Joseph Djogbénou 49 ans, aura tout obtenu en moins de trois ans d’un parcours politique anormalement rectiligne. Il a été élu député dans la 16e circonscription, sur la liste Un qui n’aurait rien gagné à Cotonou n’eût été le contexte politique de l’époque, fortement soutenu par les manœuvres souterraines de ce qu’on a pudiquement appelé ‘’la télécommande de Paris’’. Une télécommande assumée en son temps par les actuels tenants du pouvoir. Depuis, tout est allé très vite pour cet avocat volubile à la silhouette longiligne, et au verbe haut, qui adore les effets de manche et les figures anaphoriques. Alors qu’il n’avait jamais siégé au parlement, il a été directement coopté par la majorité parlementaire alors en gestation, comme président de la prestigieuse commission des lois…
Sous l’effet magique de la même télécommande ! Un poste qui semblait lui être destiné de par son passé d’activiste de la société civile, et sa formation de juriste de haut niveau. Et, lorsque le gouvernement Talon s’est installé après cette campagne au pas de charge, qu’il a animée de bout en bout, avec et pour le compte de son candidat, c’est tout aussi naturellement qu’il a été nommé à la tête du ministère de la Justice. Cette maison où il officiait comme avocat d’affaire, et dont le client le plus célèbre après Hamani Tidjani Assani, ce gangster transfrontalier de sinistre mémoire, a été un certain… Patrice Talon, dans des dossiers scabreux et non encore élucidés, d’empoisonnement et de coup d’état.
Ecce homo !
Voici donc l’homme qui est en passe de devenir, à moins de 50 ans, le plus jeune président de la cour constitutionnelle depuis l’ère du Renouveau. Un poste qui n’avait été occupé que par des quinquagénaires révolus, ou des sexagénaires. Elisabeth Kayissan Pognon (née en 1937), et Conceptia Denis Ouinsou (née en 1942), y ont accédé au même âge, 56ans, respectivement en 1993 et 1998. Quant à Robert Dossou et Théodore Holo, ils ont conquis le Graal respectivement en 2008 à 69 ans, et en 2013 à 65 ans.
Joseph Djogbénou, tel Janus
Joseph Djogbénou apparaît donc aujourd’hui, comme un homme chanceux qui doit son ascension à la seule volonté d’un homme : Patrice Talon. Et Djogbénou le lui rend bien, par des phrases stéréotypées du genre « il gère le pays comme une entreprise ». C’est à Djogbénou qu’on doit la boutade fétiche « surgir, agir et disparaître », agitée pendant la campagne pour caractériser son candidat, présenté alors comme un homme qui n’a pas l’ambition de s’éterniser au pouvoir. Celui qui naguère passait pour un défenseur acharné des droits de l’homme, est totalement transfiguré depuis le 06 avril 2016.
Une phrase qui lui revient à la bouche, tel un leitmotiv, chaque fois qu’il est pris en porte à faux avec ses déclarations et convictions antérieures, est « J’assume ! », prononcée avec l’arrogance et l’assurance de celui qui est convaincu de son invulnérabilité, de la toute puissance de son pouvoir, que rien ne peut ébranler. Il l’a prononcée publiquement au plus fort de la polémique sur les 10millions de francs attribués comme perdiem aux membres de la fameuse commission de révision de la constitution.
Au ministère de la justice qu’il dirige « avec la ruse et la rage » il est allé plus loin que tous ses prédécesseurs avocats, que sont Marie-Elise Gbèdo et Evelyne da Silva, dans sa volonté de caporaliser la Maison Justice, avec des intrusions intempestives dans les procédures judiciaires en cours. Comme dans le cas tout récent du député Mohamed Atao Hinnouho. Qu’est ce qui urge pour que l’ancien défenseur des droits de l’homme ne puisse pas attendre comme il est d’usage dans un Etat de droit, l’issue de la procédure de levée de l’immunité parlementaire du député Atao Hinnouho, introduite par son gouvernement, si ce n’est la volonté d’humilier un opposant et de créer un climat de terreur, propice à toutes les dérives.
