Belhar Mbuyi, un journaliste congolais, vient de publier aux éditions Jets d’Encre en France un livre sur la présidentielle ivoirienne de 2010. A travers ce livre de 388 pages intitulé «Qui a (réellement) remporté la présidentielle ivoirienne de 2010 ? Vérité des urnes et de jure», ce journaliste congolais de Kinshasa a donc l’ambition de trancher, scientifiquement, le débat sur le « vrai » vainqueur de cette élection qui avait tant passionné l’Afrique, et déchiré la Côte d’Ivoire. A ce jour, l’un des protagonistes de la crise ivoirienne est jugé à la CPI pour crimes présumés lors de la crise post-électorale, et l’autre est à la tête de la Côte d’Ivoire.
Depuis ce mélodrame, en Afrique noire, l’opinion publique semble majoritairement acquise à la cause de Laurent Gbagbo, et considère Alassane Ouattara comme un homme imposé par les puissances occidentales afin de sauvegarder leurs intérêts économiques.
Mais Belhar Mbuyi ne s’est pas laissé influencer par ce genre de considération. Il a voulu enquêter par lui-même afin de déterminer avec exactitude le vrai vainqueur selon lui. C’est cette vérité – sa vérité – qu’il entend partager avec l’Afrique et le monde avec ce livre. La Nouvelle Tribune l’a joint depuis Kinshasa où il réside pour une interview à bâtons rompus.
Pourquoi avoir écrit ce livre aujourd’hui ?
La présidentielle ivoirienne de 2010 avait, certes, divisé profondément la Côte d’Ivoire, mais elle avait passionné toute l’Afrique. A ce jour, le débat sur le vrai vainqueur de cette élection fait toujours débat. De nombreux livres ont été écrits à ce sujet, et deux nouveaux sont même sortis un mois juste après le mien. Mais j’ai l’impression que la plupart de ces auteurs étalent plutôt leurs appréhensions, voire leur penchant idéologique lorsqu’ils abordent cette question.
Personne, à ce jour, ne s’est donné la peine de produire un travail qui puisse démontrer techniquement qui a été le vrai vainqueur de la présidentielle ivoirienne de 2010. J’ai donc voulu combler cette lacune en écrivant ce livre qui a l’ambition de démontrer, sans parti-pris, pour qui le peuple ivoirien a voté dans sa majorité. En outre, l’autre importance de cette présidentielle tient du fait qu’elle constitue l’acte fondateur du pouvoir d’Alassane Ouattara, qui a abouti à la mise en place de la Troisième République avec l’adoption d’une nouvelle Constitution. Il s’agit donc de savoir si ce nouveau régime est légitime ou s’il est fondé sur une imposture électorale.
Et selon vous, qui a été le vainqueur de cette présidentielle passionnante ?
Je vous réponds tout de go : Alassane Dramane Ouattara. Contrairement aux appréhensions de nombreux Africains, le Chef de l’Etat actuel de la Côte d’Ivoire a remporté cette élection de façon claire et nette qui, dans le contexte d’un pays démocratique, ne devait souffrir d’aucune contestation. C’est ce qui ressort d’un travail d’analyse scientifique et impartiale des chiffres de cette élection. J’ai pris en compte les arguments avancés par les deux camps en présence, et j’ai fait ma propre analyse électorale de façon rigoureuse qui démontre de manière incontestable que Monsieur Ouattara avait bel et bien remporté cette élection.
Comment avez-vous procédé exactement ?
J’ai procédé par une rigoureuse analyse des chiffres, j’ai comparé scrupuleusement les deux tours du scrutin. Ensuite, j’ai passé au scanner les arguments des deux camps en présence. A titre d’exemple : dans sa plainte au Conseil constitutionnel, Laurent Gbagbo accuse son adversaire d’avoir organisé des fraudes dans 7 départements du Nord et du centre du pays (Bouaké, Korhogo, Ferkessédougou, Katiola, Boundiali, Dabakala et Séguéla). Il m’est apparu clair que M. Ouattara n’avait nul intérêt à frauder dans ces 7 départements où il avait fait son plein de voix au premier tour, et où il n’avait plus de grandes marges de progression pour le second tour.
A l’évidence, ce n’est donc pas là que se jouait le deuxième tour, ce n’est pas là que Ouattara devait remporter la présidentielle. En effet, j’ai posé l’hypothèse la plus favorable à Laurent Gbagbo, c’est-à-dire laisser à Alassane Ouattara son score du premier tour dans ces 7 départements, qui, je le rappelle, n’avait pas été contesté par personne, et reporter sur Laurent Gbagbo toutes les voix des autres candidats du premier tour, y compris toute majoration éventuelle du taux de participation (supposée frauduleuse) entre les deux tours, eh bien, Alassane Ouattara serait toujours vainqueur sur le plan national. Donc, il apparaît clair que la prise en compte de toutes les réclamations de M. Gbagbo et même au-delà n’aurait jamais inversé le résultat final. Par conséquent, Laurent Gbagbo n’avait aucune possibilité de remporter cette élection.
En réalité, cette élection s’est jouée dans le report des voix du troisième homme de cette présidentielle, Aimé Henry Konan Bédié, et dans les régions où ce dernier avait obtenu la majorité ou un score significatif. Or, toutes ces régions favorables à l’ancien président ivoirien, étaient sous contrôle de Laurent Gbagbo et de ses services de sécurité, il s’agit de : Bas-Sassandra, Lacs, N’Zi-Comoé, et Lagunes comprenant Abidjan. Dans toutes ces régions, le report des voix de Konan Bédié s’est largement fait en faveur d’Alassane Ouattara. Donc, la progression du même Ouattara dans les régions qui lui sont favorables ne peut avoir rien de suspect.
