La frénésie du messianisme: Balises éthiques contre les lâchetés et marasmes politiques

Etoile rouge
Flick Pr Bénin

Une semaine après le lancement de l’essai « La frénésie du messianisme : Balises éthiques contre les lâchetés et marasmes politiques » de Arnaud Eric AGUENOUNON, nous publions un large extrait de la présentation du livre faitepar le Maître Jeffrey Rosland GOUHIZOUN à cette occasion. En 1843, l’allemand Karl Richard Lepsius découvre gravé sur les parois de la tombe de Ay, haut fonctionnaire de la cour égyptienne, un « Grand hymne au dieu unique Aton». Cette découverte venait mettre fin à la damnatio memoriae dans laquelle était enfermé un pharaon, peut-être le plus célèbre de l’histoire, Akhénaton.

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La damnatio memoriae est une sentence de fait consistant à condamner à l’oubli délibéré un personnage gênant au moyen de corrections grotesques dans la transmission historique. C’est le cas du jeune roi égyptien Akhenaton, dont le nom et toutes traces d’existence furent soigneusement effacés durant plus de trois millénaire jusqu’à la découverte de Karl Richard Lepsius en 1843. La peine est sévère, mais les faits sont têtus, l’archéologie restaure l’histoire et sauve de l’oubli ce jeune pharaon qui accéda au pouvoir à 15 ans et qui régna 19 ans. Ce qui pourrait piquer à bon droit la curiosité, c’est peut-être le génie des manœuvres aussi opérantes qui ont réussi à museler aussi longtemps l’histoire !

Mais qui ne manque pas d’intérêt non plus, c’est la raison de cet acharnement de la postérité immédiate contre un si jeune pharaon. Pourquoi, pour quel crime Akhénaton a-t-il subi cette terrible damnatio memoriae ? Le Grand hymne au dieu unique Aton, découvert dans la tombe de Ay en fournit la réponse. Dans un contexte égyptien polythéiste, Akhénaton était l’instigateur d’un monothéisme qui du reste se trouve être le premier de l’histoire. Il proposa l’adoration exclusive de Aton, dieu soleil dont le disque est l’unique représentation tangible. Il fut combattu par le clergé traditionnel qui prit soin d’effacer dès son décès toutes les traces de son existence. Le sort des réformateurs, le sort des messies, l’histoire nous renseigne, ce n’est pas nécessairement de se voir tresser des lauriers qui ceindraient leur front. Leur sort, c’est peut-être la mort. Leur sort, c’est qu’on les sort parfois du registre de l’histoire par la sentence arbitraire d’une damnatio memoriae qui peut durer des siècles.

Mais est-il possible de considérer l’action politique comme un messianisme de cette nature ou mieux encore le messianisme en politique est-il opératoire sous nos tropiques ? Il n’est plus crédible de dire aujourd’hui, avec La Rochefoucauld, qu’il y a « une différence entre le goût qui nous porte vers les choses et le goût qui nous en fait connaître et discerner les qualités, en s’attachant aux règles ». Il n’est plus davantage nécessaire d’estimer que pour dépasser une simple attirance envers un ouvrage, il nous faut demander à des règles, universelles et immuables, de nous en révéler les vrais mérites. Tout change, et ne cesse de changer. On réinvente continuellement la pensée, l’art, la science, la technique. On conçoit d’autres façons de philosopher, d’écrire l’histoire, car chaque génération a son expérience propre et habite une réalité différente.

Pour écrire l’histoire de son temps et répondre à la problématique de l’efficience du messianisme en politique sous nos cieux, le Père Arnaud Eric AGUENOUNON s’introduit dans un débat contemporain aux innombrables points de vue avec cette originalité qu’il conçoit et crée d’ailleurs le concept du messianisme en politique. Son ouvrage, « la frénésie du messianisme » comme tout écrit est une aventure, un voyage vers l’inconnu. Sa pensée comme tout travail authentique de l’esprit ouvre sur l’inédit. De la description des faits sociaux à l’érudition pure en passant par l’agencement des analyses, on assiste dans son ouvrage, à l’apparition et à la lente mise en place d’un univers en grande partie insoupçonné : celui de la frénésie du messianisme.

