Restitution du patrimoine Béninois : Lettre ouverte à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy

Monsieur/Madame, Le Président de la République française Emanuel MACRON vient de vous confier la mission d’expertise pour la restitution du patrimoine africain.Le Bénin constitue la première étape de cette mission en raison de la volonté du peuple béninois de voir ce projet de retour de ses biens culturels se réaliser.

Pour l’Amour d’une identité culturelle

Je vous adresse ici un cri de coeur et un point de vue qui traduisent mon engagement citoyen et ma volonté de contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine commun du Bénin (mon pays) et de la France.

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Je ne suis pas sûr de faire partir des personnes ressources, diplomates, responsables de musées, personnel de différents ministères que vous allez inévitablement rencontrer durant votre séjour au Bénin. Loin donc de ceux-là qui siègent dans les ministères et bureaux, je vous interpelle ici en spécialiste, passionné de l’art et de la culture de mon pays, et surtout en amoureux de l’Afrique et de sa richesse.

Je me permets donc d’utiliser le moyen le plus simple pour moi pour partager mon point de vue au sujet de cette question capitale qui touche l’identité culturelle de tout un peuple, de tout un continent.

Conscient, comme les millions d’africains épris de justice et de paix, de l’importance extrême de la protection des patrimoines culturels des peuples en général et du nôtre en particulier, celui de l’Afrique et du Bénin, j’ai suivi avec une attention particulière la déclaration conjointe de nos chefs d’Etats en ce qui concerne la restitution des biens culturels du Bénin.

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Je fais également partie de ceux qui (la grande majorité) n’ont jamais eu l’occasion de toucher du doigt certains des éléments matériels de la lutte contre l’envahissement mené par le Roi Béhanzin (son trône, ses attributs de pouvoir…). Je me fais juste une petite idée de ces objets dans mon imagination en espérant un jour d’avoir les moyens de prendre un billet d’avion, et mieux, le visa pour organiser un voyage aux fins de visiter les plus de 6 000 objets de mon pays dans les musées publics et privés de la France afin de m’y identifier, et me récréer au moyen de cette richesse culturelle.

Madame et monsieur

En temps qu’experts et personnes avertis, vous êtes le seul canal par lequel, je peux manifester mon patriotisme et mon engagement citoyen visant à la concrétisation de ce projet très important dans l’histoire de notre pays.

Permettez moi donc de bousculer les habitudes et d’aller vite en besogne pour vous présenter les institutions muséales de mon pays, le cadre juridique qui protège l’immense patrimoine culturel de ce pays, et d’attirer votre attention sur certains aspects pratiques en ce qui concerne la restitution.

Musées béninois, historique et situation actuelle

Avant l’arrivée des institutions muséales, l’Afrique disposait déjà de méthodes et moyens traditionnels de conservation, restauration et protection de ses biens culturels. Ceci par le biais des interdits, des rites et coutumes qui fixaient les conditions d’entretien, d’utilisation et de sauvegarde des biens culturels. Le renouveau des musées institutionnels en Afrique est venu réorganiser et « renforcer » ce mode de conservation et de protection.

En République du Bénin, comme dans beaucoup de pays africains, on rencontre des institutions muséales sur l’ensemble du territoire. Le Musée d’Abomey, est d’une renommée à la fois nationale et mondiale, et existe depuis 1945. Il se différencie des autres musées que sont: le Musée de Ouidah depuis 1964, celui de Porto-Novo depuis 1965 et celui de Parakou depuis 1973.

Des musées plus récents ont vu le jour plus tard, à Cotonou (Fondation Zinsou, Musée des sciences naturelles, Nature tropicale, Musée monument Akaba Idenan, Musée olympique du Bénin, Musée Gnonas Pédro) à Abomey-Calavi (Musée de la Récade Vallois), à Natitingou (Musée régional de Natitingou, Musée Kaba de la Résistance) à Ouidah (Musée Don Francisco Felix de Souza Chacha, Musée Dénis Avimadjèssi), à Porto-Novo (Musée da Silva des Arts de la Culture, Musée ethnographique Alexandre Sènou Adandé), à Parakou ( Musée de la Musique de Parakou), à Savè (Musée des pierres sculptées de Charlly Djikou) à Djakotomey (Musée régionale de Kinkinhoué), à Copargo (le Musée communaitaire Banque Culturelle), à Adjara (Musée des masques d’Adjara) etc.