Mais, dans son livre intitulé «Côte d’Ivoire, une histoire tronquée», la journaliste française Fanny Pigeaud évoque une majoration suspecte du taux de participation qui aurait ainsi permis de tricher en faveur d’Alassane Ouattara. Qu’en dites-vous ?
Vous avez raison, et elle n’est pas la seule à évoquer cet argument. De nombreux chercheurs soutiennent que la participation aurait été majorée de 10% afin d’offrir au candidat Ouattara plus de 600.000 voix frauduleuses. La plupart se basent sur des déclarations de certains cadres de la centrale électorale ivoirienne qui, le soir de l’élection, estimaient que le taux de participation se situerait autour de 70%, pour insinuer qu’il y a eu effectivement bourrage d’urne en faveur d’Alassane Ouattara. Il s’agit d’une estimation qui ne peut être confirmé qu’à la fin du dépouillement total de tous les bulletins de vote.
Dans tous les cas, cet argument ne résiste pas à une analyse sérieuse. Selon les défenseurs de cet argument, cette majoration du taux de participation aurait concerné les régions du Nord, qui avaient été sous contrôle des rebelles des Forces nouvelles, c’est-à-dire Denguélé, Savanes, Vallée du Bandama et Worodougou, dans lesquelles Alassane Ouattara est majoritaire. Leur logique tient au fait que, selon eux, Laurent Gbagbo n’avaient pas de témoins dans les bureaux de vote, et donc pas de procès verbaux.
Mais une manipulation des chiffres d’une telle ampleur était-elle vraiment possible, et M. Gbagbo pouvait-il manquer de témoins à cette échelle ? Ce n’est pas évident. Il n’empêche, l’ensemble de ces régions totalisait à l’époque 945.026 électeurs, et 785.754 suffrages exprimés, soit un taux de participation de 83,15%. Je trouve ce taux de participation parfaitement normal, car à titre d’exemple, dans la région de l’Agnéby qui vote Laurent Gbagbo à plus de 84%, le taux de participation est de 88,94%. Alors, prétendre qu’il y a eu majoration de 600.000 voix dans le Nord reviendrait à soustraire ce chiffre des suffrages exprimés qui sont de 945.026, ce qui aurait comme conséquence le fait que les quatre régions du Nord n’auraient eu que 345.026 votants, soit un taux de participation de seulement 36,51% !
Même si on ajoute au moins la moitié des régions de Zanzan (nord-Est) et de Dix-huit Montagnes, le taux de participation pour l’ensemble de ce bloc centre-nord n’excéderait pas 45%. Qui peut sérieusement imaginer que, au moment où, dans le département d’origine de Laurent Gbagbo, à Gagnoa, la population se mobilise avec un taux de participation de 87,36%, les gens du Nord eux, sèchent à ce point les urnes au moment où leur champion, Alassane Ouattara est enfin candidat pour la première fois ? Cet argument n’est pas du tout sérieux.
Est-il possible d’envisager que cette majoration du taux de participation avait concerné les régions du Sud ?
Impossible, sur le plan de la logique. Dans le Sud, Laurent Gbagbo avait des témoins dans chaque bureau de vote et il aurait pu contester une telle majoration avec des milliers de PV en guise de preuve. Or, il n’a brandi qu’un seul PV, celui de Bouaké, sujet à caution, sur lequel je me prononce dans le livre.
Quelle est l’originalité de votre livre par rapport aux autres ?
L’originalité de mon livre tient à deux faits. Premièrement, je replace la crise ivoirienne dans son contexte historique, ce qui a l’avantage de permettre au lecteur de s’immerger dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Il comprend comment un pays tranquille a évolué depuis la colonisation jusqu’à l’indépendance, comment il a construit sa prospérité grâce à un homme de vision qu’était le président Houphouët-Boigny, et comment il est descendu aux enfers suite à la néfaste politique de l’ivoirité qui a engendré la discrimination, l’exclusion, la persécution ethnique et religieuse, la haine etc.
Le lecteur réalise alors que la guerre qu’a connue la Côte d’Ivoire est la conséquence des actions menées par les Ivoiriens eux-mêmes. Il faut donc chercher les causes de nos malheurs en nous-mêmes, au lieu d’accuser toujours les autres. Deuxièmement, j’ai réalisé un intéressant travail de mathématique électorale qui permet de trancher de façon incontestable sur le vainqueur de l’élection de façon parfaitement cohérente et simple qui permet au lecteur de comprendre. Troisièmement, ce livre contient une analyse particulièrement intéressante sur le volet juridique qui analyse le rapport entre le Droit interne ivoirien et le droit international, la question de la certification des élections par l’ONU ainsi que la jurisprudence onusienne en cette matière.
Comment peut-on se procurer votre livre en Europe et en Afrique ?
En France, il peut être commandé sur le site des éditions Jets d’Encre, chez Fnac et se trouve dans de nombreuses librairies. Ailleurs en Europe, il est disponible chez amazon France, Belgique, Grande Bretagne, Pays Bas, Allemagne etc. Tout le monde, en Afrique ou ailleurs, peut passer sa commande, directement chez l’éditeur ou sur Amazon. En Côte d’ivoire, tous ceux qui sont intéressés doivent contacter la Librairie de France.
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