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La frénésie s’origine du grec « phrenesis » et se définit comme l’état d’agitation fébrile et d’exaltation violente qui met hors de soi : c’est une fièvre, une folie ; c’est aussi l’ardeur violente ou la fureur, dans le meilleur des sens c’est l’enthousiasme. A la suite de Hans KOHN, on a défini le messianisme comme étant « essentiellement la croyance religieuse en la venue d’un rédempteur qui mettra fin à l’ordre actuel des choses soit de manière universelle soit pour un groupe isolé et qui instaurera un ordre nouveau fait de justice et de bonheur ». Au sens propre donc, le messianisme a les attributs du spirituel et du temporel. La frénésie du messianisme s’entendrait normalement de la furie ou de la fièvre que développerait une personne ou un groupe de personnes dans l’espérance en la venue d’un rédempteur spirituel qui mettra fin à l’ordre actuel et temporel des choses Mais avec l’auteur, l’expression revêt tout un autre sens ; il renvoie à l’attente ou à l’enthousiasme d’un leader charismatique qui accomplirait le progrès social, le développement et l’affermissement de la démocratie dans nos pays sous-développés. En termes simple, avec l’auteur le messianisme se drape d’un manteau politique.

Mais en fait, comment se présente l’ouvrage ?

Il convient de le découvrir en trois étapes :

1) DESCRIPTION DE L’OUVRAGE

– Note de synthèse

– De l’articulation formelle et matérielle à la charpente méthodologique et systémique

– Contenu de l’ouvrage

2) ANALYSE DU LIVRE

– De la cohérence des concepts à l’élaboration des paradigmes ;

– Des problématiques conjoncturelles à la pertinence des approches structurelles;

De la portée de l’ouvrage : des prises de positions et le dépassement intellectuel

3) CRITIQUE DE L’OUVRAGE : Postérité et Attente ;

DESCRIPTION DE L’OUVRAGE

– Note de synthèse

L’auteur de l’ouvrage n’en est pas à son premier essai. En tant qu’écrivain engagé, il a à son actif plusieurs articles et ouvrages du genre.

– De l’articulation formelle et matérielle à la charpente méthodologique et systémique

L’ouvrage que nous avons l’heur et le bonheur de vous présenter est intitulé : « La frénésie du messianisme : Balises éthiques contre les lâchetés et marasmes politiques ». Il est écrit et rédigé par Arnaud Eric AGUENOUNON, Prêtre Béninois et Ecrivain Essayiste. Paru en Novembre 2017, « La frénésie du messianisme » est un essai de cent trente pages, segmenté en une introduction, six petites parties, une conclusion et un document annexe. Il capte l’attention par une première de couverture blanche et bleu ciel. Il a été préfacé par le Professeur Prudent Victor TOPANOU, et postfacé par le Docteur Gilles BADET. L’ouvrage s’ouvre par une dédicace à Monseigneur Isidore De SOUZA, un souvenir en la vénérée mémoire des Pères André et Alphonse QUENUM ; une reconnaissance aux amis, un hommage aux autorités ecclésiales, une gratitude envers diverses personnalités. Au seuil de la lecture, une pensée tirée de la Constitution Pastorale Gaudium & Spes du Concile Vatican II plante le décor de la philosophie de l’ouvrage : la communauté des disciples du Christ est solidaire du genre humain. On comprend pourquoi le messianisme politique de la communauté humaine du Bénin interpelle le disciple du Christ qu’est l’auteur.

Pour en examiner tous les contours, l’écrivain a commencé l’essentiel de son ouvrage par une introduction de six (06) pages qui s’étalent de la page 23 à la page 29. Ensuite, il aborde son premier chapitre ayant pour titre LA CONVERSION DES PROFONDEURS qui va de la page 31 à la page 42. Puis, il poursuit ses réflexions dans le 2ème chapitre intitulé LE PROPHETISME FACE AU MESSIANISME POLITIQUE qui s’étend de la page 43 à la page 50. De plus, il enchaine ses analyses avec le 3ème chapitre qui présente LES ARTIFICES DU MECANISME MESSIANIQUE, qu’ils soient politiques ou religieux et ce, sur les pages 51 à 62 de son ouvrage. Dans les 4ème et 5ème chapitres de l’ouvrage qui sont respectivement intitulés LA PIEUVRE MESSIANIQUE : L’INTRONISATION DES FAISEURS DE ROI et LE PEUPLE AVISE OU LE PEUPLE AGACE, l’auteur approfondit ses analyses de la page 63 à la page 76. Son dernier chapitre qui est le 6ème porte sur L’INSTRUCTION DU PEUPLE et va de la page 77 à la Page 84. L’auteur finit son opuscule par une conclusion qui est plus qu’une exhortation aux allures d’un slogan : Debout citoyen ! Il ferme son essai par un document annexé qui vient à la suite de la conclusion de l’auteur ; ce document est la réflexion sur le multipartisme vu de l’intérieur par Monsieur Abraham ZINZINDOHOUE, avocat, docteur en Droit, ancien garde des Sceaux, enseignant et chercheur.