Ces musées privés et publics répartis inégalement sur l’ensemble du territoire national constituent des éléments fondamentaux de la politique globale de préservation, de restauration, de réhabilitation et de promotion du patrimoine culturel béninois. A ces musées, s’ajoute le programme de nouveaux musées et de réhabilitation d’anciens musées prévus par l’actuel gouvernement.

Il faut déjà noter que certains de ces musées en activité ne se réduisent pas à de simples bâtiments isolés, mais sont constitués par des ensembles articulés comprenant des monuments historiques et des sites variés (Abomey, Ouidah en particulier).

Pour évoquer la situation actuelle de ces musées, il urge de faire une nuance entre les musées publics et les musées privés. Les musées privés semblent, dans certains cas, mieux outillés et gérer que les musées publics. Tel est le cas par exemple du Musée de la Fondation Zinsou, qui aujourd’hui apparaît comme le plus professionnel et le mieux organisé au Bénin. Il répond le mieux aux besoins modernes.

Quant aux musées publics, la situation actuelle semble très dramatique. L’état déplorable dans lequel se trouvent nombre de ces musées pose un sérieux problème et mérite des actions urgentes: manque d’équipements adéquats, notamment de moyens de préservation, le personnel qualifié y faisant cruellement défaut. Très peu animés et visités, ces musées n’ont pas de véritables réserves et de centre de documentation des collections. Les réserves souffrent de rangement et d’accessibilité. Le numérique est encore grandement absent dans la gestion et l’animation de ces musées. Des risques d’incendie, de pillage et de trafic illicite planent au quotidien sur ces institutions muséales. Pour finir, la poussière, les rongeurs et les termites font bon ménage aussi bien avec les objets que le personnel, faute d’entretien.

Le socle juridique du patrimoine en question : D’hier à aujourd’hui quelle avancée ?

Le Bénin est sans doute un des pays les plus riches de l’Afrique en sites et monuments présentant un intérêt historique, légendaire et religieux. Aussi bien dans la perspective de la réhabilitation du patrimoine culturel que dans celle du développement du tourisme culturel, le problème de la conservation, de l’entretien, de la restauration et de la mise en valeur de ces sites et monuments apparaît comme un défi majeur de toute politique culturelle.

C’est alors que le 1er juin 1968, l’ordonnance n°35/PR/MENJS a été adoptée par le Président de la République pour la protection des biens culturels. Ce texte de loi aborde d’une manière générale, le classement des biens protégés, la procédure des fouilles archéologiques; et fixe les conditions de l’exportation des objets classés. Sur le plan pénal, des dispositions d’amende ont été fixées comme sanction en cas d’infractions liées au patrimoine culturel.

Malgré cette disposition juridique, le Bénin à l’instar de plusieurs pays de la sous-région, n’échappe pas à des pillages ponctuels ou organisés de ses biens culturels par le truchement d’un commerce bien structuré et impliquant divers acteurs (rabatteurs, collectionneurs, agents de musée…).

Tout ceci favorisé par l’absence de mécanisme de surveillance adéquat (agents de douanes et de police ne maîtrisant pas les critères d’appréciation d’un bien culturel).

Pour pallier à cette situation, la loi n°2007-20 du 23 Août 2007 portant protection du patrimoine culturel et du patrimoine naturel à caractère culturel en République du Bénin a été adoptée. Contrairement à l’ordonnance de 1968, cette loi va plus loin avec des propositions de structure en charge de la protection du patrimoine, en préconisant l’établissement d’un inventaire national du patrimoine culturel du Bénin ainsi qu’un plan de sauvegarde de ce patrimoine. Elle aborde également la protection des biens en cas de conflit armé et fixe les conditions d’exportation des biens classés. Sur le plan pénal, les peines varient de six (6) mois à trois (3) ans d’emprisonnement avec des amendes allant de cinq cent mille (500.000) à cinquante millions (50.000.000) de francs CFA.

La loi prévoit également de doter les musées nationaux et régionaux d’un statut spécifique en restant dans le cadre de la loi n°97-0029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin.