On peut multiplier à l’infini les exemples de toutes les entorses à la libre expression de la justice, depuis l’avènement du ministre Djogbénou au pouvoir, depuis la période chaude dite des déguerpissements ou le ministre Djogbénou a affirmé sans sourciller que « la religion n’a rien à faire dans l’espace public », jusqu’aux affaires qui opposent les dissidents de la Rb au président régulièrement élu, où un juge dont l’épouse diplomate a été opportunément affectée à l’extérieur, s’est déporté à quelques minutes du délibéré.
L’espoir d’un retour au statu quo ante
Comment ne pas craindre pour l’avenir de notre démocratie, quand on voit que tout a été fait pour que cet homme qui a, en trois ans, accumulé bourdes, maladresses et échecs, s’apprête à prendre la tête del’ultime institution d’arbitrage de notre système démocratique. Lui qui, de surcroît a été condamné par une récente décision de la Cour en février dernier. Décision qu’il a allègrement violée, en allant participer à plusieurs soutenances de thèse. Sans compter les lourdes suspicions qui pèsent sur son actuel statut à la fonction publique. Nonobstant celles relatives à sa qualité d’enseignant et d’avocat conformément au règlement de l’Uemoa en vigueur depuis le 1er janvier 2015.
Un arbitre dans un match de football, c’est fait pour être neutre, pour ne pas prendre partie. La crédibilité d’un arbitre tient à sa capacité à rester à égale distance entre les parties en conflit : « Cette cour n’est pas crédible s’est écrié un avocat de la partie civile, lors de la dernière audience où les avocats de Mètongnon et consorts ont plaidé la nullité de la procédure contre leurs clients, après la décision de la cour constitutionnelle condamnant le gouvernement d’une part pour n’avoir pas respecté le principe du contradictoire, et le procureur pour avoir méconnu l’article 402 du code de procédure pénale. D’accord que la cour Holo et certaines des cours précédentes ont pu pactiser à un moment donné de leur parcours avec les pouvoirs en place.
Témoin, cette décision bizarroide sur la question de l’âge minimum pour être candidat à l’élection présidentielle. Cependant, le problème avec Djogbénou c’est qu’il a été trop impliqué ces trois dernières années dans le régime de la rupture, dont il peut difficilement se détacher. De mémoire de journaliste, aucun président de cour n’a eu autant de proximité, de complicité avec le chef de l’Exécutif au pouvoir. Comment, après avoir claironné son adhésion au programme de la rupture, pourra-t-il s’en détacher ? Comment après avoir porté la casquette de coordonnateur du projet Ravip, pourra-t-il juger en toute impartialité, de l’opportunité ou non d’utiliser la liste extraite du Ravip contre celle issue de l’actualisation de la Lépi ? Saura-t-il trancher sereinement les recours qui seront portés devant lui sur les cas de violation des droits du député Atao Hinnouho… par exemple ? Comment pourra-t-il éviter un revirement de jurisprudence, si le président Talon dont on connaît l’obstination à imposer aux autres sa vision de la gestion du pays, venait à réintroduire la loi sur le retrait du droit de grève aux travailleurs, que le ministre professeur de droit avait soutenue mordicus ?
En tout état de cause, l’élection plus que probable de Joseph Fifamin Djogbénou à la tête de la cour constitutionnelle, apparaît autant comme une curiosité pour les pays voisins qui nous observent, que comme un test grandeur nature de la solidité de notre système démocratique. Nous ne saurions éviter le piège de la normalisation et de l’alignement de NOTRE démocratie sur les autres, celles de la sous-région, que si aujourd’hui et demain, Djogbénou parvenait à s’élever à la hauteur de la fonction républicaine à lui offerte, pour opérer le suicide au niveau jouisseur de ses collusions incestueuses, et revenir aux sources de son engagement politique premier.
Laisser un commentaire