Sur le plan de la forme, l’ouvrage est rédigé en un français soutenu mais assez accessible, facile à lire avec un style conséquent ; mobilisant de façon qualitative et quantitative les ressources de la langue française. Le texte vit, parce que l’auteur, en bon écrivain célèbre dans toute sa beauté une langue qu’il plie à sa volonté créatrice. Il emploie pour la plupart du temps des phrases simples : propositions indépendantes ; propositions principales et subordonnée relative ; le tout s’agençant dans un ordre bienheureux. Sa méthodologie est simple : il part des constats et des évidences, décrit les réalités de la vie politique dans leurs manifestations en faisant recours à des images, des métaphores, des illustrations ; puis il procède à une analyse et à une critique de ces réalités en les confrontant aux principes et aux valeurs, et il finit par des recommandations et des solutions tirées de la Doctrine Sociale de l’Eglise et de la Morale fondamentale.

– Contenu de l’ouvrage

L’ouvrage sur la frénésie du messianisme s’inscrit dans le cadre d’une littérature engagée. La littérature engagée faut-il le rappeler est la démarche d’un auteur qui défend une cause éthique, politique, sociale ou religieuse, soit par ses œuvres soit par son intervention directe en tant qu’ « intellectuel » dans les affaires publiques. En ce sens, l’auteur de la frénésie du messianisme entend corriger les mœurs dans le domaine politique, social, morale et vise une finalité anthropologique : assurer le progrès et le développement intégral humain. L’auteur y aborde la problématique globale de l’impact des messies politiques sur le développement et la démocratie en Afrique en général et au Bénin en particulier. Autrement dit, devons-nous continuer de compter sur l’avènement des messies politiques pour rendre effectifs notre développement et l’affermissement de notre démocratie ? A cette préoccupation, l’auteur prend une position tranchée et incisive en ces termes: « Aujourd’hui nous sommes à un carrefour de l’histoire de la pratique politique au Bénin. Quelle voie prendre ? Celle de la continuité du messianisme politique ? Celle de l’intronisation des richissimes faiseurs de roi ? Celle de la survivance de la tradition politique ? Si les jeux de personnes prennent le pas sur les vrais enjeux, notre servitude continuera. ». Pour parvenir à cette conclusion, il commence une introduction savante où il étale l’évidence de la religiosité populaire du peuple béninois, la lapalissade d’une cité imprégnée par un sens obvie de Dieu dont se sert comme « un bel appât » le messie politique pour parvenir à des fins électoralistes. Ainsi « les confessions religieuses révélées et les Religions Traditionnelles Africaines (RTA) sont instrumentalisées selon leurs intérêts personnels ou communautaires et au prorata de leur flexion morale pour l’avènement des messies politique au cœur du pouvoir ». Ce capharnaüm dont le messianisme politique tire le profit doit pouvoir être combattu par la jeune génération instruite, inspirée et éclairée par les veilleurs et les objecteurs de conscience puis des éducateurs et des objecteurs. Pour éviter de succomber aux différents pièges du mal massif, il faut des âmes qui ont l’audace de leur opinion courageuse et de leur témoignage prophétique comme l’ont eu naguère nos pères à des époques beaucoup plus explosives et dans des circonstances stratégiques voire délicates pour la sauvegarder du Bien Commun. Face à la friction de cet héritage reçu des pères, il faut une double attitude religieuse selon l’auteur : la prière et la prise de conscience des dirigeants. Il revient plus que jamais à la génération actuelle le devoir d’un renforcement de la démocratie afin qu’elle ne subisse plus quelque préjudice, car martèle-t-il : « Il importe de résister aux pièges du messie politique parce que notre développement en dépend. ». L’essentiel de son œuvre porte sur l’analyse de l’arène politique au Bénin en partant de l’observation des élections présidentielles de 1996 à 2016. L’auteur prend position sur les joutes électorales de la vie politique béninoise sur deux décennies en examinant thématiquement ses idées dans chaque chapitre.