Dans la pratique, la loi de 2007, souffre d’un problème de mise en application et de méconnaissance. Pour cause, le manque de décrets d’application (plus d’une dizaine de décrets) et des arrêtés qu’elle préconise ainsi que sa non vulgarisation. En conséquence, le Bénin ne dispose pas d’un inventaire de ses biens culturels, de statut des musées et de plan de sauvegarde de son patrimoine au plan national pour ne citer que ces aspects.

C’est dans cette atmosphère que le Président de la République du Bénin, Patrice Talon a formulé une demande écrite à la France pour réclamer la restitution des biens culturels du Bénin.

Légitimité et fondements juridiques du recours à la restitution des bien déportés

Amadou-Mahtar M’Bow (Sénégal), Directeur général de l’Unesco (1974-1987) dans un appel en date du 7 juin 1978 di ceci :

« Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’oeuvre irremplaçables : Ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres….

… Ces biens culturels qui sont partie de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont droit à les recouvrer…

… Aussi bien ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d’importance, ceux dont l’absence leur est psychologiquement le plus intolérable…

Cette revendication est légitime… »

La légitimé de cette revendication suffit-elle pour aboutir à la restitution?

Les états généraux de la Culture et des Sports du Bénin (1990), ont fait l’objet d’adoption de sa Politique culturelle. Cette dernière a affirmé la nécessité d’oeuvrer au rapatriement des biens culturels.

C’est d’ailleurs le point 3 intitulé « Inventaire, conservation et mise en valeur du patrimoine culturel », qui en affirme le principe : « La politique culturelle du Bénin mettra un accent particulier sur la sauvegarde et la restauration du patrimoine en péril… C’est pourquoi l’Etat béninois procédera… à la négociation des accords nécessaires au rapatriement de notre patrimoine culturel détenu par les anciennes puissances coloniales ».

Et pour la Loi 91-006 du 25 février 1991, portant Charte culturelle en République du Bénin, dans son chapitre 3, article 13 (alinéa 3), de disposer également : « En outre, il (l’Etat) oeuvre également à la restitution des biens culturels expatriés ».

Au plan international, les instruments tel que la convention de 1970 et celle de l’UNIDROIT (que le Bénin n’as pas encore signé jusqu’à ce jour) et la résolution A/RES/70/76 de l’ONU du 9 décembre 2015 portant sur le retour et la restitution des biens culturels à leur pays d’origine ont contribué à susciter la demande du gouvernement de Patrice Talon qui, dans un premier temps, a reçu un NON diplomatique de François HOLLANDE avant de connaître une issue plus ou moins favorable avec le Président Emmanuel MACRON.

C’est cette volonté de MACRON qui s’est traduite par votre nomination comme experts pour la restitution du patrimoine africain.

Dans le cas du Bénin, est-il vraiment l’heure de parler de restitution?

Votre prochaine mission au Bénin en dira long sur cette question.

Pour l’heure, je me permets de partager mon avis avec vous sur la question. Ceci dans le prolongement de toute l’analyse faite plus haut et portant sur la situation actuelle des musées au Bénin ainsi que du cadre juridique actuel de protection du patrimoine culturel béninois.

Quand on sait que la France (Etat possesseur) dispose également de plusieurs arguments (juridiques, muséologiques, techniques et financiers) pour éviter ou refuser la restitution, la question mérite d’être posée et suscite d’autres analyses.

N’est-il plutôt pas l’heure de se regarder en face et de reconnaître que c’est une chance énorme pour le Bénin que ses biens culturels soient encore très bien conservés en France, quand on voit le sort subi par ceux qui ont eu la malchance de rester au Bénin.

Il importe de toute façon, d’anticiper sur le réalisme dans les modalités de négociation en vue dans les prochains jours.

Regard du spécialiste que je suis

Les modalités de restitution possibles

Il existe une variété de solutions autour de la restitution qui s’offre aux deux Etats. Il s’agit entre autres : De la restitution pure et simple avec ou sans contrepartie, la restitution sous condition, la restitution accompagnée de mesures de collaboration culturelle, la reconnaissance formelle de l’importance pour l’identité culturelle, les prêts (à long terme, temporaires, etc.), les donations, l’aménagement d’un régime de propriété particulier (copropriété, trust, etc.), l’exécution de copies, le retrait de la requête en restitution en échange d’une indemnisation pécuniaire et bien d’autres solutions envisageables.

