien d’autres. Est-ce à dire que l’Ong ALCRER tombera après votre retraite ?
Non alcrer ne tombera pas.
LNT : C’est dire qu’il y a un programme de relève ?
Quand vous parlez de relève çà me faire sourire
LNT : Vous préparez quelqu’un qui parlera avec la même prestance non ?
Est-ce que tout le monde est créé comme moi ? C’est une question d’engagement personnel. Aujourd’hui je dis au mien que je suis leur caution morale. Ce que je fais je ne l’ai pas appris quelque part dans une université. Mais je fais un travail d’engagement et de patriotisme personnel. Quand les gens de l’ancien régime avaient du mal à m’écouter, c’est sur moi qu’ils ont tiré et non sur mon personnel. Et je traine encore deux chevrotines dans le corps. Vous voyez-çà ! J’ai enfanté ALCRER, mais je veux la voir grandir même après moi. Les sujets que j’aborde dans le cadre de la lutte contre la corruption et l’impunité sont très dangereux. Les gens ont peur pour leurs vies. Qui peut accepter risquer sa vie pour tout un peuple ? Ce n’est pas facile vous comprenez. C’est pour cela que les gens se méfient. Certains me confient : «On ne sait pas sur quoi vous comptez pour prendre ces positions là». J’ai mené la lutte aux cotés de plusieurs concitoyens, pour éviter qu’il y ait un troisième mandat. Si je me mets encore à agir comme auparavant, ce sont les mêmes qui diront que je suis fatigué et que je devrais me reposer au lieu de crier tout le temps à la télé. Ils diront «mais il veut quoi au juste ? Quel est son problème ? Il faut qu’il se repose non ? Maintenant que je prends mes mois sabbatique, mes journées sabbatiques, on me reproche encore de me taire. Alors que je ne me tais pas quand même. De temps en temps je m’extériorise et ma santé aussi n’est pas au top niveau, il faut que je me repose. On dit « qui veut voyager loin, ménage sa monture ». Par rapport à mon état de santé, je ménage ma monture. Voilà monsieur le journaliste ce que je peux vous dire. Mais quand vous aurez besoin de moi je serai disposé à vous donner mes points de vue sur telle ou telle question. Voilà.
LNT : A votre avis M. Martin Assogba, le Bénin se porte-t-il bien depuis l’avènement du nouveau départ au pouvoir ?
Le Bénin vient de faire peau neuve. Je vous ai dit que nous sommes réfractaires aux réformes. Vous voyez, les enfants viennent de commencer l’école. Mais, il y en a parmi eux qui ne veulent pas que les vacances prennent fin. C’est un exemple banal que je vous donne. Vous avez certains élèves aujourd’hui qui ne veulent pas que les vacances finissent parce qu’ils veulent toujours végéter dans la paresse, dans le plaisir et tout çà. De la même manière, pour beaucoup nous ne voulons pas changer nos vielles habitudes. Or, il est important qu’on change les vielles habitudes. Et puis, j’ai dit que nous avons marché sur la tête pendant près de dix ans, il faut que nous apprenions à nouveau à marcher sur les pieds. Peut-on admettre que des gens qui ne travaillent nulle part aillent signer quelque part pour prendre de l’argent parce qu’ils supportent un gouvernement ou un régime ? Comment voulez vous que pendant qu’on organise les meetings il y ait des fournisseurs de bétails électoraux et que certains ne vivent que de cela ? Rappelez-vous lors de la dernière présidentielle, le Palais de la Marina a été transformé en lieu de distribution d’argent aux électeurs. On m’en a parlé, j’en ai douté. La personne m’a suggéré d’aller constater par moi-même. Je m’y suis rendu et j’ai vécu cette basse besogne. Pourquoi voulez-vous que parce qu’on a besoin d’un bétail électoral, qu’on recrute plein de gens sans aucune qualité dans les sociétés d’Etat, et sans même prévoir leurs émoluments ? Comment voulez-vous qu’on reverse dans l’administration scolaire des vigiles, des gardiens d’enfants, des menuisiers, des maçons, des vulcanisateurs, des coiffeuses, etc. qu’on a pris dans les villages à titre de répétiteurs de leurs petits frères dans les écoles. Le régime Talon aujourd’hui fait aussi des erreurs, certes. Mais moi je dis qu’avec les réformes nous aurons un meilleur lendemain. Seulement que ces reformes soient inclusives et que ceux qui sont concernés par ces reformes soient dans les commissions, pour qu’ils puissent être représentés à des niveaux appréciables de prise de décisions. C’est important. Mais mon problème c’est que j’ai besoin de me reposer. J’en ai assez fait et j’avance en âge. Puisque si quelque chose m’arrive du fait de mes actions, les concitoyens auront deux jours de pleur et après c’est ma femme, mes enfants et mes petits-enfants qui vont gérer le reste et de quelle manière… J’ai déjà beaucoup de petits-enfants. J’en ai déjà au moins dix qui ont besoin de moi, alors si à cause de ma lutte je craque, qui va me remplacer pour s’occuper d’eux ? Je ne suis pas immortel, je me donne donc le temps de vieillir avant de mourir.
Réalisation : Eyangoh Ekolle et Odilon Sossa
Laisser un commentaire