Dans le 1er chapitre, d’abord il énonce les déterminants qui innervent l’existence de l’homme noir : le cultuel et le culturel, le culte de la personnalité et le culte de l’identité et enfin la pauvreté et les forces occultes pour en déduire les antagonismes qui la tourmentent, le rationnel et l’irrationnel, le visible et l’invisible et la vie et la mort. Ensuite Il suggère une petite problématique en termes de relation entre le cultuel et le culturel : le terreau d’ambivalence favorise-t-il le développement ? Puis Il répond par le constat de la justification du messianisme qu’il condamne : c’est la volonté de faire face aux aspérités de la vie. Par ailleurs, il recommande d’éviter les raccourcis et le piétinement de l’intérêt collectif en proposant un examen de conscience, la tolérance, et la nécessité d’être le relais authentique de développement d’une part ; ouvre des pistes de réflexion à mener à l’intérieur des RTA : le double défi de leur purification, réelle protection de la dignité humaine et sauvegarde de la vie individuelle et collective. En s’interrogeant sur l’origine des RTA, il conclut à la soif de religiosité et au désir d’être protégé. Mais il prescrit que les RTA doivent s’ouvrir à la rationalité et à la lumière de la Révélation divine pour devenir des terreaux de développement. Enfin, il recommande pour vaincre la pauvreté les vertus de solidarité, de travail collectif et de rigoureuse gestion des ressources de l’Etat en suggérant une morale de l’agir aux autorités publiques : « Le comportement de l’autorité en face du messianisme politique n’est pas de cultiver une politique de couardise et de stagnation en esquivant les vrais défis, mais plutôt en instaurant une justice sociale ». En un mot, se convertir en profondeur est le défi permanent à relever.

Dans le 2ème chapitre, l’auteur part du constat que Les régimes politiques en Afrique sont caractérisés pour la plupart par le messianisme politique. Aussi offre –t- il de partir des écrits et de la doctrine sociale de l’Eglise pour conceptualiser le phénomène du messianisme politique et poser les jalons d’un prophétisme politique. Par une Métaphore, il entreprend de décrire le cas pratique d’un mal être collectif qui présente une situation politique délétère ponctuée de meetings pour la consécration du messie politique. Il montre que le vent du messianisme politique souffle plus fort que le souffle de Dieu en condamnant le fait d’être prisonnier de l’argent à perpétuité mais rappelle la nécessité de la reconnaissance de l’autorité royale du Christ et d’opérer un dépassement prophétique purificateur. Le prophétisme biblique est un esprit qui dénonce le mensonge, annonce la vérité en se laissant fortifier intérieurement par la voix de Dieu, en vue de défendre la veuve, l’orphelin, le pauvre et l’innocent emprisonné. Il finit par une recommandation : celle de l’obligation et l’urgence de se désolidariser du roi, du messie politique pour garder sa liberté d’expression.

Dans le 3ème chapitre, l’auteur expose le répertoire des artifices utilisés par le régime du messianisme politique. Dans un premier temps, il expose les artifices religieux qui sont des appels intempestifs lancés à Dieu puis procède à une dénonciation des artifices religieux qui prennent la forme de l’annonce du Christ thaumaturge à la place du Christ rédempteur, des propositions de solutions toutes faites aux problèmes existentiels. La pseudo-chrétienté devenant la proie facile pour du messianisme politique. Il relève l’existence des rois et des faiseurs de rois dans le contexte du messianisme politique en faisant observer que les faiseurs de roi sont plus puissants que les institutions et décrie le nomadisme ou de la transhumance politique selon les régimes qui se succèdent. Il suggère en réponse aux artifices religieux la nécessité de repères éthiques, de consistance civique et théologique et préconise l’obligation et l’urgence de se désolidariser du roi, du messie politique pour garder sa liberté d’expression. Dans un second temps, il peint la pratique séculaire en Afrique d’avoir son chef ; le désir de devenir chef pour gérer le patrimoine humain féminin et le patrimoine matériel de la localité ; le mécanisme de manipulation des chefferies claniques par le régime du messianisme politique en vue des joutes électorales et fait une description du mécanisme de la conquête du pouvoir par le messie politique. Il se prononce sur la nécessité d’une réflexion anthropologique, éthique et civique sur la prolifération du multipartisme. Il propose une série de recommandations : repartir des cours d’éducation civique à la base dès l’école primaire ; introduire des cours d’éthique, d’engagement politique et de patriotisme dans les écoles et facultés universitaires ; dépolitiser l’administration en promouvant l’excellence véritable par département en lieu et place des facilités du quota qui sont d’essence politique et ethnique ; le désenclavement équilibré de toutes les régions du pays et la juste répartition des ressources de l’Etat à l’endroit des communes ; penser, planifier, concrétiser des projets de développement sans calculs ethniques et politiques et clarifier juridiquement le statut du personnel politique et les postes qui devraient leur revenir ; promouvoir l’entreprenariat licite qui ouvre les horizons de la prospérité ; éviter de dresser les opérateurs économiques les uns contre les autres ; éviter la persécution de ceux qui sont apolitiques ; éviter les redressements fiscaux à but politique afin de contraindre politiquement certains opérateurs économiques ; la nécessité de l’égalité des chances ; la sensibilité politique ou le financement politique privé ne devrait pas être un critère de sélection d’une entreprise.