Ce que je propose

Avant toute chose, il me semble indispensable que l’Etat béninois soit autorisé à réaliser un inventaire de ses biens culturels qui se retrouvent en France, aussi bien dans les collections publiques que privées. Cet inventaire devra tenir compte du régime juridique de chaque bien.

Ceci dit, parmi toute cette panoplie de possibilités de modalités de restitution, je trouve volontiers plus justes celles relative à la restitution sous condition, les prêts (à long terme, temporaire, etc) et l’exécution des copies.

La restitution sous condition

Le Bénin en l’état actuel n’est pas prêt à recevoir un quelconque bien culturel au risque de l’altérer ou de le voir disparaître au bout de quelques années. Pour cela, il faudra soumettre la restitution à des charges ou des conditions négociées entre les deux parties. Il peut s’agir des charges relatives à l’amélioration par le Bénin des conditions muséologiques, à la formation du personnel local de conservation et gestion des biens culturels. C’est donc l’accomplissement ou la réalisation de ces conditions qui aboutira au bout des délais déterminés à la restitution.

Pendant ce temps, la France devra « changer la loi » pour établir la reconnaissance juridique de la propriété des biens au profit du Bénin. De la sorte, l’intérêt financier généré par ces biens peut servir d’une part à appuyer le Bénin dans sa politique d’amélioration des conditions muséologiques et de formation du personnel local en matière de gestion de musée.

En terme clair, je propose la mise en place d’un Fonds Spécial d’Appui à la Protection des Biens Culturels financé par des recettes de visites des musées publics et directement géré par ces institutions au profit du Bénin et d’autres pays de la sous-région.

Les prêts (à long terme, temporaire, etc)

Cette modalité est directement liée à la première. Dans le cas où la propriété des biens serait établie au profit du Bénin, il est possible d’envisager des prêts (à long terme, temporaire…) à la France, le temps de réunir les conditions nécessaires pour accueillir les biens au Bénin, avec l’assurance que les infrastructures ainsi que la ressource humaine est disponible sur place pour protéger ces trésors.

– L’exécution de copies

Il est possible d’envisager avant le retour des biens authentiques, la réalisation des copies dans le but de créer et enrichir des Centres d’Interprétation dans les Musées déjà existants.

Ces centres d’interprétation auront pour vocation d’offrir au peuple béninois et aux visiteurs à travers des expositions interactives, des maquettes multimédia, des projections, des copies d’objets authentiques… des animations qui leur permettront de découvrir et de s’approprier, fût-ce le temps d’une visite, les réalités du patrimoine mis en scène.

Ce type de structure est un outil de valorisation du patrimoine culturel. Le centre d’interprétation se veut être donc un nouveau mode de conception de la visite culturelle qui a à cœur la satisfaction morale et l’éveil de l’esprit critique du public. Il est de ce fait un outil à promouvoir dans le cadre de ce processus de restitution.

Il existe encore, et j’en suis convaincu, d’autres possibilités d’arrangement qui permettront aux deux parties de prioriser la sécurité des biens culturels, peu importe où ces derniers se trouvent.

C’est sur ces mots que je vous prie de croire Madame, Monsieur à l’expression de ma très haute considération.

Par Ibrahim Tchan
Juriste et chercheur sur des questions relatives à l’implication des communautés locales dans la gestion du patrimoine mondial (gouvernance des sites du patrimoine mondial). Auteur de plusieurs articles et publications dans des revues scientifiques (Unesco par exemple) et sur des sites de renom.

3 réponses

  1. Avatar de Tchité
    Tchité

    Restitution d’accord, mais le Beninois avec sa mentalite’ actuel est-il vraiment pret a’ se lever et defendre ses interets sur le plan internation comme un etre digne et fier de ses origines, a-t-il deja’ fini de faire le tche’djinambi avec ses freres locaux (je veux dire les autres ethnies)?

    A vous de repondre, mais moi je connais deja, la reponse a’ cette question.

  2. Avatar de Napoléon1
    Napoléon1

    je ne suis pas favoralble à la solutionde copropriété. si l’on faisait cela, alors le vol retournera à l’avantage du voleur. Cédons simplement à César ce qui appartient à César.

    1. Avatar de Ibrahim Tchan
      Ibrahim Tchan

      Salut Napoléon 1
      Je partage entièrement le même avis que vous. Gardons le cap de la  lutte pour le retour de nos biens culturels…

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