Dans le 4ème chapitre, l’auteur définit le messianisme politique comme un pseudo-groupement politique avec plusieurs acteurs : le roi, les princes, les ducs, les chevaliers, les barons, les vicomtes, les comtes et les marquis, les roturiers et enfin les faiseurs de roi.

A son avis, le messianisme politique se caractérise par les improvisations, les manipulations, les philanthropies, les instrumentalisations et les appropriations de tout genre dans une ambiance de surprise. Le messianisme politique revêtant quelques masques : l’homme providentiel, la victime d’un système, un anti-système, un personnage public innocenté, un nationaliste populiste, un révolutionnaire entraînant, un riche industriel, un riche héritier politique, un riche et rude opposant. Il compare le messie politique à une redoutable pieuvre politique dotée d’habileté, de force financière et de capacité de déconstruction et de reconstruction. Partant de la description du système de fonctionnement du régime du messianisme, il en vient à faire remarquer que toute la vie politique en Afrique et particulièrement au Bénin s’anime autour du messianisme politique. Il constate la lâcheté collective dans tous les camps politiques et s’insurge contre la puissance de l’argent et des divers réseaux en précisant qu’il n’y a donc pas de différences structurales entre le messianisme du roi et du faiseur de roi. En clair, les concepts politiques changent mais la pensée et les acteurs qui créent les concepts ne changent pas et ne se renient pas.

Dans l’avant dernier chapitre, L’écrivain engagé fait observer que l’opinion publique nationale et internationale qualifiait du peuple béninois de souverain, de peuple mûr, de peuple roi, de peuple maître. Mais, la réaction du peuple dépend des joutes électorales car rappelle-t-il, notre peuple ne vote pas un programme de gouvernement. A ce rendez-vous électoral, il vote selon les têtes de listes, selon les dons ; il vote pour le fils, pour le familier, pour le frère, pour le bienfaiteur, pour l’ami en espérant continuer à bénéficier des diverses libéralités. C’est donc un vote de connivence. En effet, pour les élire, le peuple ne tient donc pas grand compte du niveau d’étude, ni de la capacité intellectuelle à répondre aux exigences de la charge. D’où les demi lettrés et les illettrés qui sont élus Députés ou Conseillers Municipaux. Ce personnel politique non qualifié est l’une des plaies de notre système politique et constitue le symbole d’un peuple abusé. Le peuple béninois, analyse-t-il, est en grande partie analphabète et pauvre. Les périodes électorales sont pour ce peuple des périodes de vaches grasses, l’argent circule et le peuple ne maîtrise pas le fond du débat politique parce que n’étant pas instruit. Il procède à une description aigüe de la pauvreté et des rouleaux d’étranglement de l’analphabétisme. Pauvreté et analphabétisme s’embrassent ; enclavement et ignorance se rencontrent. L’abaissement cognitif des peuples ruraux contribue à garantir son électorat du messie politique. Ce terrain humain frêle, ignorant et nécessiteux est logiquement en proie aux différents assauts des messies politiques. A titre illustratif, il évoque l’image d’une personne providentielle venue de la diaspora, très bien introduite et bénéficiant d’une grosse machine politique qui ait pu sortir en tête du premier tour d’une élection présidentielle. Voilà comment les messies politiques sont si facilement élus. Depuis l’ère démocratique, tout bien pesé, le messianisme politique, de toute origine, contrôle la vie politique avec des faiseurs de roi, qu’ils soient riches ou grands électeurs ou puissants stratèges. Il rappelle que le développement passe par la route et les infrastructures, mais sans ignorer aucunement l’éducation, l’instruction et la formation. Car le premier critère de développement est le niveau de vie, d’éducation, d’instruction et de formation du peuple, charnière indispensable de la démocratie. Chaque citoyen bien instruit coopère au développement de son pays.

Le dernier chapitre est un plaidoyer pour l’instruction du peuple : l’instruction est un droit inaliénable et elle élève le peuple de tout pays. Cette instruction est indispensable et salutaire pour la population, car dans notre contexte actuel, la conscience collective et la capacité cognitive générale sont dangereusement gangrenées par l’amour de l’argent, la haine de l’Etat, et le mépris du Bien Commun. Fidèle à sa méthode, il prend illustration de ce que les jeunes pensent et disent de l’Etat. Celui qui ne pille pas l’Etat est un demeuré car tout un village, un terroir ou une famille attend les ristournes du détournement. Et cette redistribution est effective. L’impunité des délinquants économiques s’enracine dans une certaine mentalité dualiste et dans une considération erronée des biens publics. Il préconise de passer du paraître à l’être véritable. La construction de l’être se fait de l’intérieur de soi-même vers l’extérieur où se déploie ce que nous sommes véritablement. Une correspondance du dedans et du dehors dans la théophanie des vertus. Une conversion des mentalités est appelée à se faire depuis les familles ; malgré la démission de la jeune génération de parents, il faudrait vraiment éduquer. Il insiste sur une recommandation finale : les géniteurs et génitrices doivent être les premiers modèles vivants de la pratique de vertus. Ensuite viennent les chefs de familles, les chefs de quartier, les chefs traditionnels et les leaders religieux qui sont aussi des protagonistes de la formation morale et spirituelle sans clivage. Les groupements de base dans les villages et toute sorte de groupes similaires doivent inclure le volet civique dans leurs programmes. Les radios communautaires sont invitées à produire des émissions instructives en allant à la rencontre des populations. Les bureaux régionaux des partis politiques, les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales ont un rôle crucial à jouer dans l’instruction du peuple. Il faut une mobilisation générale et une volonté politique au sujet de l’instruction du peuple qui est, de tout temps, un indicateur fiable du développement.

Dans sa conclusion, l’essayiste fait observer que les présidentielles de 1996, de 2001, de 2006, de 2011 et de 2016 nous ont paru être un théâtre de rue où il fallait avoir de bonnes qualités d’acteurs pour réussir les scénarios électoraux. En partant de l’image du mouton, de l’âne, du chameau et du dromadaire, il relève que cet afflux de présidentiables pour les scrutins de 2016 dénote, tout bien pesé, de l’avidité et de la banalisation de la fonction présidentielle car pense-t-il c’est la déclinaison empirique de la misère morale et de l’étroitesse intellectuelle qui résonne dans le ciel béninois. Il exhorte à la prudence, à l’esprit critique en appelant de tous ses vœux d’en finir avec les débats de personnes qui nous enferment dans les mécanismes du personnage providentiel et dans le cercle vicieux du messianisme politique. Ce messianisme politique achève la fébrile tradition politique et installe au premier plan, les rois et les faiseurs de roi, de toute nature, dont nous avons contribué pratiquement tous à l’intronisation. Cette offensive des richissimes bouleverse le décor politique, dévoile les fractures des écuries politiques et relance, du coup, la question de l’engagement et du financement des partis politiques.

ANALYSE DU LIVRE

De la cohérence des concepts à l’élaboration des paradigmes ;

L’auteur dans son ouvrage a manipulé plusieurs concepts que sont : le messianisme, le prophétisme, la politique, la dialectique démocratie/développement qu’il met en rapport pour construire et élaborer de nouveaux paradigmes. Ainsi que l’affirme le professeur TOPANOU dans son préface, les réflexions contenues dans l’ouvrage « sont politiques et actuelles, et nous projettent dans l’avenir. Elles sont politiques parce qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une analyse de la vie politique béninoise à partir de l’observation des élections présidentielles depuis 1996. ». Mais mieux ces réflexions sont sociologiques, anthropologiques, éthiques, juridiques et même théologiques. Elles sont sociologiques en raison de ce qu’elles donnent des explications au comportement social du peuple béninois à l’occasion des échéances électorales, et anthropologiques parce qu’elles apportent des réponses à la construction de l’homme et à son épanouissement social. Elles sont éthiques en raison de recommandations que l’auteur propose pour assainir la morale publique et théologiques eu égard aux incursions fréquentes qu’il fait dans l’univers de la foi catholique pour proposer à titre de réponses les choix de la Doctrine Sociale de l’Eglise. Elles sont juridiques en ce qu’elles préconisent l’avènement des lois sur le statut de partis politiques, leur financement et le statut de l’opposition. Elles sont actuelles parce qu’elles tirent les enseignements de la dernière élection de 2016. Mais elles nous projettent dans l’avenir parce qu’elles postulent de la nécessaire amélioration du système politique actuel.

– Des problématiques conjoncturelles à la pertinence des approches structurelles;

Les réflexions de l’auteur répondent à une série de questions:

Qu’est ce qui justifie le messianisme politique dans un pays comme le Bénin ?

Faut-il s’inscrire dans la continuité du messianisme politique ?

Faut-il persévérer dans la logique de l’intronisation des richissimes faiseurs de roi ?

Faut-il consacrer la survivance de la tradition politique?

Est-il possible de construire une démocratie dans un pays pauvre ?

Peut-on légitimement faire abstraction du paramètre de la pauvreté dans l’analyse des comportements individuels, voire collectifs dans la vie politique béninoise ?

L’argent n’est-il pas déterminant du comportement politique, individuel et collectif, des citoyens dans une démocratie développée dans un pays pauvre comme le Bénin?

A ces questions l’auteur apporte des réponses matérielles, morales, spirituelles et théologiques.

De la portée de l’ouvrage : des prises de positions et le dépassement intellectuel

Cet ouvrage est une réflexion sur l’avenir ; tel est l’intérêt des recommandations et invitations que l’auteur nous fait.

Mais sur la question des dérives du multipartisme au Bénin, l’auteur a opéré un dépassement intellectuel en proposant des approches anthropologiques, civiques et éthiques, contrairement aux approches juridiques et institutionnelles d’Abraham ZINZINDOHOUE et de Gilles BADET. Ainsi suggère-t-il d’abord de réintroduire des cours d’éducation civique à la base et dès l’école primaire, d’intégrer des cours d’éthique et d’engagement politique et de patriotisme dans les écoles et facultés universitaires, ensuite de dépolitiser l’administration en promouvant l’excellence véritable par département en lieu et place des facilités du quota qui sont d’essence politique et ethnique, et enfin repartir d’une réconciliation et d’une purification de l’histoire des ethnies et des royautés du Bénin en relevant des valeurs nationales de richesses naturelles, d’intelligence, de dignité, et d’engagement, sans retomber dans la haine et la rancœur du passé.

CRITIQUE DE L’OUVRAGE : Postérité et attente

Cet ouvrage connaitra à coup sûr un noble destin, celui d’inspirer bien d’autres penseurs sur les réalités politiques de notre temps. Toutefois, on pourrait lui reprocher d’avoir décrit le messianisme politique avec trop de pessimisme et très peu d’optimisme.

CONCLUSION et OUVERTURE

On n’écrit pas, et l’on ne s’engage pas dans la difficile odyssée de la culture que nous célébrons cet après-midi, pour obtenir un prix, même s’il est légitime d’en espérer un. Les tragiques grecs, après avoir sondé, reconnaissons-le, la gloire, l’horreur, le mystère de la condition humaine, dans de longues trilogies et de la manière la plus sérieuse, concouraient pour un prix dans les Dionysies. Saint Paul, l’apôtre des gentils, courait selon une image tirée des jeux grecs, pour recevoir le prix du salut et exhortait tout chrétien à suivre son exemple. Le prix que vous offrirez à l’auteur de cet ouvrage inédit et de génie, ce sera d’acheter et de lire « la frénésie du messianisme ». En attendant que cet ouvrage qui illumine de ses rayons le ciel du paysage politique au Bénin devienne un best-seller des librairies, nous espérons qu’il rencontrera l’adhésion du lecteur au regard des valeurs qui s’en dégagent.

Maître Jeffrey Rosland GOUHIZOUN

Avocat au barreau du BENIN

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